Librairie académique Perrin (p. 195-200).

XXIX

RENONCEMENT ET SOUMISSION

« Mourir pour vivre. » Ces mots d’une devise bretonne expriment une grande vérité. En acceptant la mort de l’être qui nous était plus cher que la vie, nous consentons à mourir à nous-mêmes, à ne plus connaître le bonheur terrestre, les espoirs de ce monde :


« Et moi, depuis longtemps je suis morte à la vie,


déclare l’Antigone de Sophocle,


Pour suivre et pour servir ceux-là qui ne sont plus. »

Mais le poète de l’antiquité qui incarnait son idéal en son admirable héroïne, ne pouvait avoir de la mort et de la vie la même conception que les disciples du Christ. Nous répétons après le Seigneur Jésus : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. » (Matth., v, 4.) En effet pour nous, la consolation surpasse encore la douleur.

« Le ciel luit pur et transparent
Sur l’âpre, la sanglante voie ;
Le bien que j’espère est si grand
Que chaque peine est une joie, »


chante saint François d’Assise[1]. Et nous renonçons à l’existence d’un jour afin de vivre avec nos bien-aimés de la vie éternelle : « Comment, demande l’Êcriture, deux marcheront-ils ensemble s’ils ne sont pas d’accord ? » (Amos, iii, 3.) Il s’agira désormais pour nous de nous laisser guider dans un chemin que nous n’aurions pas choisi de notre plein gré. De quelle façon nous sera-t-il indiqué ? De bien des manières différentes, mais assez clairement, n’en doutons pas.

Si le renoncement est la première condition de notre communion avec ceux qui nous précèdent auprès de Dieu, la soumission, l’humilité ne sont pas moins nécessaires : « S’offrir par les humiliations aux inspirations » (Pascal), parole pleine de sens.

Nous éviterons par notre humble docilité l’écueil de l’auto-suggestion. Si la révolte nous rend sourds, l’orgueil nous aveugle et la vanité nous convainc de ce que nous désirons croire. Newman disait de son ami défunt : « Il a soif de parler comme moi de savoir ; néanmoins l’un et l’autre nous nous contenons[2]. »

Retenue qui n’exclut pas l’union profonde, la compréhension intime, qui n’est pas le mutisme absolu, mais le respect du mystère divin, inaccessible à l’esprit encore enfermé dans la chair. Si nous ne nous taisons pas, comment entendrons-nous ? Ceux que Dieu a pris à lui ne sont plus nos égaux, mais nos supérieurs ; ils savent ce que nous ignorons. Sans être des anges nous-mêmes, il se peut que nous aimions désormais des anges ; apprenons à nous incliner devant leur volonté qui se confond avec celle de Dieu.

Nous commettons une erreur capitale en essayant de leur imposer nos désirs puérils, en exigeant d’eux par exemple qu’ils nous apparaissent à un moment précis, sous une certaine figure, d’une façon déterminée par nous, qu’ils accomplissent pour nous telle ou telle chose, qu’ils nous accordent telle ou telle faveur… Nous attendons en vain la réponse à ces impérieuses demandes, nous n’obtenons pas ce que nous souhaitons si ardemment, et alors nous désespérons, absurdes et bien pitoyables.

Notre attitude doit être tout autre, celle de la soumission la plus complète ; car le Ciel ne nous répond qu’à son heure qui n’est généralement pas la nôtre, et pour entendre ce qui vient de lui, il faut presque toujours que nous soyons en état de grâce, que sa parole trouve en nous un écho. Tout ce qui nous sépare de Dieu, le Dieu d’amour, nous éloigne de nos bien-aimés ; nous ne devons les chercher qu’auprès de lui en qui tous vivent.

La tendresse véritable est désintéressée, non souillée d’ambition et de vanité, pure, c’est-à-dire simple, et obéissante, ce qui signifie patiente ; elle est fervente et zélée aussi. Nous ne pouvons offrir à nos hôtes divins que la pauvre maison de notre cœur ; nettoyons-la et ornons-la de notre mieux. Surtout n’en fermons pas la porte à Notre-Seigneur Jésus. Quand Il viendra l’habiter avec ses anges, il la rendra digne de lui. « Un amour qui survit à tout, voilà, s’écriait Eugène Bersier, ce que Jésus a fait connaître à l’humanité[3]. »


TU PEUX VENIR

Tu peux venir sous un babil sévère et rude,
Le visage caché par un capuchon noir,
Spectre de la misère et de la solitude :
Nous savons que tu es la lumière et l’espoir.

Mystérieux Ami dont nous cherchons l’étreinte,
Nous le reconnaîtrons quand tu nous frapperas ;
Pour fuir l’angoisse et triompher de toute crainte,
Nous nous réfugierons éperdus dans tes bras.

Lorsque tu nous a pris notre trésor suprême,
À nos cris, nos sanglots, lorsque tu semblais sourd,
Implacable et muet ainsi que la mort même,
Nous n’avons pas douté de toi ; tu es amour.



  1. Tal è il ben ch’io m’aspetlo — Ch’ogni pena è diletto.
  2. Lucie Félix-Faure Goyau. Choses d’Âmes, p. 170.}}
  3. L’amour de Dieu révélé par Jésus-Christ. Sermon d’E. Bersier.