Les Pornographes sacrés/Compendium

Charles Unsinger (p. 143-154).
COMPENDIUM
ABRÉGÉ
CONTENANT LA SOLUTION
de
TOUS LES CAS DE CONSCIENCE
suivant
LA DOCTRINE DES CONCILES


COMPENDIUM


Le Compendium est le petit guide de poche des confesseurs. Tous les cas de conscience possibles et imaginables y sont mis en scène au moyen de personnages fictifs, et résolus suivant la doctrine des conciles.

Nous ne citerons que quelques extraits du chapitre : Devoir conjugal.



DEVOIR CONJUGAL

Il est très important qu’un confesseur soit instruit minutieusement de cette matière, sur laquelle une infinité de personnes grossières, ou emportées par leurs passions, commettent quelquefois de grands crimes. Car, quoique l’usage du mariage soit licite, il ne l’est pourtant qu’en observant en amour conjugal les prescriptions formelles de l’Église. Les époux doivent se régler sur la fin pour laquelle le mariage a été institué, qui est d’avoir des enfants, ou de s’acquitter de la justice qu’on se doit réciproquement entre mari et femme ; ces deux seuls motifs peuvent excuser de péché. Il en est un troisième : celui de trouver un remède à la concupiscence ; mais celui-là n’est pas exempt de toute sorte de péché ; tel est l’avis de saint Augustin, saint Fulgence, saint Grégoire, saint Bonaventure et saint Thomas.

Au reste, celui des époux qui est requis par l’autre de lui rendre le devoir conjugal est absolument obligé de lui obéir sous peine de péché, à moins que son refus ne soit fondé sur une cause légitime.

Nous dirons quelles sont les causes légitimes du refus.


Apollinaire ayant été marié un samedi soir, et ne pouvant par conséquent recevoir la bénédiction nuptiale que le lendemain à la messe, il a exigé de sa femme le devoir le même jour du mariage. A-t-il péché en cela ?

Réponse. S’il n’y a pas eu de scandale, il n’y a qu’un simple péché véniel. Tel est l’avis du Concile de Trente. (Sess. 24 ; c. 1).


Héraclide, d’un tempérament fort enclin à la lubricité, veut coïter à tout moment avec sa femme. Il invoque la pureté de ses intentions ; car, s’il ne coïtait avec sa femme, il serait obligé d’aller coïter ailleurs. Pèche-t-il en demandant, plus souvent que de raison, le devoir à sa femme ?

Réponse. On est très partagé sur cette question. Beaucoup de théologiens disent que cela est innocent. Mais les saints Augustin, Léon, Thomas, etc., soutiennent qu’il y a là une faute vénielle. Cependant, comme l’Église n’a encore rien décidé là-dessus et qu’on peut faire beaucoup de mal en voulant obtenir un bien trop difficile, il convient de ne pas aisément troubler les fidèles sur ce point ; mais le confesseur les exhortera à se contenir ou à mieux régler leurs passions.


Maurice n’a d’autre intention que de se procurer du plaisir, en demandant à tout propos le devoir à sa femme. Pèche-t-il en cela ?

Réponse. Cela ne fait pas de doute, puisque l’on ne peut user du mariage que dans le but d’avoir des enfants ou pour exercer la justice envers sa partie. Il n’est pas plus permis de coïter, même avec sa femme, que de manger et boire, pour le seul plaisir. (Arrêt d’innocent XI.)


Albert, en jouissant de sa femme, le fait par raison de santé. Pèche-t-il ?

Réponse. Il y a là une faute vénielle, parce que c’en est une d’user du mariage pour une fin pour laquelle Dieu ne l’a pas institué. (S. Thomas.)

Dunstan a coutume d’exiger le devoir chaque dimanche matin avant d’aller à la messe. Pèche-t-il en cela ?

Réponse. Il est évident que la volupté du coït n’est pas faite pour prédisposer l’homme aux choses saintes ; cependant, il n’y a pas là de péché mortel ; mais le péché est véniel, et même très caractérisé. Il devient mortel, si le mari, en jouissant, pense à mépriser la sainteté du dimanche.

Si le mari doit non seulement entendre la messe, mais encore communier, il pèche mortellement en jouissant de sa femme.

Si c’est la femme qui doit communier et que les propositions voluptueuses soient venues de son mari, elle n’a, après le coït, aucun péché sur la conscience ; mais il y a à cela une condition expresse : c’est que rien de cette action ne lui restera dans la pensée ni dans les sens, et encore faut-il qu’elle ait un grand désir de recevoir Notre-Seigneur ou qu’elle ne puisse s’en abstenir sans être remarquée.


Gabrielle, fortement sollicitée par Paulin son mari à lui rendre le devoir, le lui a refusé, parce qu’elle savait qu’il péchait mortellement en le lui demandant. Cette raison suffit-elle pour excuser son refus ?

Réponse. Si le péché de Paulin venait de quelque circonstance qui rendît l’acte conjugal illicite, comme s’il le voulait exiger dans une église ou dans un lieu public, ou encore si Gabrielle savait que Paulin retirerait son membre au moment de l’effusion de la semence, elle n’était ni obligée ni ne pouvait en sûreté de conscience lui rendre le devoir conjugal. Par contre, si la circonstance du péché de Paulin ne regardait que sa personne même, comme s’il avait une intention criminelle secrète en le demandant, et que d’ailleurs il ne fût pas déchu de son droit, sa femme était obligée de le lui rendre. (Sylvius, quest. 64).


Georges demande le devoir à sa femme, tandis que celle-ci a ses règles. Pèche-t-il mortellement ?

Réponse. Oui, s’il sait que sa femme a ses règles. D’où il résulte qu’il est du devoir d’une femme de toujours informer son mari du moment où ses menstrues lui viennent.


Alfred, à la suite d’excès vénériens dont il a du reste reçu l’absolution et dont il se repent, a contracté une maladie qui, guérie incomplètement, lui a laissé un écoulement. Cet écoulement ne présente aucun danger de contagion. Alfred peut-il sans péché exiger le devoir de sa femme ?

Réponse. Le cas est particulièrement délicat. Il est certain que l’écoulement, dont est affligé Alfred, n’a aucun rapport avec la semence et n’est nullement prolifique. Alfred commet donc un péché mortel (S. Thomas). Cependant, s’il a demandé le coït en agissant sous l’empire d’un besoin irrésistible et pour s’éviter d’aller forniquer avec une autre femme, il n’y a pas péché.


Evrard et sa femme se trouvent dans la nécessité de demeurer longtemps dans une église, pendant un temps de guerre. Evrard se voit dans un danger évident d’incontinence ; il croit pouvoir exiger de sa femme le devoir. L’a-t-il pu sans péché mortel ?

Réponse. Selon l’opinion la plus probable, il a péché mortellement, et la femme aussi en lui obéissant, parce qu’ils ont violé par une telle action, quoique licite d’ailleurs, le respect qui est dû à Dieu et au lieu saint qui est particulièrement consacré à son culte. Et certes, si des époux qui se trouvent séparés les uns des autres par des emplois, des maladies, la prison, l’exil, etc., sont obligés sous peine de péché mortel de garder la continence, pourquoi n’y seront-ils pas obligés sous la même peine, lorsqu’ils se trouveront dans un lieu saint pendant quelques jours seulement ou quelques semaines ? et cela dans un temps de larmes, de pénitence et de prières auquel, selon les anciens canons, les époux chrétiens doivent s’abstenir de l’usage du mariage ! (S. Antonin, les RR. PP. Soto et Navarre).

Aline a fait vœu de continence du consentement de Bertrand son mari. Bertrand peut-il dans la suite exiger d’elle le devoir conjugal sans péché mortel ?

Réponse. Ou Bertrand, en consentant au vœu d’Aline, a eu l’intention positive de renoncer pour toujours au droit qu’il avait de lui demander le devoir ; ou il n’a pas eu cette intention. Dans le premier cas, il ne peut sans péché mortel exiger le devoir. Dans le second, il peut l’exiger. (R. P. Navarre, Man. c. 16).


Eugénie, femme de Théodore, a trouvé, après la mort de sa sœur, des lettres d’amourettes que Théodore avait écrites à cette dernière avant son mariage. Les termes libres de cette correspondance lui donnent un violent soupçon d’un commerce criminel entre eux. Sachant qu’en ce cas son mariage serait nul, elle doute s’il ne l’est pas, et ce doute la trouble chaque fois que Théodore jouit d’elle. Peut-elle malgré cela lui rendre le devoir ou même l’exiger sans péché mortel ?

Réponse. En général, si le doute est léger et mal fondé, on n’y doit avoir aucun égard. S’il est juste, sans aller jusqu’à la certitude, celui des deux époux qui en est agité peut rendre le devoir, mais il ne le peut exiger. Si la chose approche si fort de l’évidence qu’il la croie certaine, il ne peut en conscience ni le rendre ni le demander ; et s’il n’a pas de preuves suffisantes pour obtenir une sentence de séparation, il doit garder une parfaite continence, sans jamais user du mariage, quand même on voudrait l’y contraindre (Innocent III, De sent. excomm., ch. 44). Cependant, afin de ne pas se tromper sur une matière si difficile et si importante, le plus sûr parti est d’expliquer minutieusement le fait à son confesseur, et même au besoin de lui communiquer la correspondance qui a fait naître les soupçons.


Bélonie peut-elle refuser le devoir, par cela seul qu’elle a une fort grande répugnance à le rendre ?

Réponse. L’apôtre a décidé cette question (1re lettre aux Corint., v. 7) par ces sages paroles : Que le mari rende à sa femme ce qui lui est dû, et que la femme en fasse autant vis-à-vis de son mari ; le corps du mari appartient à la femme, et le corps de l’épouse à l’époux. D’où S. Antonin et tous les autres pères de l’Église concluent qu’un des conjoints ne peut, sans pécher mortellement contre la justice et la foi solennellement donnée, refuser le devoir à l’autre, quand celui-ci le lui demande sérieusement ; car alors il se rend coupable des incontinences et de l’adultère de son conjoint. Ce serait autre chose si le mari ne demandait ce qui lui est dû que comme une marque d’amitié et en faisant assez comprendre par son visage ou par ses gestes qu’il s’en soucie peu ; ce serait encore une autre question si le mari était un emporté ne laissant à Bélonie aucun repos (R. P. Sylvius).


Blaisine, qui n’ose demander catégoriquement le devoir à son mari, lui fait comprendre par ses regards, par ses caresses, par son attitude, qu’elle le désire. Jacques, qui le voit bien, est-il obligé en conscience de le lui rendre ?

Réponse. Il en est de Jacques comme d’un débiteur qui sait que son créancier souffre, quoiqu’il n’ose par bonté ou timidité lui réclamer son dû. Comme donc le débiteur est tenu en ce cas de payer son créancier, quand il le peut, de même Jacques doit rendre le devoir à Blaisine, si cela lui est possible.

Il n’en est pas ainsi de la femme, à parler généralement ; parce que, dit S. Thomas, les hommes n’agissent pas avec la même discrétion pour demander le devoir à leurs femmes. Cependant, comme il y a des maris que l’inégalité des conditions, la fierté de leurs femmes, une timidité naturelle, mettent dans le cas de Blaisine, leurs épouses sont obligées de se rendre à leurs désirs, quoique tacites et indirects.


Joséphine a un mari fort lubrique, qui veut quelquefois l’obliger à lui rendre le devoir, quoiqu’elle soit notablement malade. Y est-elle obligée, de peur qu’il ne tombe dans l’incontinence ?

Réponse. Une femme n’est obligée, ni par justice, ni par charité, de se prêter dans un cas pareil, et il y a de l’inhumanité à l’exiger. Mais elle ne peut s’en dispenser pour éviter les incommodités de la grossesse et de l’enfantement. Ce sont des maux attachés à son état.


Jeanne veut nourrir son enfant. Son mari exige le devoir. Elle demande si elle peut le refuser pendant qu’elle allaite l’enfant.

Réponse. Une femme qui connaît, par expérience, qu’en coïtant avec jouissance dans ce temps-là son lait se corrompt et devient notablement dommageable à son enfant, ou qu’elle cesse d’en avoir suffisamment pour le nourrir, peut sans péché refuser le devoir à son mari, et celui-ci ne peut par contre le lui demander sans offenser Dieu. Néanmoins, s’il se trouve dans le péril d’incontinence, la femme doit, si elle en a les moyens, mettre son enfant en nourrice afin de pourvoir par elle-même aux besoins voluptueux de son mari. Que si à cause de sa pauvreté elle ne peut faire nourrir son enfant par une autre, elle refusera de coïter parce que son mari n’a pas le droit d’exiger le devoir aux dépens de la vie ou de la santé de son enfant. Tous ces détails devront donc être donnés minutieusement par la femme au confesseur, afin qu’il se prononce sur le cas et qu’il lui indique comment elle aura à se comporter.


Éléonore s’étant trouvée dans un danger évident de mort dans ses couches précédentes, les médecins et chirurgiens lui ont déclaré qu’elle ne pourrait plus avoir d’enfants sans mourir. Est-elle, nonobstant cela, obligée de rendre le devoir à son mari Étienne qui le demande comme un droit de rigueur ; et surtout si elle sait qu’il est déjà tombé dans l’incontinence, à cause du refus qu’elle lui a fait ? On lui a dit qu’elle y est tenue, parce qu’on est obligé d’exposer sa propre vie corporelle pour le salut de son prochain.

Réponse. — La charité ne permet pas à Étienne de demander le devoir en ce cas, et Éléonore ne peut ni ne doit le rendre, parce que, n’étant pas maîtresse de sa vie, elle ne peut sans péché s’exposer à un danger visible de la perdre. Au reste, on n’est obligé d’exposer sa vie pour le salut du prochain, que quand il est dans une nécessité extrême. Or, Étienne n’est pas réduit par le refus de sa femme à une nécessité extrême, parce qu’il peut trouver d’autres remèdes à son incontinence, entre lesquels la prière est le principal.

Il pourra arriver encore que, pour concilier tout, Éléonore acceptera de procurer de la jouissance à Étienne par un de ces moyens que la nature réprouve et en vertu desquels l’effusion de la semence sera sans risque de grossesse, comme la masturbation labiale ou l’accomplissement de l’acte vénérien entre les seins, sous le bras, dans les cheveux, etc. Bien qu’il soit évident que, dans ce cas, les époux ne se sont pas adonnés, par pure malice, à ces actes contre nature, ils n’en auront pas moins commis le péché, puisque c’est pécher mortellement qu’user du mariage contre la fin pour laquelle Dieu l’a créé. Toutefois, s’il lui est bien démontré qu’Étienne ne peut absolument pas refréner ses besoins charnels et qu’Éléonore d’autre part est certaine de la mort en cas de grossesse, le confesseur pourra absoudre les deux époux. (Voir St-Augustin. Livre II de conjugiis adult., chap. 10.)


Fernand a coutume de demander le devoir à Laure sa femme, quand il est ivre. Est-elle tenue de le lui accorder ?

Réponse. Si Fernand est tellement ivre qu’il ait perdu l’usage de la raison, Laure n’est pas obligée à lui rendre le devoir, parce qu’alors il ne le demande pas d’une manière humaine (humano modo). Cependant, si le refus de Laure exposait Fernand à un danger évident d’incontinence, la femme, de l’avis du R. P. Sylvius, serait pour lors obligée par le précepte de la charité à obéir à son mari. On peut raisonner à peu près de même d’un homme furieux ou insensé, ainsi que l’enseigne le même théologien (Suppl. quæst. 69, Art. 1).


Adrien, qui a fort peu de bien, se voyant déjà chargé de six enfants, quoique sa femme soit encore jeune, a refusé plusieurs fois le devoir à sa femme de peur d’être hors d’état de nourrir tant d’enfants. Pèche-t-il ?

Réponse. Puisqu’il y a un Dieu qui nourrit les oiseaux et qui n’abandonne point ceux qui mettent en lui leur confiance, la crainte d’avoir trop d’enfants ne peut dispenser un mari de rendre le devoir à sa femme, lorsqu’elle le lui demande formellement, ou même d’une manière indirecte et interprétative.


Henri a été nominalement frappé d’excommunication majeure. Sa femme demande si elle est obligée de lui rendre le devoir ?

Réponse. Dans aucun cas ni sous aucun prétexte, elle ne doit, elle, provoquer son mari à l’acte vénérien. Quant à se prêter à ses exigences, les opinions des théologiens sont partagées. S. Augustin pense que la femme d’un impie frappé directement et personnellement d’excommunication majeure doit se séparer tout à fait de son mari et par conséquent lui refuser le devoir conjugal. S. Bonaventure et S. Thomas pensent au contraire que la censure ne dispense pas des devoirs imposés par la loi naturelle. La question n’a été encore tranchée par aucun concile. Innocent III a proposé un moyen terme : la femme d’un homme atteint nominalement d’excommunication majeure doit rendre le devoir à son mari quand il l’exige d’une façon formelle ; mais elle ne peut, sans tomber dans le péché, participer au plaisir de l’acte vénérien, c’est-à-dire qu’elle doit le subir d’une manière complètement passive et, par tous ses efforts, dégager son esprit de l’accouplement auquel elle n’a pu se soustraire. (De Sent. excomm., ch. 31).


Julie, catholique, a épousé Baptistin, calviniste, avec stipulation expresse qu’il lui serait loisible de faire baptiser et élever dans l’Église catholique les enfants qui naîtraient de leur mariage. Cependant, Baptistin a fait baptiser le premier au Prêche et le fait élever dans l’hérésie. Julie demande si elle ne peut pas refuser à l’avenir le devoir, pour n’avoir pas le déplaisir de mettre au monde d’autres enfants qui seront un jour des hérétiques et par conséquent des réprouvés ?

Réponse. Julie doit se plaindre fortement à Baptistin de sa mauvaise foi. S’il promet sérieusement de se corriger, elle fera une nouvelle épreuve. Mais, s’il lui déclare qu’il ne veut pas tenir sa promesse, ou que la lui ayant renouvelée, il continue à la violer, Julie est en droit de refuser le devoir à Baptistin, pour la raison marquée dans l’exposé.