Librairie académique Perrin (p. 182-188).

XXVII

COMMENT NOUS LES FAISONS
REVIVRE ICI-BAS

« Par cette pratique, nous les faisons revivre en quelque sorte, dit Pascal, puisque ce sont leurs conseils qui sont encore vivant et agissant en nous. »

Et c’est là notre première récompense ; en suivant les traces de nos bien-aimés, en leur obéissant, nous reconnaissons bientôt que nous ne sommes plus seuls, mais qu’ils marchent avec nous ; nous les rencontrons à chaque pas, nous retrouvons leurs gestes, leur nom, leurs paroles, nous apercevons leur reflet sur des visages surpris de les revoir en nous. Nous leur servons en une certaine mesure d’intermédiaire et d’interprète, et en nous soumettant à leur influence, en accomplissant leurs desseins, nous rendons cette influence plus forte, ces desseins plus clairs, nous nous les expliquons et les comprenons mieux. L’âme chérie hante de plus en plus notre âme et la possède, s’impose à elle qui se sent profondément et délicieusement pénétrée, gouvernée. C’est un miracle de l’amour.

À propos de quelques pages pieusement rassemblées en souvenir d’une disparue aimée et regrettée, le capitaine Augustin Cochin écrivait ces lignes émouvantes à celui qui les lui avait envoyées : « Les âmes comme la sienne ne se révèlent tout à fait qu’au delà de la mort. On croit les connaître, les juger à leur prix, car elles sont limpides et transparentes et quand Dieu nous les reprend, on s’aperçoit qu’on y voyait bien mal et qu’on a laissé passer le plus beau. Votre petit recueil me le prouve une fois de plus… J’espère que vous ne m’oublierez pas dès qu’il sera imprimé, même si je suis encore dans quelque tranchée ou plutôt surtout, et je ne saurais dire quel bien on trouve à lire de telles pages, à communier avec de telles âmes dans cette existence entre ciel et terre, où on ne sait plus très bien si on est plus près de ce monde que de l’autre[1]… »

Moins d’un an après, le capitaine Cochin avait, par la voie du sacrifice héroïque, rejoint les âmes dont il parlait d’une façon si touchante. Nous aussi, quelque longue que doive encore être, ou nous sembler, notre vie ici-bas, nous retrouverons beaucoup plus vite que nous ne pensons ceux qui ont emporté la meilleure part de nous-même. En attendant suivons le conseil de Pascal :

« Faisons-les donc revivre devant Dieu en nous de tout notre pouvoir et consolons-nous en l’union de nos cœurs dans laquelle il me semble qu’il vit encore, et que notre réunion nous rend en quelque sorte sa présence, comme Jésus-Christ se rend présent à l’assemblée des fidèles. » (Lettre à Mme Périer.)

Comme Jésus-Christ… C’est Lui toujours, le Modèle, le Précurseur, le Réalisateur, le Lien entre les vivants et les morts, Celui par lequel les auges descendent sur la terre et remontent aux cieux…

La douce et consolante expérience de Pascal est à notre portée ; en nous réunissant à ceux qui aimaient nos disparus dans a même pensée, la même tendresse, le même regret et le même désir, nous évoquons nos bien-aimés à tel point que nous avons l’impression qu’ils vivent encore au milieu de nous, le sentiment très vif et frappant de leur présence. Il ne s’agit là d’aucune manifestation matérielle, d’aucun phénomène de spiritisme, mais d’une évocation toute spirituelle et morale. Le seul magnétisme est celui de l’affection et de la douleur partagées, le courant unique, celui d’une profonde sympathie. Et l’effet bienfaisant, réconfortant, n’a rien d’illusoire. C’est aussi un miracle de l’amour.

On ne saurait, à proprement dire, l’expliquer, les faits d’ordre surnaturel ne s’expliquant guère.

Il me semble pourtant que les innombrables témoins invisibles dont nous sommes entourés, cherchent souvent, si ce n’est toujours, à se révéler à nous, que l’obstacle à cette communion entre eux et nous ne vient pas d’eux, mais de nous, de notre incrédulité, de notre indifférence ou de notre timidité, de nos appréhensions. Nous sommes distraits, enfoncés dans les préoccupations et les convoitises terrestres, possédés par mille inquiétudes frivoles, attentifs à tous les bruits du monde, ce qui nous rend terriblement sourds aux appels de l’au-delà.

Quand par hasard nos bien-aimés nous voient rassemblés et réunis dans la même amitié pour eux, ils en profitent pour nous faire sentir qu’eux au moins ne nous abandonnent pas… Car sans le savoir même, si souvent nous nous éloignons d’eux, nous leur sommes rebelles et infidèles !



LA PRESENCE INVISIBLE


Je fermerai la porte et nous serons ensemble,
            Ô toi que je ne puis plus voir !
Sous l’invisible vent comme la branche tremble,
            Mon âme frissonne d’espoir.

Je demeureurai grave et froide en apparence
            Le front incliné, les yeux clos,
Tels que sont loin des voix, du bruit, de la souffrance
            Les morts du solitaire enclos.

Toi, pleine de pitié, mais sans ouvrir la bouche.
            Ni me tendre encore les bras,
Tes yeux divins fixés longuement sur ma couche,
            Ma sœur, tu me regarderas.

Dans la muette nuit j’entendrai ton silence,
            Je laisserai fidèle et fort
Te répondre mon cœur qui vers le tien s’élance,
            Malgré le voile de la mort :

Malgré le faix pesant qui me lie et m’écrase,
            Moi je te parlerai tout haut ;
L’ombre m’entoure en vain ; j’échappe par l’extase
            À l’innombrable et noir assaut.

Ainsi je te parlais quand je vivais à peine,
            Que tu me rappelais au jour
Sans me dire un seul mot, par la puissante chaîne
            De ton fervent et pur amour.

À la vie à présent tu m’appelles encore,
            Douce messagère des cieux,
Et je sais qu’en ma nuit poindra bientôt l’aurore
            D’un grand bonheur mystérieux.



  1. Lettre du capitaine A. Cochin à Armand Lods de Wegmann (1915).