Les Poètes du terroir T I/Ém. Guillaumin

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 228-230).
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ÉMILE GUILLAUMIN

(1873)


De famille bourbonnaise, M. Émile Guillaumin est né à Ygrande, le 10 novembre 1873. Porcher et petit bouvier de 1886 à 1888, il est actuellement cultivateur et « homme de lettres ». C’est un paysan, mais un paysan lettré et un poète qui excelle à peindre la vie des champs et à décrire les mœurs campagnardes de sa province. On lui doit une série d’ouvrages où se révèlent tout à la fois « le côté sérieux et le côté drolatique de ses compatriotes des bords de l’Allier » : Dialogues bourbonnais (Moulins, Crépin-Leblond, 1899, in-12) ; Tableaux champêtres, cour. par l’Académie française (ibid., 1901, in-18) ; En Bourbonnais (Paris, édit. de « Pages libres », 1902, in-8o) ; La Vie d’un simple, roman, cour. par l’Académie française (Paris, Stock, 1905, in-18) ; Près du sol, roman (Paris, Calmann-Lévy, 1906, in-18) ; Albert Manccau, adjudant, roman (Paris, Fasquelle, 1906, in-18) ; Rose et sa Parisienne, roman (Paris, Calmann-Lévy, 1907, in-18}.

Les vers de M. Émile Guillaumin datent de ses débuts. Son premier essai poétique fut inséré, en 1893, dans une petite revue locale, La Quinzaine bourbonnaise, qui de loin en loin continua de publier quelques-unes de ses pièces. En 1902, l’auteur les réunit, et sous ce titre, Ma Cueillette, les fit paraître en un mince recueil, à Moulins, chez l’éditeur Crépin-Leblond. On en trouvera plus loin quelques extraits.

M. Émile Guillaumin a collaboré à Pages libres, à la Revue hebdomadaire, a la Revue bleue, à la Revue de Paris, à la Revue Forezienne, à la Revue du Nivernais, etc., ainsi qu’à plusieurs feuilles provinciales.




CRI D’ESCLAVE


<poem>Aux champs, l’hiver, on s’geâle, on s’mouille, On a des grand’s cr’vass’s aux doigts, On est t’rjou sal’, plein d’patouille[1] ;

Mais ça vaut cor mieux qu’les beaux mois…


Quand j’vois l’été, ça mfait d’’la peine,
Parc’ qu’voué-t-un tués’ment d’chréquiens :
Quouéque l’soulé cuise, on s’surmène…
Faut-tu qu’on en ass’ des souquions !

Voué l’foin, voué la mouésson, la batte[2] :
« Hardi, les gas ! hardi, les gas ! »
Faut qu’on s’leuve entre trois et quat’e,
L’soir, d’vant dix heur’s, ça finit pas…

Et j’sons pas pus rich’s un coup qu’l’autre…
Vous comp’rnez-tu d’là qu’ça d’vint ?
Bon Ghieu ! j’vous jur’qu’voué pas d’nout’ faute :
J’nous soignons mal, j’buvons point d’vin !

Voué quand mêm’ trist’, dépis l’bas âge,
D’trimer tout l’temps pus d’son chien d’saoûl,
D’passer sa vie en esclavage,
D’vieillir malh’reux, d’mourir sans l’sou !

Nout travail sert, on peut dire,
Qu’à fair’feugnater queuqu’s gargans[3]
Ah ! j’ons-tu ben l’droit d’les maudire,
Tous ceux ch’tits bourgeois arrogants !

Faudrait c’pendont ben qu’ça finisse,
Et si j’étions pas si badauds,
Au yeu d’endurer qu’l’injustice,
J’y laisserions leus terr’s su l’dos…

Serions-tu pris, ceux gros vent’es,
Si qu’ô trouviont pus d’laboureux.
Ni pus d’valets, ni pus d’sarvantes !…
Anvec leus biens, ô s’riont malh’reux !

Ca vindra p’t-êt’! Dans la jeunesse,
Aujord’hui l’jour, y a des malins,
Des roug’s qu’laissont d’coûté la messe
Et qu’respectont guèr" les chât’lains…

Tant qu’à moue, j’caus’, mais j’peux rien faire,
Et j’cr’vrai, sûr, avant d’y voir…

Ca vindra p’t-êt’; mais j’s’rai sous terre,
A sucer les racin’s dans l’noir…

Et v’là l’été : ça m’falt d’la peine,
Parc’qu’voué-t-un tués’ment d’chréquiens !…
D’êt’né bounhoum’, voué pas d’la veine :
Faut-tu qu’on en ass’des souquiens  !…

(Ma Cueillette.)



  1. Boue.
  2. Batteuse.
  3. Brigands, avec une légère atténuation.