Librairie académique Perrin (p. 189-194).

XXVIII

L’ASCENSION : ACCEPTER

Fréquemment, après un grand deuil, le déchirement de la séparation, l’angoisse atroce et comme apeurée de la solitude subite, sont atténués au bout d’un temps plus ou moins long par le sentiment intense d’une communion mystérieuse avec le disparu. On le contemple par les yeux de lame, on entend sa voix ; en toute circonstance, l’être chéri nous apparaît ; nous écoutons ses réflexions, ses conseils, les mots tendres qu’il nous murmurait… Puis, peu à peu, à mesure que la plaie saignante se cicatrise, que le vide se comble, il semble que la chère présence se fasse plus vague, plus lointaine, que la vive image s’efface…

L’isolement revient, on s’y résigne, content de souffrir moins ; d’autres affections surgissent ou se développent, remplaçant les anciennes. Les morts sont bien morts et dépossédés. C’est l’histoire de Ginevra traînant au clair de lune son long linceul dans les rues étroites de Florence et faisant devant elle fuir les vivants épouvantés, y frappant en vain à la maison de ses parents, de son mari qui barricadenL portes et fenêtres à l’aspect de ce fantôme dont la place n’est plus à leur foyer.

Mais nous ne nous adressons pas ici aux cœurs oublieux et trop vite consolés ; c’est aux autres que nous disons : « N’accusez pas votre mémoire ; elle est plus fidèle que vous ne pensez ; et soudain le hasard d’une rencontre ou d’une lettre, d’un objet retrouvés, d’un endroit reconnu, d’un parfum, d’un rêve vous rendra plus nettes, plus distinctes que jamais, la figure bien-aimée, la voix pleurée.

Surtout ne vous imaginez pas être oubliés vous-mêmes. Il dépend de vous dans la plupart des cas, me semble-t-il, que la séparation complète n’ait jamais lieu.

Nous croyons que la mort est le début ou la suite d’une ascension qui peut avoir déjà commencé ici-bas. Quand Dieu appelle à lui ceux que nous aimons, il nous invite à les suivre. Ne cherchons pas à les retenir, à les abaisser vers nous, mais plutôt à nous élever jusqu’à eux. Gardons-nous dans le désir effréné de leur présence matérielle, d’avoir recours à des pratiques dangereuses pour l’équilibre mental et moral, à des évocations suspectes que l’Écriture sainte et la discipline de la tradition chrétienne sont d’accord avec le bon sens pour interdire absolument.

Tout ce qui est charnel dans notre amour doit s’évanouir, nécessité inéluctable, car il ne s’adresse plus désormais à un corps, mais à une âme ; les satisfactions des sens, celles de l’orgueil, de l’amour-propre, de l’égoïsme sont perdues ; l’appui, la protection extérieurs ont disparu, chose bien amère. Nous sommes donc appelés à un grand sacrifice ; il faut commencer par le faire, par accepter.

Accepter, accepter l’épreuve ; ne pas refuser ce que Dieu nous demande, ne pas nous révolter contre sa volonté, lui donner ce qu’il nous prend. Il faut le mettre dans notre cœur à sa place qui est la première, lui accorder une complète confiance, une soumission absolue, les yeux sur la croix où Lui-même s’immola pour nous en la personne de son fils.

Alors s’accomplit en nous la prédiction du vieillard Simeon à la Vierge Marie : « Une épée te transpercera l’âme. » (Luc, ii, 35.)

Mais alors aussi, avec le tranchant, la douleur mortelle du glaive, pénètre au plus profond de nous-même la paix qui surpasse toute intelligence, la paix incompréhensible du Christ.


EN SILENCE

Les yeux sont clos où rayonnait ta joie ;
Dieu te retire ton trésor.
Sous la douleur sans nom, ta force ploie,
Et ton ange a pris son essor.

Ton âme en deuil est solitaire et veuve ;
Il lui faut, sans terrestre appui,
Subir la sombre et déchirante épreuve
En songeant au bonheur enfin.

Incline-toi sous la main qui te frappe,
iv|2}}Dieu dans sa rigueur est clément ;
De peur qu’un cri trop âpre ne t’échappe,
Pleure silencieusement.

Elle est heureuse en sa nouvelle vie
Et ne souffrira jamais plus,
L’âme qu’hier ton Seigneur t’a ravie,
Et qui chante avec les élus.

Sans hésiter, la douleur qui te broie,
N’est-ce pas, tu l’accepterais
Pour que là-haut, de l’éternelle joie,
Ton amour s’abreuve à longs traits !

Ô cœur navré, souffre donc en silence !
Ton deuil pourrait percer les cieux :
Ne permets pas à ta douleur immense
D’attrister ton ange joyeux.