Librairie académique Perrin (p. 70-79).

XI

JESUS RESSUSCITÉ

Pendant les quarante jours qui séparent Pâques de l’Ascension, les Évangiles nous peignent le Seigneur Jésus accoutumant ses disciples au fait de sa résurrection, leur démontrant en quelque sorte la vie éternelle.

Par sa présence visible, Il les prépare à sa présence invisible : « Je m’en vais et je reviens vers vous », leur avait-il dit. (Jean, xiv, 28.) Il s’en est allé sur la croix dans les ténèbres de la terreur et de l’angoisse, laissant les siens épouvantés, désespérés, anéantis… Il revient mystérieusement avec l’aube printanière. Dans le jardin où Marie-Magdelaine mêle ses larmes aux gouttes lumineuses de la rosée d’avril, il apparaît et lui parle sans que d’abord elle le reconnaisse ; elle redemande en sanglotant le pauvre corps sanglant et défiguré qu’elle regardait agoniser sur le gibet : « Marie ! » lui dit Jésus… À cet appel, rayon de soleil dans l’abîme sombre de sa détresse, elle se retourne et voit le Rédempteur ressuscité, radieux… (Jean"", xx.)

Sur le chemin où les disciples d’Emmaüs s’entretiennent de leur inconsolable tristesse, à l’heure où les reflets magiques du crépuscule remplissent de pourpre et de rose le ciel de Judée, un homme marche auprès d’eux. Il leur demande le sujet de leur peine ; il les console, il les éclaire : ses paroles sont douces et ardentes comme les flammes du ciel oriental, et les pauvres pèlerins sentent leur cœur brûler dans leur poitrine en les écoutant… Ils pressent leur compagnon d’entrer chez eux, de s’asseoir à leur table et tout à coup, lorsque leur hôte rompt et leur donne le pain, image du corps brisé pour eux, au geste auguste de la bénédiction, ils le reconnaissent à l’instant même où le Christ, sa mission près d’eux accomplie, disparaît à leurs yeux. (Luc, xxiv.)

Voici au milieu du Cénacle, le Ressuscité présent soudain, malgré les portes fermées… Les apôtres ne comprennent pas plus vite que Marie au jardin, ou les disciples sur la route ; il faut, pour les convaincre, que Jésus leur montre ses mains percées et son côté troué… Quelques jours après le sceptique Thomas voudra toucher ces blessures. Le Christ se révèle par les stigmates, de ses souffrances ; il les a emportés dans le ciel comme un témoignage de son amour pour ses misérables frères. « Notre-Seigneur voulut, dit saint Ambroise, porter dans son corps glorieux les cicatrices de ses plaies comme les trophées de sa victoire sur la mort, l’enfer et le péché. »

Ne conserverons-nous pas aussi dans la vie future, ainsi que d’ineffaçables empreintes, le souvenir de nos douleurs, celles que nous avons endurées pour notre Maître et pour ses amis, et celles qui nous ont rapprochés de lui ? Nous serons guéris, mais nous nous souviendrons, et nos blessures nous seront un signe de reconnaissance, car la résurrection du Sauveur est l’image et la promesse de la nôtre.

Pendant quelques jours, Jésus se montre aux siens encore tout éperdus de sa mort, au lieu même de son supplice, à Jérusalem et dans les environs de la ville sainte où plus tard il doit revenir et se séparer d’eux. Mais il leur avait, fait dire par ses anges et par les femmes auxquelles il était apparu d’abord, de retourner en Galilée, dans leur pays.

…Là il semble qu’avec une touchante délicatesse, une tendresse miséricordieuse, le Rédempteur triomphant ait voulu vaincre les derniers doutes, apaiser les suprêmes inquiétudes de ses apôtres en se montrant à eux dans le cadre familier de leur ancienne existence, sur ce rivage où il les avait appelés à le suivre, où pendant tant de jours et de nuits, il avait erré et navigué auprès d’eux, partageant leur pauvre nourriture, multipliant les pains et les poissons, apaisant les tempêtes, guérissant les malades, annonçant aux humbles la bonne nouvelle.

Ce fut un matin aussi, après toute une nuit de stérile labeur où ils avaient jeté leurs filets sans rien prendre, que sept des apôtres aperçurent pour la première fois leur Maître sur le bord de la mer galiléenne… À cette époque, les campagnes qui entourent la coupe harmonieuse du grand lac bleu, sont un tapis aromatique et multicolore de fleurs pressées les unes contre les autres… Les premiers rayons du soleil dépassaient la cime dorée des monts gadaréniens et illuminaient la rive riante de Tibériade, les champs et les vergers scintillants de rosée, les palmes frémissantes, les oliviers aux feuilles légères, les vagues vaporeuses et limpides, étincelantes soudain.

C’étaient l’heure et la saison que célèbre le Cantique des cantiques : « Mon bien-aimé me dit : Lève-toi, ma bien-aimée, ma belle, et viens ! Car voici, l’hiver est passé, la pluie a cessé, elle s’en est allée. Les fleurs paraissent sur la terre. Le temps de chanter est arrivé ; la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes ; le figuier développe ses fruits naissants et les vignes en fleurs exhalent leur parfum. « (ii, 10-13.)

Jésus est là debout sur le rivage, dans la magnificence du réveil printanier ; il regarde les pauvres pêcheurs affamés et transis, et prenant part a leur misère : « Enfants, leur demande-t-il avec une affectueuse cordialité, n’avez-vous rien à manger ? »

Puis il répète pour eux qui en avaient été si émus jadis, le miracle de la pêche extraordinaire. Ils se souviennent et le reconnaissent, mais le Maître ne borne pas là sa sollicitude ; lorsque les apôtres descendent à terre, traînant après eux le filet surchargé qui ne se rompt point, ils trouvent un feu allumé, du poisson grillé, du pain que le Christ leur distribue. Il réchauffe et rassasie le corps des siens ; quand ils sont réconfortés, en état de recevoir ses instructions, Jésus s’occupe de leur âme. C’est alors qu’il console et relève Pierre encore accablé du reniement, et de quelle divine manière, en lui faisant affirmer trois fois ce que trois fois il avait nié, en lui demandant un sacrifice plus absolu, en lui confiant plus spécialement qu’aux autres la tâche de l’apostolat, en lui rédisant le glorieux martyre par lequel il devait racheter sa lamentable défaillance. (Jean, xxi.)

Les quarante jours écoulés, le Christ remonte vers son Père, retourne à l’unité divine ; désormais les siens ne le verront plus ici-bas de leurs yeux mortels. Comment les encourage-t-il au moment de cette séparation nouvelle, si douloureuse encore ?

Il leur annonce qu’il reprend l’attribut de la toute-puissance, il leur indique en quelques mots le devoir magnifique qu’il leur laisse : Lui servir de témoins, convertir le monde entier au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, cet Esprit qui sera en eux l’invincible pouvoir du Très-Haut : « Et voici, (c’est le dernier mot de l’Ëvangile selon saint Matthieu), Je suis tous les jours avec vous jusqu’à la fin du monde. » (Matth., xxviii, 30.)

Ô divine promesse, consolation ineffable, immense ! Béni sois-tu, Toi qui, après avoir tant souffert pour nous pendant ton si court et si long passage sur la terre, ne te résignes pas à nous abandonner, mais qui veux encore nous assister dans nos angoisses et nos indicibles souffrances, en les allégeant par ta présence, en les partageant par ta compassion.

« Digne parole de l’Ëpoux céleste qui engage sa foi pour jamais à sa sainte Église, dit Bossuet. Ne craignez point, mes apôtres, ni vous qui succéderez à un si saint ministère ; moi ressuscité, moi immortel, je serai avec vous ; vainqueur de l’enfer et de la mort, je vous ferai triompher de l’un et de l’autre, et l’Église que je formerai par votre saint ministère sera, comme moi, immortelle. »


LA CHAMBRE HAUTE

La foule déicide à Jérusalem gronde ;
Judas s’est immolé farouche à son remords,
Et dans la chambre haute, assemblés loin du monde,
Les apôtres tremblants pleurent sur leur Dieu mort.
Soudain leur cœur frémit, la maison s’illumine ;
Au milieu d’eux paraît la figure divine.
Tendant vers eux ses mains que percèrent les clous,
Le Christ vivant leur dit : « La paix soit avec vous ! »

Seigneur, nous sommes seuls contre la haine en armes
Et ce sont nuit et jour d’incessantes alarmes…
Qu’avons-nous fait pour exciter un tel courroux ?
Nos mains n’ont plus de force et nos yeux plus de larmes…
          — La paix soit avec vous !

À notre table il s’est assis, l’immonde traître ;
Il a vendu Celui qu’il appelait : « Mon Maître ! »
Et le plus vil de tes bourreaux put, comme nous,
Se dire l’un des tiens, t’entendre et te connaître !
          — La paix soit avec vous !


Ils t’ont guetté dans l’ombre et saisi par la ruse ;
La calomnie abjecte est le gaive dont use
Ce grand prêtre plus lâche et cruel que les loups ;
Un baiser te trahit, un faux témoin t’accuse…
          — La paix soit avec vous !

Tous se sont jetés pleins de haine meurtrière
Sur Celui dont l’amour accueillait leur prière ;
Nous t’avons vu saigner et tomber sous leurs coups ;
Leurs crachats ont souillé ta face de lumière…
          — La paix soit avec Vous !

Comme un agneau muet, tu marchas au supplice ;
Tu bus jusqu’à la lie, ô Seigneur, le calice ;
Tu n’as pas foudroyé ces méchants et ces fous.
Comment Dieu permit-il un pareil Sacrifice ?
          — La paix soit avec vous !

Tu mourus dans l’angoisse et dans l’ignominie
Et tes bourreaux ont insulté ton agonie.
Quels maux subirons-nous sans toi ? Quels pesants jougs ?
N’avons-nous pas perdu l’espérance infinie ?
          — La paix soit avec vous !

Pourtant tu nous souris, tu rouvres la paupière,
Tu n’es pas demeuré sous la pesante pierre ;
Il ne t’a pas gardé, le sépulcre jaloux.
Te voici, consolant ceux qui pleuraient naguère.
          — La paix soit avec vous !


D’où naît autour de toi cette splendeur nouvelle ?
Ta gloire tout à coup à nos yeux se révèle ;
Sur ton front qui saignait, nous voyons à genoux
Fleurir et rayonner chaque épine cruelle…
          — La paix soit avec vous !

D’où nous vient cette étrange et triomphante joie,
Cette sérénité radieuse qui noie
L’angoisse et le chagrin dans son flot large et doux ?
Ton regard, Dieu vainqueur, éclaire notre voie.
          — La paix soit avec vous !

Comme toi, nous vaincrons ; nous n’avons plus de crainte ;
Sur nous, en vain, la mort clora sa sombre étreinte,
Maître vivant qui nous guéris et nous absous !
L’aurore d’aujourd’hui ne sera plus éteinte.
          — La paix soit avec vous !