Librairie académique Perrin (p. 218-222).

XXXII

L’APPEL D’EN-HAUT

C’est donc par le cœur et l’esprit, non par les sens et l’imagination, que nous chercherons à nous rapprocher des habitants du ciel, à, suivant une belle expression de Benjamin Couve, « acclimater notre âme dans la patrie invisible », en tournant comme le disait une chrétienne peu de mois avant sa mort : « nos pensées vers la suprême patrie où nous ne serons plus qu’amour et paix[1] ». Rien ne nous y aide, après l’amour de notre Rédempteur, rien ne nous attire autant vers cette patrie que les bien-aimés par lesquels nous sommes devancés dans la vie éternelle. et J’apprends plus que jamais, écrivait Newman, à vivre en présence des morts… Plus nous vivons dans le monde invisible, plus nous sentons que l’entrée des amis dans ce monde invisible est un rapprochement, non une séparation ; je pense que c’est concevable à la façon dont le départ de notre Sauveur le rapprocha, quoique invisiblement, en Esprit[2]. »

L’Évangile nous le montre : tant que les apôtres vécurent matériellement auprès du Christ, partageant ses fatigues et sa nourriture, le voyant, l’entendant sans cesse, ils lui demeurèrent étrangers et fermés. Ils ne commencèrent à le comprendre et à l’aimer véritablement qu’après sa mort et sa résurrection, entrant alors seulement dans son intimité à cause de sa présence spirituelle dans leur cœur.

Ainsi, toutes proportions gardées, les âmes chéries s’unissent souvent mieux à la nôtre quand elles ont échappé à leur enveloppe charnelle et c’est la meilleure consolation à notre âpre chagrin du grand déchirement. Ne soyons pas la dupe des vaines apparences, de cet amer découragement, de cet instinct de conservation qui nous font redouter également de vivre et de mourir. Dieu ne nous appelle jamais à lui d’une façon plus claire et plus solennelle que lorsqu’il nous prend ceux qui sont indispensables à notre bonheur, ces proches que nous aimons comme nous-même et plus que nous-même. Nous nous soumettons par amour pour Lui et pour eux et nous nous sentons appartenir au monde invisible. Nos bien-aimés nous réclament.

Leur fin nous annonce la nôtre. Nous sommes en marche pour aller vers eux ; notre labeur courageusement accompli, nos souffrances patiemment suportées, nos larmes répandues aux pieds du Christ, tout nous rapproche d’eux ; le chemin même que nous suivons, ce temps qui nous semble parfois immobile, nous entraîne vers eux avec une rapidité vertigineuse.

Les jours qui nous restent à passer sur cette terre sont bien courts pour achever leur œuvre, pour nous préparer à les rejoindre et nous accoutumer d’avance à la patrie dans laquelle ils nous attendent, à l’existence nouvelle que suivant la volonté de leur Père, de leur Sauveur qui est le nôtre, nous mènerons auprès d’eux.

De près ou de loin, ceux qui nous aiment toujours comme ils nous l’ont promis, sont nos collaborateurs. D’efforts, de vœux, de prière, nous sommes unis, unis par l’amour en Dieu qui est amour.

Sans doute, nous souffrons encore à cause de ce qui nous sépare, mais en sentant profondément avec une espérance infinie que cette distance, ce voile diminue, s’éclaircit sans cesse.

Tandis que ce qui est mortel en nous s’affaiblit et se prépare à disparaître, notre être immortel, loin de déchoir et de décliner comme l’autre, se fortifie à mesure que s’éteignent en nous les désirs et les passions terrestres. Douloureuse métamorphose qui ne manque pourtant pas d’une mystérieuse douceur, car à la tempête, aux ténèbres de l’angoisse et de la lutte, succèdent peu à peu la paix et la sérénité, une lumière inconnue, incompréhensible, présage de l’aurore éternelle.


AU SOIR

Plus divin que la vie et plus fort que le temps.
H. de Régnier.

Suavité du soir sur les longues collines !
Tout ce que Dieu t’a demandé, tu l’as donné,
Et maintenant le ciel vers la terre s’incline,
Mettant une auréole au sillon moissonné.

Sur le bord du chemin qui descend vers la plaine,
Le visage en sueur, tu t’assieds pauvre et seul,
Et les brumes, tandis que tu reprends haleine,
Dans le val à tes pieds ondulent, lourd linceul.

Mais le soleil autour de toi rayonne encore ;
À la cime des monts lointains, la neige luit,
Pendant que sur la mer dont meurt la voix sonore,
Tombent là-bas les violettes de la nuit.

Plus haut que les combats et les maux de la terré,
Que la grève, les champs et le brouillard épais,
Regarde déjà poindre en ton cœur solitaire,
L’aube d’une ineffable et surhumaine paix.



  1. Emma Lods de Wegmann. (Lettre du 15 avril 1912.)
  2. Lettre de Newman citée par L. F.-F. Goyau (Choses d’Âmes, p. 171).