Librairie académique Perrin (p. 116-120).

XVII

LES IMMORTELLES AMITIÉS

Nous avons donc le droit de désirer, de réclamer la réunion éternelle avec nos bien-aimés, et l’Évangile nous ouvre à ce sujet des perspectives infinies.

Saint Paul déclare aux Corinthiens : « Nous croyons, et c’est pour cela que nous parlons, sachant que Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera aussi avec Jésus, et nous fera paraître avec vous en sa présence. » (II, Cor., iv, 14.) Et un peu plus loin, dans la même épître, il ajoute : « Vous êtes dans nos cœurs pour vivre ensemble et pour mourir ensemble. » (II, Cor., vii, 3.)

En effet l’apôtre, pharisien, fils de pharisien, qui était animé à l’égard de ses compatriotes d’une si brûlante charité qu’il s’écriait : « J’ai dans le cœur un chagrin continuel, cer je voudrais être anathème et séparé de Christ pour mes frères, mes parents selon la chair qui sont Israélites » (Rom., ix, 2, 3), s’était attaché non moins ardemment et tendrement à ses prosélytes, païens d’origine, à ses fils spirituels.

Il avait vécu avec la plupart d’entre eux de longues années, les exhortant nuit et jour, souvent avec larmes, travaillant de ses mains pour ne leur être point à charge ; les lettres qu’il leur écrit sont remplies des expressions les plus affectueuses, de la plus touchante sollicitude. Les aime-t-il pour ce monde ou surtout pour l’autre ? « Qui est en effet, dit-il aux Thessaloniciens, notre espérance ou notre joie, ou notre couronne de gloire ? N’est-ce pas vous aussi, devant Notre-Seigneur Jésus, lors de son avènement ? » (I, Thess., ii, 19.)

Douces paroles, resplendissantes d’un magnifique espoir et que, maintes fois depuis, des parents, des maîtres chrétiens ont redites à leurs enfants, à leurs disciples. Pères et mères dont les fils et les filles, dociles jusqu’à la mort aux nobles traditions, aux pieux enseignements qu’ils avaient reçus de vous, se sont immolés à leur devoir, vous qui pleurez devant un foyer vide sur le sacrifice d’un si utile, d’un si bel avenir, vous qui vous lamentez, soupirant : « La couronne de ma tête est tombée », n’oubliez pas que votre espérance, votre joie, votre gloire sont devant le Christ crucifié et ressuscité, dans la patrie éternelle, en la personne de vos bien-aimés.

Lorsque saint Paul attendait Le martyre dans les prisons romaines, il écrivit à son disciple Philémon une touchante petite épître où il intercédait en faveur d’Onésime, esclave de Philémon qui s’était enfui de chez son maître ; l’apôtre l’avait converti au christianisme et le renvoyait à Philémon en priant celui-ci de pardonner au fugitif repentant. Or, cette requête émouvante, charmante de délicatesse, renferme ces mots caractéristiques : « Peut-être Onésime a-t-il été séparé de toi pour un temps afin que tu le recouvres pour l’éternité, non plus comme un esclave mais… comme un frère bien-aimé. » (Phil., v, 15 et 16.)

C’est un commentaire de la parole du Christ : « À la résurrection des morts, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront comme les anges dans les cieux. » (Marc, xii, 27.)

Ce qui ne signifie pas du tout que dans l’au-delà les affections humaines seront supprimées, mais au contraire, que l’amour sera le seul lien entre les rachetés. La femme ne sera plus assujettie à l’homme, ni l’esclave à son maître ; ils s’aimeront en liberté, comme des frères, comme des anges. Et ils se reconnaîtront puisqu’après une brève séparation, ils se retrouveront pour l’éternité.

Philémon avait perdu son infidèle esclave Onésime… Dieu, par l’intermédiaire de l’apôtre, lui rendait un frère auquel il n’avait qu’à ouvrir ses bras pour posséder une éternelle amitié.

Nous, pour un temps, nous sommes séparés de ceux que nous chérissons. Qui sait si ce bref exil ne scelle pas notre immortelle union, s’il n’était pas nécessaire pour que tout le périssable et le charnel de notre amour, tout son égoïsme fussent anéantis ?

Un moraliste remarquait jadis que l’absence éteignait les petites affections et fortifiait les grandes. La mort est une plus redoutable, plus infaillible pierre de touche que l’absence. Seules les amours véritables triomphent d’elle.


EN RÊVE

Chère âme, je t’ai vue en rêve cette nuit ;
Tu souriais avec douceur, sereine et tendre.
La tombe à mon amour fidèle doit te rendre
Et déjà dans mon cœur un rayon du ciel luit.

Cet instant de clarté qui si rapide fuit,
M’aide à garder la foi secourable, à t’attendre ;
Bien des jours ont passe ; ton corps n’est plus que cendre,
Mais tu vis, et vers toi le Sauveur me conduit.

La mort n’a pas vaincu notre espoir ; c’est vivante
Qu’aime à te contempler ma tendresse fervente,
Toi que j’ai tant aimée et que j’aime encor mieux.

Que Dieu m’aide ! Pour prix de mes larmes sans nombre,
Je demande à ta voix, je cherche dans tes yeux
La paix dont le bonheur ici-bas n’est que l’ombre.