Les Poètes du terroir T I/Pierre Grognet

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 249-251).

PIERRE GROGNET

(?-1540)

Il s’appelait Grognet, et non Grosnet ou Gromet, ainsi que le crurent divers biographes. Lui-même nous en fournit la preuve par ces vers : En mon nom je suis nomme Pierre… On doit inter prêter Grognet, etc.

Contemporain et sans doute ami de Roger de Collerye, il était né à Toucy, petite ville du diocèse d’Auxerre, et, comme ce dernier, appartenait aux ordres ecclésiastiques. Dans sa jeunesse, il avait acquis la connaissance du droit, a Orléans d’abord, puis à Bourges. Il ne laissa pas de s’en flatter en diverses circonstances, mêlant tout à la fois au style de ses épitres ses qualités de « maître es arts », de « licencié en chascun droit », et celles plus édiliantes de « prêtre et humble chapelain ». Ou ignore le détail de sa vie, mais l’on sait qu’il mourut en 1540, laissant une œuvre singulière. Ses ouvrages ont été décrits par les bibliothécaires La Croix du Maine et du Verdier, ainsi que par l’abbé Goujet. Ils consistent en divers recueils poétiques ou autres, parmi lesquels nous signalerons : La Louange des femmes, dédiée à la reine Aliéner ; Bonnes Doctrines pour les filles, etc. ; Le Manuel des vertus morales et intellectuelles, dont l’original latin, dédié à Antoine du Parc, a paru sous le titre d’Enchiridion, en 1538, et une traduction des Mots dorez du grand et saige Caton, qui eut l’honneur d’être réimprimé plusieurs fois. Le plus intéressant de ces ouvrages, du moins celui qui a droit de cité ici, est sans nul doute le Second Volume des mots dorez du grand et saige Caton, etc., que Grognet fit paraître chez Jehan Longis et Pierre Sergent, le 28 mars 1533. Indépendamment des matières curieuses qu’il ollre sous la rubrique de « très utiles adaiges, authoritez et dicts moraux des saiges profitables à ung chascun », on y trouve la « Louange et Description de plusieurs bonnes villes du royaume de France ». Nous en avons extrait quelques fragments savoureux, touchant d’anciennes cités bourguignonnes.

Pierre Grognet est un des derniers représentants de la poésie du moyen âge. Il parait s’être inspiré de Villon et de Roger de Collerye, mais son vers, lourd et sentencieux, ne rappelle ni la puissance tragique du premier ni la bonhomie du second.

Poète disert, il rachète la faiblesse de ses rimes par des qualités descriptives qui le font rechercher des historiens.

Bibliographie. — La Croix du Maine et du Verdier, Biblioth. franç. — Abbé Goujet, Biblioth.  franç., t. X, p. 383.


DESCRIPTION DE LA NOBLE VILLE
ET CITÉ D’AUXERRE


Cyté d’Auxerre aymée et renommée,
Ceulx de Paris souvant t’ont habitée
Pour le beau lieu et aussi pour la grume
Dont ton hault bruyt plus vaut qu’on le ne plume.

Tu as bon vin, bonne eau, bon blé, bon pain,
Aussi tu as le corps de sainct Germain,
Et cil qui veult dévotement s’esbatre
Soubdain verra l’église sainct Amatre ;
D’aultres corps sainctz assez vous trouverez.
Avec les tours sainct Estienne verrez.
Apres visez le grant tour du chasteau
Où est assis l’horologe moult beau ;
Les fontaines ne fault laisser derrire,
N[i] l’excellent grant commun cymetire.
Pour faire fin or trouvez et argent
Que vous pourrez bien gaigner par art gent
Y a aussi maintes aultres richesses
Dont je me tays et toutes gentillesses.

Conclusion de tous biens as assez,
Et mesmement plusieurs vins amassez,
Dont chascun dit que la ville d’Auxerre
Sert au commun sans le tenir en serre.


BLASON ET LOUENGE DE LA NOBLE VILLE
ET CITÉ DE SENS


De grant renom est la cité de Sens,
Car dedans sont gens de moult nobles sens,
Tant procureurs comme aussi advocatz,

Ils sont tous clercs entendans à voz cas.
Des malfaiteurs iiz font bonne justice,
Considérant hault et bas injustice.
Aussi avez beaucoup de gens d’église
Bien servant Dieu sans aucune faintise.

Sens est assis au dessus la rivière,
Où sont les prez et jardins par derrière.
Bon pain, bon vin en moult grant abondance,
Les boys trouvez en semblable affluence.

Quant au regard de bonne pescherie,
Vous en trouv’rez pour faire chere lye ;
En oullre y sont les nobles et belles églises
Qui sont bastis par sumptueuses guises,
Et entre toutes est monsieur sainct Estienne,
Selon bon droict la métropolitaine.

Auprès y est de saint Jehan l’abbaye ;
Lieu fort dévot dequoy ne m’esbaye,
Encores avez troys moult beaux monastères
Qui sçavent bien entendre à leurs affaires :
Cest sainct Remy avecq saincte Colombe,
Esquels gens doulx verrez comme colombe.
D’aultre part est de Sainct Père le Vif,
Religion, confortant Ibomme vif.

Semblablement y sont les cordeliers
Qui ne tiennent jamais aucuns deniers.
Les celeslins avez et jacopins.
Qui gueres n’ont à manger gras lopins.

Les Sennoys pour bien parler en somme
Moult vaillamment ilz ont combatu Romme
Par bel arroy, portant lances et armes,
A plusieurs gens ont bien faict des alarmes.
Savinian premier prélat du lieu,
A bien monstré comment fault servir Dieu.
Aussi a fait le bon Polencian
Se gouvernant en sainct homme ancien.
Plusieurs corps sainctz y sont et gros joyaulx.
Que chascun voit les reputant moult beaux.