Les Poètes du terroir T I/Th. de Banville

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 224-227).

THÉODORE DE BANVILLE

(1823-1891)


Fils d’un capitaine de vaisseau, Théodore Faullin de Banville naquit à Moulins le 14 mars 1823 et mourut à Paris en 1891. Venu jeune à Paris, il achevait à peine ses études quand il se fit connaître par deux recueils de poèmes : Les Cariatides (Paris, Pilon, 1842, in-8o), et Les Stalactites (ibid., Paulin, 1846, in-8o). Quelques années après, il ajoutait un nouveau volume à ces premiers essais : Les Odelettes (Paris, 1856, in-16). M. Charles Asselineau écrivait à propos de ce livre : « On peut différer de sentiment sur la poésie de M. de Banville et sur la nature de ses inspirations ; mais ce qu’on ne peut méconnaître dès la première lecture, c’est que l’effort est complet, et qu’aucune négligence, aucune transaction, ne s’est interposée entre le poète et son but… » (Revue française, 1856, 6e vol.)

Rompu à toutes les difficultés du rythme et de la rime, Théodore de Banville acquit bientôt la consécration des lettres en faisant paraître dans La Silhouette et Le Corsaire une série de pièces satiriques qui, réunies en 1856, sous le titre d’Odes funambulesques, furent, dit-on, les débuts de Poulet-Malassis comme éditeur. Après les Odes funambulesques, fantaisies imprévues « aux gammes tournoyantes d’allégresse », vinrent Poésies complètes (1841-1854). Les Cariatides, les Stalactites, Odelettes, le Sang de la Coupe, la Malédiction de Vénus (Paris, Poulet-Malassis, 1857, in-8o) ; Paris et le Nouveau Louvre (ibid., 1857, in-8o) ; Les Exilés (Paris, Lemerre, 1867, {{in-12{{) ; Nouvelles Odes funambulesques (ibid., 1869, in-12) ; Idylles prussiennes (ibid., 1871, in-12) ; — Théophile Gautier, Ode (ibid., 1872, petit in-16) ; Princesses (ibid., 1874, in-12) ; Trente-Six Ballades joyeuses (ibid., 1875, in-12), etc. ; et plus tard, Le Forgeron (Paris, Lemerre, 1887, in-12) ; Nous tous, Sonnailles et Clochettes (ibid., 1890, in-12) ; Occidentales, Rimes dorées (Paris, Charpentier, 1892, in-12) ; Dans la Fournaise (ibid., 1892, in-12), etc., enfin un recueil de ses Poésies complètes (Paris, Charpentier, 1878-1879, et Paris, Lemerre, 1879-1889, 3 vol. in-16).

Théodore de Banville s’est également distingué en prose ; il a fait, en outre, représenter un certain nombre de pièces de théâtre : Les Nations, opéra-ballet, musique d’A. Adam (Paris, Jonas, 1851, in-12); Le Feuilleton d’Aristophane, en collaboration avec Philoxéne Boyor (Paris, Poulet-Malassis, 1852, in-12) ; Le Beau Léandre, en collab.  avec Siraudin (ibid., 1856, in-12) ; Le Cousin du roi, en collab. avec Ph. Hoyer (ibid., 1857, in-12) ; Diane au Bois (ibid., 1863, in-12) ; Les Fourberies de Nérine (ibid., 1864, in-12) ; La Pomme (ibid., 1865, in-12) ; Gringoire (ibid., 1866, in-12) ; Florise (Paris, Leinerre, 1870, in-12) ; Deidamia (ibid., 1876, in-12) ; Riquet à la Houppe (Paris, Charpentier, 1885, in-18) ; Socrate et sa Femme (ibid., 1885, in-18) ; Madame Robert (ibid., 1887, in-18) ; Le Baiser (ibid., 1887, in-18) ; Esope (ibid., 1893, {{in-15}), etc.

« Banville est exclusivement poète, écrivait Théophile Gautier en 1868 (Rapport sur le progrès des lettres et des sciences) ; pour lui la prose semble ne pas exister ; il peut dire comme Ovide : « Chaque phrase que j’essayais d’écrire était un vers. » De naissance il eut cette admirable langue que le monde entend et ne parle pas ; et de la poésie il possède la note la plus rare, la plus ailée, le lyrisme… »

Bibliographie. — Ern. Prarond, De Quelques Écrivains nouveaux ; Paris, M. Levy, 1852, in-18. — J. Barbey d’Aurevilly, Les Œuvres et les Hommes, Les Poètes ; Paris, Lemerre, 1889, in-8o ; Poésies et Poètes : ibid., 1906, in-18. — J. Lemaître, Théod. de Banville ; Revue Bleue, 1885, XXXV, p. 232. — F. Loliée, Les Disparus ; Nouv. Revue, 1891, LXIX, p. 588. — A. France, La Vie littéraire, IV, Paris, Calmann-Lévy, 1892, in-18. — Lorédan Larchey, Fragments de souvenirs ; Paris, Leclerc, 1902, in-8o. — M. Tourneux, Notice, Grande Encyclopédie, etc.



À LA FONT-GEORGES

Ô champs pleins de silence,
Où mon heureuse enfance
Avait des jours encor
Tout filés d’or !

Ô ma vieille Font-Georges,
Vers qui les rouges-gorges
Et le doux rossignol
Prenaient leur vol !

Maison blanche où la vigne
Tordait en longue ligne
Son feuillage qui boit
Les pleurs du toit !

Ô source claire et froide,
Qu’ombrageait le tronc roide
D’un noyer vigoureux
À moitié creux !

Sources ! fraîches fontaines !
Qui, douces à mes peines,
Frémissiez autrefois
Rien qu’à ma voix !

Bassin où les laveuses
Tendaient, silencieuses,
Sur un rameau tremblant
Le linge blanc !

Ô sorbier centenaire,
Dont trois coups de tonnerre
N’avaient pas abattu
Le front chenu !

Tonnelles et coudrettes,
Verdoyantes retraites
De peupliers mouvants
À tous les vents !

Ô vignes purpurines.
Dont, le long des collines,
Les ceps accumulés
Ployaient gonflés ;

Où, l’automne venue,
La Vendange mi-nue
A l’en tour du pressoir
Dansait le soir !

Ô buissons d’églantines.
Jetant dans les ravines,
Comme un chêne le gland.
Leur fruit sanglant !

Murmurante oseraie,
Où le ramier s’effraie,
Saule au feuillage bleu,
Lointains en feu !

Rameaux lourds de cerises !
Moissonneuses surprises

À mi-jambe dans l’euu
Du clair ruisseau.

Antres, chemins, fontaines,
Âcres parfums et plaines,
Ombrages et rochers
Souvent cherchés !

Ruisseaux ! forets ! silence !
Ô mes amours d’enfance !
Mon âme, sans témoins,
Vous aime moins

Que ce jardin morose
Sans verdure et sans rose
Et ces sombres massifs
D’antiques ifs,

Et ce chemin de sable,
Où j’eus l’heur ineffable,
Pour la première fois,
D’ouïr sa voix !

Où, rêveuse, l’amie.
Doucement obéie,
S’appuyant à mon bras,
Parlait tout bas ;
 
Pensive et recueillie,
Et d’une fleur cueillie
Brisant le cœur discret
D’un doigt distrait,

À l’heure où sous leurs voiles
Les tremblantes étoiles
Brodent le ciel changeant
De fleurs d’argent.

(Les Stalactites.)