Les Précoces/Chapitre 8


VIII


Ce fut le hasard qui apporta à Alexey la solution de l’énigme.

Il se trouvait un jour dans le salon de Katérina Ivanovna, la fiancée de son frère aîné Dimitri.

— J’ai un grand service à vous demander, Alexey Fédorovitch, lui dit tout à coup celle-ci en lui tendant deux billets de cent roubles.

Katérina Ivanovna s’efforçait, en lui parlant, de donner à sa voix un ton calme et naturel.

— Il y a quelques jours, Dimitri Fédorovitch a commis une action injuste et même coupable. Il y a ici un lieu mal fréquenté, un tractir, où il a rencontré ce même capitaine en retraite que votre père employait pour certaines affaires d’argent. On ne sait pourquoi Dimitri Fédorovitch eut une discussion avec ce capitaine, et devant tout le monde, il le prit par la barbe, le conduisit jusqu’à la rue dans cette position humiliante, et longtemps encore il le traîna ainsi. On m’a raconté que le fils de ce capitaine, qui est élève à l’école de la ville, un tout jeune enfant, assistait à ce spectacle, courait près de son père et pleurait à chaudes larmes, en suppliant tout le monde de le défendre. Personne n’écouta l’enfant et l’on se moqua de lui.

Pardonnez-moi, Alexey Fédorovitch, mais je ne puis me souvenir sans une émotion pénible de cette action indigne, une action que Dimitri Fédorovitch a seulement pu commettre dans la colère et dans la passion. Je n’ai même pas la force de vous raconter tout cela, et je m’y embrouille. J’ai pris des renseignements sur cet homme humilié et j’ai appris qu’il est très pauvre. Il s’appelle Sneguirev. Il a commis je ne sais quelle faute étant au service, pour laquelle on l’a mis à la retraite. Il a une femme folle, deux enfants malades, et il est tombé avec eux dans la plus profonde indigence. Depuis longtemps il habite notre ville ; il a fait jadis des écritures, mais il n’a plus maintenant aucun travail. Alors j’ai pensé à vous. Je ne sais pas si je m’explique bien… Je voulais vous prier, Alexey Fédorovitch, mon bon Alexey Fédorovitch, d’aller le trouver, d’entrer chez ce capitaine sous un prétexte quelconque, et délicatement, avec prudence, comme vous seul savez le faire (Alexey rougit), de lui faire accepter ce secours de deux cents roubles. Il acceptera certainement, c’est-à-dire qu’il faudra le persuader… Ou bien non, comment dire cela ! Ce n’est pas, voyez-vous, un prix pour acheter la paix et l’empêcher de porter plainte, comme il voulait le faire, mais simplement à titre sympathique, pour lui venir en aide. C’est moi, la fiancée de Dimitri Fédorovitch, et non lui, qui le fait… En un mot, vous ferez vous-même ce qu’il faudra. J’y serais bien allée moi-même, mais vous saurez mieux que moi. Il habite dans la rue Oziornaia, dans la maison de Mme Kalmykov. Faites cela pour moi, Alexey Fédorovitch… Maintenant, je suis un peu fatiguée. Au revoir.