Librairie académique Perrin (p. 109-115).

XVI

ENSEMBLE

Ensemble, ressuscités ensemble, assis ensemble dans les cieux ; nulle part dans le monde à venir les rachetés ne nous sont représentés comme isolés. Sur cette terre, il nous faut livrer seuls, ou seuls en apparence, bien des combats, traverser bien des angoisses. Jésus-Christ est seul sur la montagne pour prier, seul aussi en Gethsémané pour agoniser, seul dans les ténèbres du Calvaire où Dieu même l’abandonne.

« Je mourrai seul », dit Pascal, car nul de ceux qui vivent encore ici-bas, ne peut nous accompagner dans notre dernier voyage ; mais, avant cette solitude suprême, que de solitudes amères ! Et combien est affreuse la sensation d’isolement que nous éprouvons aux heures sombres de nos deuils, quand l’excès de notre douleur nous empêche de sentir la présence de l’invisible Ami et que notre chair déchirée réclame aveuglément l’appui d’une main, le réconfort d’un regard charnel.

Là-haut, plus de solitude, nous serons réunis. Saint Paul le dit à ses disciples de Thessalonique afin qu’ils ne s’affligent pas au sujet de leurs défunts comme les autres qui n’ont pas d’espérance ; il leur promet au nom de Jésus qu’ils les rejoindront, qu’ils seront ensemble avec eux, qu’ils iront ensemble au-devant du Seigneur pour être toujours avec lui ; car en ces temps où l’on croyait le retour du Christ imminent, les fidèles s’attristaient à la pensée que leurs frères trépassés ne verraient pas revenir le Seigneur, qu’ils ne seraient pas là pour l’accueillir. Et saint Paul les rassure en leur rappelant que ce Sauveur a passé lui aussi par la mort et qu’il l’a vaincue ; que ceux d’entre ses disciples qui vivront dans la chair lors de son avènement ne devanceront pas les autres auprès de lui, qu’au contraire les morts en Christ ressusciteront premièrement, et que morts et vivants s’élèveront ensemble vers leur Rédempteur pour être toujours ensemble, à jamais avec lui.

« Consolez-vous les uns les autres par ces parôles », ajoute l’apôtre. (I, Thess., ii, 13, 18.) En effet, au lieu de la séparation brutale, de la chute successive dans le néant des êtres qui se sont vainement chéris ici-bas, la perspective d’une ascension lumineuse nous est ouverte… les corps se quittent, les âmes restent unies par l’incorruptible lien de leur pure tendresse. Et comme en elles brûle un amour plus noble encore que leur amour mutuel, elles montent, attirées par cette flamme vers le Christ, amour et lumière suprêmes : mais elles ne s’élèvent pas seules. Leurs pensées, leurs prières entraînent avec elles celles qui ont reçu comme elles l’étincelle divine et qui, demeurées pour un temps dans l’ombre d’ici-bas, cherchent à tâtons leurs traces, s’efforcent de suivre leurs pas, leur exemple, s’élancent continuellement vers elles, stimulées par l’âpre et salutaire éperon de la douleur… C’est ainsi que tous ensemble, les vivants et les morts, nous sommes enlevés à la rencontre du Christ, vers les régions célestes.

Un lien puissant nous unit, un lien voulu par Dieu, et l’apôtre nous le répète souvent, ne se lassant pas de nous comparer aux membres d’un même corps : « Nous formons un seul corps en Christ et nous sommes tous membres les uns des autres. » (Rom., xii, 5 — I, Cor., x, 17). Nous avons tous en effet été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps, le corps de Christ dont nous sommes les membres (I, Cor., xii, 12, 27 ), un seul corps et un seul Esprit, un corps dont le Christ est le chef, car : « C’est de lui et grâce à tous les liens de son assistance que tout le corps bien coordonné et formant un solide assemblage tire son accroissement et s’édifie lui-même dans la charité. » (Eph., ii, 4, 16.)

Ainsi saint Paul commente la parole de Jésus rapportée par saint Jean : « Je suis le Cep : vous êtes les sarments. » (Jean, xx, 5.)

Le Christ et son amour sont le lien et la vie de cette église édifiée dans la charité, assemblage des fidèles unis par l’amour du Maître et aussi par une réciproque tendresse.

« Dieu est amour. Aimez-vous les uns les autres. » Ces deux paroles résument tout l’enseignement de saint Jean, le disciple bien-aimé de Jésus, celui dont la tête reposait à la dernière Pâque contre le sein du Christ.

« Aimez-vous ardemment les uns les autres de tout votre cœur. » (I, Pierre, 1, 23.) « Avant tout, ayez les uns pour les autres une ardente charité (I, Pierre, iv, 8), recommande saint Pierre ; et saint Jacques formule ce qu’il appelle : « la loi royale » en ces mots : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Jacques, ii, 8.)

Tous les apôtres fidèles aux leçons de Jésus, nous prêchent la doctrine d’amour et l’épanouissement de cet amour délivré des souillures, des souffrances et des imperfections terrestres, dans la vie éternelle.

Ne semble-t-il pas impossible que Dieu nous ait ordonné aussi expressément de nous aimer pour nous en punir ensuite par la torture de la séparation définitive ? Ne sont-ils pas vains et inutilement douloureux, les doutes et les craintes des chrétiens qui se demandent si là-haut ils retrouveront et reconnaîtront leurs bien-aimés ? Pour qu’il en fût autrement, il faudrait admettre l’abolition de la personnalité et par conséquent la négation de la justice, choses absolument opposées à l’enseignement évangélique.

Quelle que soit l’apparence du corps qui nous sera donné, les âmes subsisteront ; et demeurées semblables à elles-mêmes, fidèles comme leur Maître, ne se méconnaîtront pas. Certes, avant tout, elles aimeront Dieu, mais plus elles aimeront Dieu, mieux elles s’aimeront entre elles… Jésus et ses apôtres ne cessent de le répéter et l’on ne saurait trop le redire, car toute autre doctrine religieuse est une funeste, une dangereuse corruption du christianisme.


LA SOLITUDE DU CHRIST

Quand Il priait toute la nuit, sur la colline,
Il ne voyait, jusqu’à l’aube du lendemain,
Pas un sourire ami, pas un regard humain…
Alors Jésus déjà vers Golgotha s’incline.

Ô solitude à l’heure où la clarté décline !
Solitaire au Pressoir, le Christ implore en vain
Des hommes endormis… Nulle terrestre main
Ne recueillit le sang de la sueur divine.

Pendant son dur exil, le Fils de Dieu fut seul
Jusqu’à l’heure où sur lui se ferma le linceul.
Nous refuserons-nous au sort de notre Maître ?

« Courbés sous la douleur, levons vers lui les yeux
Aimons patiemment, sachant qu’il nous faut être
Isolés ici-bas, ensemble dans les cieux.