Librairie académique Perrin (p. 212-217).

XXXI

INTUITIONS, PRIÈRES ET VISIONS

Tous les espoirs nous sont permis : « Les morts sont des invisibles, ce ne sont pas des absents », a pu dire un orateur chrétien[1], résumant ainsi de nombreuses expériences générales et habituelles, non des faits extraordinaires et singuliers.

On a prétendu prouver scientifiquement la survivance de l’âme par des visions, des auditions, des apparitions, des intuitions difficiles ou impossibles à expliquer dans l’état actuel de nos connaissances. Une simple négation, un doute ne résolvent pas plus l’énigme qu’une affirmation. Il y a là un immense et nuageux domaine où nous ne voulons pas nous aventurer, car nous sommes dans un autre ordre de réalités, celui des vérités morales qui confondent l’intelligence et se révèlent au cœur : « Dieu sensible au cœur, non à la raison. » (Pascal, Pensées, Sect. iv, pensée 278.) Une preuve scientifique ne ferait d’ailleurs que reculer le problème. La doctrine des atomes, comme celle des électrons, même fortement établie, entraînerait toujours la question : « Mais qui a créé l’atome ou l’électron ? »

Dans la vie de Jeanne d’Arc, la Pucelle de seize ans, brûlée vive à dix-neuf ans après avoir sauvé la France, le miracle éclate à tous les yeux. Quoi de plus prodigieux que les réponses de cette ignorante enfant à des juges érudits et retors ? D’où lui venaient une science si haute, des vues si extraordinaires, un si surnaturel bon sens ? Ses voix ? Illusion ? Mais comment des hallucinations, choses folles, engendrent-elles une si parfaite sagesse ? S’il est sincère, le savant le plus grand, le plus positif, vous répondra : « Mystère ! » Et Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. » (Pensées, Sect. iv, pensée 277.)

La raison ne nous conduit qu’au seuil du sanctuaire et on ne peut lui demander que de constater les effets d’une cause qui lui demeure étrangère.

Nous ne chercherons pas à lui faire violence ; nous resterons dans le sùr royaume de l’obéissance et de la confiance en Dieu. Là nous serons avec nos bien-aimés.

Voici l’heure de la prière et des actions de grâces, celle où les ardeurs du soleil s’éteignent, où les étoiles s’allument, tandis que les cloches pleurent le jour expirant et que, dans l’âme du pèlerin, s’élève poignant avec la nostalgie de la patrie, le regret des douces amitiés perdues.

« Mais l’heure aussi, écrivait Mme  Faure-Goyau à propos de Newman, où Dieu se penchant sur les hommes, ramène dans leurs cœurs l’ineffable présence de ceux qu’ils ont remis entre ses bras. Laissons mourir dans notre âme toutes les rumeurs du jour et soyons attentifs à la voix des chers disparus. Laissons descendre à nous leur message de paix. Élevons notre âme vers eux, vers leur monde, vers le Père qui est aux cieux et prions, unis à ceux que nous ne voyons plus, mais dont nous savons qu’ils ne nous abondonnent pas. Notre Père qui êtes aux cieux ! Leur Père et le nôtre ! Que votre volonté soit faite ! Que votre règne arrive en eux et en nous dans les uns comme dans les autres, pleinement, sans limites, absolu ![2] »

Je ne prétends pas répudier la possibilité d’autres relations entre les vivants et les morts, quoique cette union dans la foi, l’espérance et la divine charité, soit assurément la seule nécessaire en attendant la réunion éternelle et complète.

J’ai acquis la conviction qu’une mère pieuse, enlevée à la fleur de l’âge, continue à protéger les enfants qu’elle dut laisser orphelins et sur lesquels ceux qui veillent ici-bas sentent planer parfois comme une influence, une sauvegarde secrètes. Des êtres marqués pour une mort prochaine, devinent souvent autour d’eux des présences invisibles et parlent à ceux qui depuis longtemps ont quitté cette terre comme s’ils les voyaient autour d’eux.

Je n’oserais nier ni les intuitions prophétiques, ni les visions saissisantes. Presque chacun de nous, sans chercher bien loin dans sa mémoire, y retrouve de ces faits étranges dont il fut le témoin direct ou indirect. Mais il faut se garder d’y attacher trop d’importance, de les prendre comme de sûrs espoirs ou des articles de foi. Car on risque de tomber dans de décourageantes erreurs ou de grossières superstitions, de sombrer même dans la démence.

D’excellents chrétiens les nient péremptoirement et seraient même disposés à s’en scandaliser comme d’une illusion diabolique ; d’autres y croient ermement. De même, certains incrédules sourient et lèvent les épaules, tandis que des gens rebelles à tout dogme religieux, admettent volontiers la réalité des songes les plus extravagants et des fantômes les moins vraisemblables.

Il me semble que tous seront d’accord pour apprécier le bon sens parfait et la sincère piété des lignes que je vais citer.

Elles furent écrites cependant à une époque et dans un pays de foi rude et intransigeante, l’Espagne du xvi° siècle, et adressées à la plus mystique des religieuses par un prêtre surnommé l’apôtre de l’Andalousie, Jean d’Avila, qui d’après ses contemporains, saint Pierre d’Alcantara et saint François Borgia, possédait le don de contemplation sublime, celui des miracles, celui de prophétie et de discernement des esprits.

Ce bienheureux Jean d’Avila, consulté par sainte Thérèse sur les révélations dont elle était favorisée par Dieu, lui répondait : « Les visions imaginaires (c’est-à-dire celles qui se présentent sous forme d’images) et les corporelles sont les plus douteuses. On ne doit nullement les désirer, il faut s’y soustraire autant qu’on le peut… L’homme doit supplier Notre-Seigneur de ne pas le conduire par la voie des visions, mais de lui réserver pour le ciel le bonheur de le voir, lui et ses saints… La sainteté consiste uniquement dans l’amour de Dieu et du prochain accompagné de l’humilité. Quant aux effets dont nous parlons, (les visions surnaturelles) même lorsqu’ils partent d’un bon principe, il faut en faire peu d’estime et donner toute son application à la vraie humilité et à l’amour de Dieu. Il ne convient pas non plus d’adorer des visions de ce genre. Adorons Jésus dans le ciel. Ce qui se présente aux yeux de mon imagination doit être pour moi une image qui me conduise à Celui qu’elle représente[3]. »

  1. Mgr Bougaud. D’après Victor Hugo. Oraison funèbre du Commandant Berthe de Viller, tué au Tonkin en 1884.
  2. Mme Lucie Félix-Faure Goyau. Choses d’Âmes, p. 168 et 171.
  3. Lettre du 21 septembre publiée pour la première fois par le père Gratien, dans son Dilucidario, et reproduite dans les Œuvres complètes de sainte Thérèse de Jésus (Traduction nouvelle des Carmélites, tome II, p. 162).