Librairie académique Perrin (p. 55-63).

IX

L’AMOUR DE JÉSUS

Pour vivre comme vivent nos bien-aimés invisibles, pour nous sentir unis à eux par delà le tombeau, il nous faut croire en Jésus-Christ, à ses paroles. Nous l’avons vu agir, nous l’entendons parler ; ainsi, peu à peu, il se révèle à nous. L’évangile de saint Jean est particulièrement précieux à cet égard ; il nous éclaire le plus et le mieux sur la divine personnalité du Maître.

Jésus nous y est annoncé et s’y représente lui-même comme étant la vie et la donnant ; non seulement il affirme ainsi constamment sa divinité, mais il nous expose les intentions de Dieu à notre égard, et l’on pourrait dire singulièrement du quatrième évangile qu’il est l’évangile de la vie éternelle. « Le Fils donna la vie à qui il veut… Car, comme le Père a la vie en lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en lui-même. » (Jean, v, 21, 26.) Toute cette doctrine est résumée dans le passage sublime : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle ». (Jean, iii, 16.)

Jésus-Christ est l’incarnation de l’amour divin : « Dieu est amour » (I, Jean, iv, 8) ; le Christ est amour ; la foi n’est pas exclusivement une croyance de l’esprit ; la grâce, la volonté y ont leur part, et tout ce mystérieux travail de l’âme s’épanouit en un amour confiant qui nous sauve en nous unissant à notre Rédempteur, car l’amour et la vie ne sont qu’un, et l’amour est en nous le germe de la vie éternelle… « Je vous dis à vous qui êtes mes amis… »

Saint-Jean, évangéliste aussi de l’amour, nous rapporte beaucoup de ces paroles qui s’adressent aux seuls amis de Jésus ; non que le Christ repousse personne. « Je ne mettrai pas dehors ceux qui viennent à moi » (Jean, vi, 37), déclare-t-il, ni qu’il ait une doctrine secrète… Il répand les divines exhortattions comme le semeur les graines, mais seul le bon terrain les reçoit, les cœurs ouverts les recueillent ; seules, les brebis du bon Berger entendent sa voix : « Elles le suivent, elles le connaissent, il les connaît et leur donne la vie éternelle. » (Jean, x, 27, 28.) Car entre lui et ces pauvres créatures, s’est formé le lien tout-puissant, la chaîne intime et profonde de l’amour.

Elles reconnaissent leur Sauveur comme le tout petit enfant la mère qui l’a nourri de son sang et de son lait, qui l’environne de sa vigilante tendresse. Aussi Jésus au moment de mourir dit-il à ses faibles disciples : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. » (Jean, xiv, 18.) Doucement et comme maternellement, il leur explique que son amour est plus fort que la mort et qu’entre lui et eux, la séparation qui va s’accomplir ne sera qu’apparente : « Encore un peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous me verrez parce que je vis, et que vous vivrez aussi. » (Jean, xiv, 19.) Et lorsque l’un d’eux l’interroge : « Seigneur d’où vient que tu te feras connaître à nous et non pas au monde ? » Jésus lui répond qu’il ne se révèle qu’à ceux dont il est aimé. En effet, l’Amour infini, respectueux de leur liberté, sollicite l’entrée de nos cœurs, il ne la fcrce pas… Il se tient à la porte et il frappe, il attend qu’on lui ouvre… (Apost., III, 20.)

Mai la misère du logis ne le rebute pas. À ces pauvres qui vont l’abandonner et le renier, et dont tout à l’heure il lavait les pieds poudreux, il ne se lasse pas d’exposer, de redire la puissance vivifiante et invincible de l’amour ; il s’efforce de les élever jusqu’à lui, de les fortifier, de les consoler d’avance : « Je m’en vais et je reviens vers vous… Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père. » (Jean, xiv, 28.)

Il leur enseigne ainsi un nouvel amour, un amour désintéressé qui accepte le sacrifice et y puise une force neuve. En l’aimant de la sorte, les disciples se rapprochent de leur Maître sacrifié. Mais cet amour immolé ne doit pas être impuissant et inactif ; la victime volontaire est vivante, plus vivante que jamais : « Si vous m’aimez, dit Jésus, gardez mes commandements. » (Jean, xv, 12.) Et quels sont ces commandements ? Un seul les résume tous : « Aimez-vous les uns les autres. » (Jean, xiii, 24.)

En aimant notre prochain, nous demeurons dans l’amour de Notre-Seigneur ; nous nous sentons enveloppés de la tendresse, de la sollicitude divines, nous éprouvons par le Saint-Esprit dans nos cœurs la présence effective du Christ. Nous ne sommes plus abandonnés à notre misère terrestre, mais unis pour l’éternité au céleste Ami et à nos frères de lutte et de victoire, à ceux qui combattent sur la terre et à ceux qui triomphent dans le ciel.

En effet, après avoir commandé à ses disciples de s’aimer les uns les autres, Jésus prie pour eux et pour ceux qui croiront en lui par leur témoignage, et quelle grâce implore-t-il à plusieurs reprises dans cette prière suprême ? « Que tous soient un, qu’ils soient un comme nous sommes un, qu’ils soient parfaitement un !… » (Jean, xvii.)

Ne comprenez-vous pas, vous qu’afflige tant, que désespère peut-être la séparation d’avec vos bien-aimés, quelle est, à votre égard, la toute-puissante et miséricordieuse volonté de Dieu ?

Comment condamnerait-il un amour qu’il vous ordonne, qui vous rend plus chers à ce Dieu tout amour ? Écoutez Jésus-Christ vous enseigner le désintéressement et le sacrifice, vous apprendre à désirer avant tout le bien de ceux que vous chérissez. Si vraiment vous les aimez, apprenez à vous réjouir de ce qu’ils sont déjà dans la maison du Père. En attendant de les y rejoindre, efforcez-vous, non de les oublier, mais de les aimer de plus en plus, de mieux en mieux jusqu’au but et à la récompense, l’union définitive que vous promet la prière de Jésus. Car le Christ ne veut pas être seul dans la béatitude céleste, il désire la présence de ses amis : « Je reviendrai et je vous prendrai avec moi afin que là où je suis, vous y soyez aussi. (Jean, xiv, 24.)

Pauvres âmes qui écoutez cette voix et suivez ce Maître, vous pouvez humblement répéter cette divine demande, obtenir cette faveur suprême : « Toi qu’en Jésus-Christ il m’est permis d’appeler mon Père, bientôt je serai là-haut, auprès de toi… Oh ! que j’y retrouve à jamais ceux qu’ici-bas tu m’avais donnés et que tu as repris à toi ! »

Priez ainsi, au nom de votre Sauveur, et qu’en vous la ferme et joyeuse espérance remplace l’atroce, l’inhumain désespoir. Peu à peu vous vous rendrez compte, si vous ne l’avez pas senti tout de suite, que cette union définitive à laquelle vous aspirez commence déjà ou continue, qu’elle fut brisée seulement en apparence, que née ici-bas dans la douleur et l’obscurité, elle s’épanouira pleinement au ciel dans la lumière et la joie, mais qu’elle existe déjà.



L’HÔTE ATTENDU

Le soir vient, la maison reste silencieuse ;
À peine quelque oiseau gazouille sous l’yeuse :
Entre, divin Passant ;
Sois le Frère et le Fils, ô Toi qui fus le Père ;
Sur notre porte, vois, Toi seul en qui j’espère,
Le sceau de notre sang.

Celle qui souriant m’apportait tant de joie
Et transformait en fleurs les ronces de la voie,
Lorsqu’approchait le soir,
Celle qui, Tu le sais, nous était secourable,
Au foyer désormais désert et misérable,
Ne viendra plus s’asseoir.

Les fils braves et forts qui grandissaient ensemble
Et que nous exhortions à suivre ton exemple,
Nous les avons donnés ;
Ceux qui nous consolaient sont devenus tes anges ;
Nos fruits sont dans tes mains, Seigneur, et dans tes granges.
Nos épis moissonnés.


Viens donc à nous, ô Toi qui seul peux nous les rendre ;
Tes pieds sanglants sont lourds de poussière et de cendre
Mais nous les baiserons.
Voici pour effacer les affronts de la route,
Voici pour les laver, nos larmes goutte à goutte,
La sueur de nos fronts.

Notre table et nos cœurs de Toi ne sont pas dignes.
Que pouvons-nous t’offrir ? L’âcre vin de nos vignes,
Et notre pain amer.
Tu nous rassasieras de ton amour, délice
Des martyrs couronnés, mystérieux calice,
Profond comme la mer.

En nous donnant cette eau que notre soif envie,
En nous réconfortant des paroles de vie,
Christ, Tu nous montreras
Au delà de ce monde et de ses apparences,
Au delà de la mort muette et de ses transes,
Nos trésors dans tes bras.