Les Poètes du terroir T I/Estienne Bournier

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 221-223).

ESTIENNE BOURNIER

(v. 1577-?)


D’origine bourbonnaise, Estienne Bournier naquit à Moulins vers 1577. La date de sa naissance apparaît clairement dans un sonnet de son unique ouvrage, Le Jardin d’Apollon, publié en 1606, où il déclare qu’il approchait alors de trente ans. Ses études classiques terminées, on le trouve à Toulouse, travaillant le droit, afin d’obtenir par la suite, selon la volonté des siens, quelque charge solide « au présidial de sa ville natale ». Ses poésies datent de sa jeunesse ; elles lui ont été inspirées par l’amour plutôt que par le souvenir de sa province. De retour au pays molinnois », Bournier sembla faire peu de cas des essais de sa muse. Eut-il tort ? Nous ne saurions le dire ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que personne ne parut s’opposer à ce qu’il délaissât le « passetemps de poésie ». Témoin ces quelques vers qu’il adresse philosophiquement au lecteur, à la fin de son recueil de poèmes :

Veux-tu scavoir pourquoy
Molins ne faict compte de moy,
Ni de mon Jardin de Clemence ?
C’est un dire bien appreuvé
Qu’un sainct n’est jamais relevé
Au lieu où il a prins naissance.

Le Jardin de Clémence (Hortulus Appollinis et Clementia, etc.), recueil de petites pièces, stances, sonnets, épigrammes, françaises et latines, en deux parties, a paru à Molins (sic), chez Pierre Vernoy, 1506, in-12. C’est un livre rarissime. Nous n’en connaissons qu’un seul exemplaire, conservé à la Bibliothèque de la ville de Moulins. On doit encore à notre auteur quelques pièces de vers insérées à la suite de l’Oraison funebre sur le trespas de tres haute sereniss. et tres religieuse princesse Loyse de Lorraine, douairière de France et de Pologne, faicte et prononcée à Moulins… par le R. P. Thomas d’Avignon, etc., 1601, in-8o.

Bibliographie. — Ern. Bouchard, Poètes bourbonnais du quatorzième au dix-septième siècle, Bull. de la Soc. d’émulation de l’Allier, 1868-69, XI. — Roger de Quirielle, Biobibliographie des écriv. anciens du Bourbonnais ; Moulins, H. Durond, etc, 1899, in-8o.


À MONSIEUR BILLARD,
SIEUR DE CORGENAY

Ô que Billard est heureux
D’estre en pays planctureux,
Où il peut à souhait vivre,
Libre enfanter un beau livre,
Franc de peine et de souci
Dont je suys icy transi !
Jamais ne seray-je à l’aise
Dans ma terre bourbonnoise.
Pour faire à souhait des vers
11 n’est lieu dans l’univers
Plus propre à cet exercice.
« Quelque pays qu’on choisisse,
On ne faict jamais si bien
En autre pays qu’au sien. »
Pour imiter son Horace,
Ou contrefaire Bocace,
Ce grand Pindare françois,
Esleut son gay Vandomois ;
Pour imiter mon Tibulle,
Ou contrefaire Catulle,
Plus propre lieu je ne vois
Que mon pays bourbonnois.


SONNET

Je reviens vous revoir, mes livres, mes amis,
Que j’ai laissé moisir, tandis qu’une folie
A charmé mes désirs, après une ancholie
D’où sont nés tant de vers qu’en ce livre j’ay mis.

J’ay faussé les serments que vous av[ois] promis,
C’est ce qui donne cause à ma mélancolie,

Et, qui pis est, je voy ma jeunesse faillie
Egaré du chemin de la docte Themis.

Mais comme un voyageur qui recognoist sa faute
De s’estre fourvoyé, s’il void l’heure bien haute,
Gaigne à pas redoublez le chemin desyoyé :

Je voy que je suy près de ma trentième année.
Mon âme n’estant plus aux amours adonnée.
Je veux gaigner le temps que j’ay mal employé.

{Le Jardin d’Apollon et de Clémence.)