Les Poètes du terroir T I/R. de Collerye

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 252-254).

ROGER DE COLLERYE

(xvie siècle)

Il était de Paris, bien qu’en réalité il ait passé la plus grande partie de sa vie à Auxerre, où il fut secrétaire de Monseigneur Jean Baillet et de Monseigneur François Ier de Dinteville, successivement évèques bourguignons.

À l’en croire, son passé s’accordait mal avec le caractère édifiant de son emploi. Ses désordres lui valurent d’être incarné dans ce type de Roger Boutemps qui, en Bourgogne, est devenu le symbole de la belle humeur, et même de la débauche, chez les vignerons. « Tous les suppôts de l’abbé des fous d’Auxerre, a-t-on écrit[1], tous les Bazochiens, Clercs du Châtelet, Enfants sans souci, Sots attendants, toute cette grande famille de philosophes sans chaussures et de gais meurt-de-faim, tous ces mignons festus et goguelus, acolytes de la Mère-Folle, tous étaient ses camarades, et tous ces fous, archifous, fanatiques hétéroclytes, inventés, poètes de nature, etc., autres légitimes enfants du vénérable père Bon-Temps, tous reconnurent leur idole dans la jovialité, la pauvreté sans tristesse de Roger de Collerye. Ils ajoutèrent à leur fiction traditionnelle son nom de baptême, Roger, et il est ainsi devenu Roger Bontemps, le Roger Bontemps des chansons. »

Deux faits dominent son existence troublée. Collerye, à une époque qu’on ne saurait préciser, entra dans les ordres : à la mort de Monseigneur François de Dinteville, ayant perdu son emploi, il vint à Paris et se mêla à cette bohème littéraire qui fréquentait le quartier de l’université et volontiers prenait la montagne Sainte-Geneviève pour le mont Parnasse. Ce clerc tonsuré — du moins le présume-t-on ainsi — eut des amours de choix qui lui valurent plus de désillusions qu’il ne les avait parées d’espoir. Pauvre plus que jamais, trahi, déçu par son rêve, il revint en Bourgogne juste à temps pour transcrire ses derniers rondeaux et préparer une édition de ses œuvres qui lui tint lieu de consolation dans la vieillesse. » Il mourut peu après l’année 1536, laissant un unique recueil de vers publié à Paris par Roffet (in-8o : Les Œuvres de maistre Roger de Collerye, homme très sçavant, natif de Paris, secrétaire de feu M. d’Auxerre, lesquelles il composa dans sa jeunesse, contenant diverses matières pleines de grand récréation et de passetemps.

Bibliographie. — Charles d’Héricault, Préface aux Œuvres de R. de Collerye ; Paris, éd. Jannet, 1856, in-12. — Henri La Maynardière, Poètes chrétiens ; Paris, Bloud, 1908, in-18.


BON TEMPS


Or qui m’nymera, si me suyve,
Je suis Bon Temps, vous le voyez ;
En mon banquet nul n’y arrive
Pourveu qu’il[2] se fume ou estrive,
Ou ait ses esprits fourvoyez.
Gens sans amour, gens desvoyez,
Je ne veux ni ne les appelle,
Mais qu’ilz soient gectez à la pelle.

Je ne semons en mon convive
Que tous bons rustres avoyez ;
Moy, mes suppostz, à pleine rive,
Nous buvons, d’une façon vive,
A ceulx qui y sont convoyez.
Danseurs, saulteurs, chantres, oyez,
Je vous retiens de ma chapelle
Sans estre gectez à la pelle.

Grongnards, hongnards, fongnards, je prive[3],
Les biens leurs sont mal employez ;
Ma volunté n’est point rétive,
Sur toutes est consolative
Frisque, gaillarde, et le croyez ;
Jureurs, blasphémateurs, noyez ;
S’il vient que quelqu un en appelle.
Qu’il ne soit gecté à la pelle.

Prince Bacchus, telz sont rayez.
Car d’avec moy je les expelle ;
De mon vin clairet essayez
Qu’on ne doibt gecter à la pelle.


CRY POUR L’ABBÉ DE L’ÉGLISE D’AUXERRE
ET SES SUPPOSTS


Sortez, saillez, venez de toutes parts,
Sottes et sotz, plus promps que lyepars,
Et escoutez nostre cry magnifique ;
Lassez chasteaux, murailles et rempars,
Et voz jardins, et voz cloz, et voz parcs,
Gros usuriers qui avez l’or qui clique ;
Faictes fermer, marchans, vostre boutique,
Grans et petitz, destoupez voz oreilles,
Car par l’Abbé, sans quelconque traffique
Et ses suppostz orrez demain merveilles.

N’y faillez pas, messieurs de la justice,
Et vous aussi, gouverneurs de police,
Admenez y vos femmes sadinettes.
En voz maisons lessez-y la nourrice,
Qui aux enfans petitz leur est propice
Pour les nourrir de ses deux mamellettes.
Jeunes tendrons, gaillardes godinettes.
Vous y viendrez, sans flacons et bouteilles,
Car par l’Abbé, sans porter ses lunettes,
Et ses suppostz, orrez demain merveilles.

Marchans, bourgeoys, vous, gens de tous mestiers,
Boucliers, barbiers, cordonniers, savetiers,
Trompeurs, fluteurs, joueux de chalumeaux,
Trouvez-vous y aussi, menestriers,
Hapelopins, macquereaux, couratiers,
Et apportez de voz bons vins nouveaulx ;
Badins, touyns, aussi mondains que veaulx,
Vous, vignerons, laissés vignes et treilles,
Car par l’Abbé, sans troubler voz cerveaux,
Et ses suppostz orrez demain merveilles.

Faict et donné, en ung beau jardinet,
Tout au plus près d’un joly cabinet
Où bons buveurs ont planté maint rosier :
Scellé en queue, et signé du signet.
Comme il appert de Desbridegozier.

(Les Œuvres de Maistre Roger de Collerye ; 1536.)



  1. Charles d’Héricault, Préface aux œuvres de R. de Collerye.
  2. À moins qu’il ne.
  3. De toute participation à mon banquet.