Librairie académique Perrin (p. 64-69).

X

L’AURORE DE LA VIE ÉTERNELLE

Avec Jésus parut sur la terre l’aurore de la vie éternelle. Il avait dit à ses apôtres : « Quelques-uns d’entre vous ne mourront pas qu’ils n’aient vu le Fils de l’homme venir dans son règne, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance. » (Matth., xvi, 28 à xvii, 9 ; Marc, ix, 1-10 ; Luc, ix, 27-30.)

Huit jours après qu’il eut prononce ces paroles, Pierre, Jean et Jacques assistèrent à sa transfiguration. Il les fit monter avec lui au sommet du Thabor ou de l’Hermon, et là, tandis que dans le silence de la cime élevée, sous ce limpide et profond ciel d’Orient dont la coupole semble faite d’un seul saphir, Jésus priait, les disciples virent le visage du Maître rayonner ainsi que le soleil, ses vêtements mêmes prendre une blancheur surnaturelle et resplendir comme la lumière. Mais dans cette gloire qui l’environne, le Fils de l’homme ne demeure pas seul… deux personnages y apparaissent, le législateur et le prophète qui depuis des siècles avaient quitté la terre et qui redeviennent soudain visibles à des yeux humains. Moïse et Elie… Ils s’entretiennent avec le Christ du sacrifice qu’il doit bientôt accomplir à Jérusalem, de ce qu’ils appellent son départ, car, pour ces immortels, la mort n’est qu’un changement de résidence. Un instant auparavant, les trois apôtres étaient prêts à succomber au sommeil, comme les vierges folles et sages de la parabole, comme nous-mêmes, toujours distraits ou stupéfiés aux moments les plus solennels de notre existence… Mais le prodige les réveille, les remplit d’effroi ; ils se sentent sur le seuil d’un autre monde, et au travers de cette terreur, frisson de notre chair terrestre devant l’au-delà, une telle béatitude les pénètre que Pierre l’exprime sans savoir ce qu’il dit : « Maître, il est bon que nous soyons ici ; si tu veux, j’y dresserai trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie. »

Comme il nous émeut, ce désir naïf et profond devant le paradis entrevu, et quel paradis, celui où sont rassemblés les serviteurs de l’Éternel, où ils gardent leur personnalité à tel point que les plus humbles de leurs disciples les reconnaissent immédiatement par une intuition mystérieuse et claire ! Et nous ne reconnaîtrions pas nos bien-aimés, nous serions séparés d’eux dans la Maison du Père !

Mais l’heure de la félicité parfaite n’a pas encore sonné pour tous les apôtres, une nuée voile soudain le transparent abîme du ciel, ils entendent la voix divine glorifier le Christ, proclamer l’amour du Père pour le Fils et lorsque, seuls de nouveau avec leur Maître, ils descendent de la montagne et que Jésus leur recommande de taire cette vision jusqu’à ce qu’il soit ressuscité des morts, ils ne comprennent pas, ils se demandent entre eux ce que c’est que ressusciter des morts !… Et nous-mêmes, gens de petite foi, le comprenons-nous, nous qui vivons pourtant, qui devrions déjà vivre de la vie éternelle ?

La transfiguration n’en était que l’aube et l’avant-goût. La mort et la résurrection de Jésus furent le combat suprême et la victoire définitive de la Vie, triomphe assuré, mais non pas encore achevé, car il ne sera parfait qu’à la fin de ce monde.

Au moment où le Christ expire sur la croix après s’être écrié : « Tout est accompli ! » le voile qui, dans le temple, cache le Saint des Saints, se déchire du haut en bas, révélant à tous les regards le sanctuaire accessible au seul grand prêtre. En même temps, des sépulcres s’ouvrent et des saints ressuscitent, prodiges proclamant le nouveau règne et la réalisation de la prophétie adressée par Jésus à Nathanaël : « En vérité, vous verrez désormais le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » (Jean, i, 52.)

Entre le domaine céleste de la beauté, de la pureté, du bonheur infini et le monde de la douleur et du péché, plus de barrière inexorable ; le Christ a réconcilié la miséricorde et la justice par son holocauste ; il n’y aura plus qu’un seul royaume, celui de son amour.

Lui-même sera le lien entre le ciel et la terre, les âmes déjà recueillies dans le paradis et celles qui luttent encore ici-bas, les vivants et les morts. Par Lui, nous demeurons indissolublement unis à ceux qui nous ont précédés dans la paix éternelle ; par Lui aussi, ils prient pour nous, ils viennent à nous, ils nous aiment… Les anges de Dieu et les bien-aimés qui sont devenus semblables aux anges, montent dans le ciel ouvert et en descendent par le Fils de l’homme.

Et si, comme le docteur de la loi, quand Jésus lui parlait de la nouvelle naissance, nous demandons : « Comment ces choses peuvent-elles se faire ? » qu’il nous suffise de savoir et de reconnaître avec certitude par notre expérience et celle des autres, qu’elles se font.

Si la vie matérielle même est un mystère insoluble à nos pauvres intelligences, que dire de la vie spirituelle ?


AUX INVISIBLES

Amis dont la vue est ravie
À mes yeux bornés, je le sens,
Vous vous penchez compatissants
Vers ma tendresse inassouvie.

Dans la lumière que j’envie,
Vous planez libres et puissants,
Aiais vous n’êtes jamais absents
De mon âme ni de ma vie.

Invisibles dont le regard
Nous transperce de part en part,
Sans cesse mon cœur vous appelle.

Vous m’aidez à porter ma croix,
Vous qui lisez ce que j’épelle,
Vous qui voyez ce que je crois.