Librairie académique Perrin (p. 223-227).

XXXIII

TÉMOINS DU CIEL

Apprenons à mieux aimer ceux que nous aimions tant. À mesure que nous nous rapprochons d’eux, nos cœurs s’élargissent, nous devenons plus capables d’un amour désintéressé. Nous à qui il semblait si doux de recevoir, initions-nous à la joie supérieure de donner. Nos bien-aimés sont nos précurseurs, nos représentants dans le ciel, mais nous les représentons ici-bas ; nous sommes leurs témoins : rendons-leur un témoignage digne d’eux. En attendant le jour où ils seront devant le tribunal de Dieu notre gloire et notre joie, agissons de telle sorte qu’eux aussi puissent se réjouir et se glorifier en nous.

Puisqu’il faut souffrir, accordons-nous au moins la douceur de souffrir pour eux. Le témoin qui souffre est aussi un martyr ; tous les martyres ne sont pas sanglants et immédiatement mortels.

« Donner sa vie jour par jour, goutte à goutte, écrivait le capitaine A. Cochin, est ce qu’il y a de plus difficile et de plus beau, ce que Dieu récompensera le plus magnifiquement[1]. »

« Le véritable martyre ne consiste pas seulement dans l’effusion du sang, dit saint Jean Chrysostome. Le martyre consiste aussi dans l’entier éloignement du péché, dans la pratique et l’observation des commandements de Dieu. La vraie patience dans les adversités nous rend aussi martyrs. »

Car le martyre est avant tout un témoignage ; en cela consistent sa valeur et son attrait ; il est aussi un apostolat. Il n’y a pas, malgré les apparences, de martyre inutile.

Comme les apôtres furent les témoins de la résurrection de Jésus-Christ et de la vie éternelle, nous pouvons devenir les témoins du monde invisible et de nos bien-aimés ressuscités, leurs interprètes ici-bas et en quelque sorte, les agents de liaison entre le ciel et la terre. Magnifique vocation de l’épreuve acceptée !

Nous ne manquerons pas de secours dans notre immense tâche. À toute heure, à tout moment, l’Ami divin se tient à notre côté, que nous sentions ou non sa présence. Il semble, si je puis me servir de cette image imparfaite, qu’une de ses mains soutienne les nôtres, ses pauvres enfants terrestres, et que dans l’autre soient rassemblées les mains de nos frères célestes.

Lorsque nous traversons des périodes d’angoisse particulière, quand reviennent les anniversaires douloureux, ou ces jours de fête autrefois si lumineux, à présent si noirs, nous pouvons d’avance, par l’espoir et la pensée, nous envoler vers la maison du Père, évoquer là-haut les élus et les anges, le Rédempteur miséricordieux, leur parler, le prier, nous détourner de la terre assombrie pour contempler le paradis, et, nous réfugiant du présent dans l’avenir, nous préparer à la joie éternelle des bienheureux.

« Je vis, dit saint Jean, une porte ouverte dans le ciel. » (Apoc., iv, 1.) Cette porte n’est jamais tout à fait close pour ceux dont le cœur est dans le ciel avec leur trésor.


À LA VEILLE DES FÊTES


Le ciel est clair, le soleil luit
Au milieu de la brume blanohe ;
Mais plus de feuilles sur la branche,
Et bientôt tombera la nuit.

Les jours sont brefs et les fleurs rares ;
Noël va revenir demain,
Projetant sur le noir chemin
La lueur des célestes phares.

À mon foyer désert, je veux
Songer aux éternelles fêtes ;
Vers le Christ et les divins faîtes,
Vers ce que j’aime, vont mes vœux.

Tu me diras de tendres choses,
Écoute ; nous parlerons bas.
Je reposerai mon cœur las
Dans cette paix où tu reposes.

Je sais que tu m’aimes ; je crois
Qu’à jamais nous serons ensemble ;
Déjà dans son cœur nous rassemble
Par sa grâce le Roi des rois.

Et ne pense pas que j’envie
Ceux dont les bonheurs seront courts ;
Mes pleurs, mes espoirs, mes amours
Sont pleins de l’éternelle vie.


  1. Lettre au comte-Louis de Lasleyrie. (Avril 1916.)