Les Poètes du terroir T I/Philibert le Duc

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 306-309).

PHILIBERT LE DUC

(1815- ?)


Né à Bourg en 1815, Philibert le Duc fut inspecteur des forêts à Lons-le-Saunier, membre de l’Académie de Lyon et de diverses sociétés savantes. On lui doit un certain nombre d’ouvrages en prose et en vers : Les Noëls bressans (Bourg, Milliet-Bottier, 1846, in-18) ; Boisement du département de l’Ain (Bourg-en-Bresse, Martin-Bottier, 1856, in-8o) ; L’Église de Brou et la devise de Marguerite d’Autriche (ibid., 1856, in-8o) ; Papiers curieux d’une famille de Bresse (Nantua, imprimerie Arène, 1862, in-12) ; Tables des cônes tronqués pour le cubage des bois (Paris, Dunod, 1865, in-12) ; Varenne de Feuille, étude sur sa vie et ses œuvres (Paris, Rothschild, 1869, in-8o ; Brixia, poèmes (Bourg, Gromier, 1870, in-12) ; Haltes dans les bois (Paris, Willem, 1874, in-18) ; Curiosités historiques de l’Ain, etc. (Bourg, imprimerie Milliat, 1878, 2 vol. in-8o) ; Sonnets curieux et Sonnets célèbres (Paris, Willem, 1879, in-8o) ; Histoire de la Révolution dans l’Ain (Bourg, Martin-Bottier, et Paris, Lechevalier, 1879-1884, 6 vol. in-12) ; Chansons et lettres patoises bressanes, bugeysiennes et dombistes, etc. (Bourg-en-Bresse, 1881, in-8o), etc. Il a publié en outre La Vie et le Catalogue des œuvres du président Riboud et une nouvelle édition de l’Enrôlement de Tivan, comédie bressane de Brossard de Montaney. Philibert le Duc est mort peu après l’année 1880. Ses meilleures poésies sont contenues dans son volume Brixia, recueil entièrement consacre à la glorification de la terre bressane.


L’AUTOMNE EN BRESSE
(environs de jasseron)


Atque utinam ex vobis unus, vestrique fuissem
Aut custos gregis, aut maturæ vinitor uvæ !

(Virg.)

Maintenant les blés noirs où la caille s’abrite
Étendent sur la Bresse un tapis argenté ;

Maintenant refleurit la reine-marguerite,
Dernier sourire de l’été.

Les cerisiers dorés perdent leur beau feuillage ;
Les branches des pommiers courbent sous les fruits mûrs ;
Le raisin blond suspend ses grappes au treillage,
Et la figue brunit à l’angle des vieux murs.

Contre les espaliers la pêche savoureuse
Etale en rougissant son duvet velouté.
La courge traîne au loin sa tige vigoureuse
Sous le « soleil » jaune et voûté.

La capucine en fleur dans ses feuilles conserve
Des gouttelettes d’eau, diamants tout tremblants ;
Et le saule penché sur le bord d’une serve[1]
Cache son tronc gercé sous les liserons blancs.

Le long de nos buissons où l’on voit quelques nèfles,
L’écolier tend un piège au bec-figue engraissé ;
Les chasseurs aguerris poursuivent dans les trèfles
Quelque pauvre lièvre blessé.

Les bergers, abrités de la bise qui gronde,
Font au bord des fossés des fouets retentissants ;
Et la bergère, en train de danser une ronde,
Laisse aller aux taillis ses troupeaux mugissants.

Le matin, le brouillard s’allonge sur la terre,
Et voile la montagne et la plaine à nos yeux ;
Sur le haut des noyers le pinson solitaire
Jette un cri sonore et joyeux.

Mais si le soleil fond le givre des ramures,
On voit des fils d’argent se promener dans l’air ;
Les insectes dans l’herbe ont encor des murmures ;
L’alouette en chantant monte dans le ciel clair.



À la pointe du jour s’éveille le village :
Les vendangeurs s’en vont à la vigne en huchant[2] ;
Ce sont partout des bruits de chars et d’attelage,
Et de bœufs à pas lourds marchant.


Des enfants sont juchés derrière les bannoires[3] ;
Le vallon retentit des querelles des geais ;
La g-rive au petit cri, le merle aux ailes noires,
S’échappent à grand bruit du fourré des murjets[4].
 
Le soir, les vendangeurs avec leur hotte pleine
Reviennent au village en groupes rassemblés,
Tandis que le fermier ramène de la plaine
Le berrot[5] chargé de gros blés.

Au son de la musette on danse dans les granges
Les branles sautillants, la danse du pays ;
Ou bien, en racontant des histoires étranges,
Vignerons et fermiers dépeillent[6] le maïs.

Oui, les voilà venus, les heureux jours d’automne
Les feuillages des bois prennent mille couleurs.
L’abeille sur les murs que le lierre festonne
Picore les dernières fleurs.

Le martin-pêcheur bleu vole sur les rivières ;
Gomme un nuage noir des milliers d’étourneaux
S’abattent dans les prés ; et sur les chenevières
Se gorgent de grains mûrs les voraces moineaux.

Les oiseaux voyageurs en phalanges unies
Volent de haie en haie à de plus doux séjours.
Le rouge-gorge seul, dans les feuilles jaunies,
Chante encor la fin des beaux jours.



Moi, je ne verrai pas la Bresse cet automne,
Ni les rochers que j’aime, entourés de gazon.
Je suis dans une plaine immense et monotone,
L’horizon que je vois n’est pas mon horizon.



Toi qui sais, doux ami, combien pâle et mourante
La nature en automne a de charmes touchants,

Toi qui prètes l’oreille au bruit de l’eau ooiirnnle,
Toi qui vas rêver dans les champs ;

Toi qui comprends combien je regrette la Bresse,
Combien j’aime les lieux où je vécus toujours,
Où je veux vivre encor, c’est à toi que j’adresse
Ces souvenirs épurs d’automne et d’heureux jours.

Ami, n’iras-tu pas un jour à la montagne ?
Vas-y ! l’air est si pur sur la cime des monts !
Oh ! va, un beau matin, du cœur je t’accompagne,
Dans le sentier que nous aimons.

Assieds-toi dans les buis où nous rêvions ensemble,
Un soir aux doux rayons du soleil polissant.
De là, suis le taillis dont le feuillage tremble,
Dont la vive senteur te parfume en passant.

Va par le bois Giroux descendre en Tiremale[7] ;
Vers la tour qui blanchit dans le ciel azuré,
Monte par le sentier bordé de tithymale,
Le long du jardin du curé.

Regarde si la bise efface sur les pierres
Les paroles d’amour qu’on trace avec émoi ;
Et, du côté du nord soulevant tes paupières,
Cueille une campanule en souvenir de moi.

(Brixia, 1870.)



  1. Réservoir.
  2. En poussant des cris de joie.
  3. Cuve oblongue destinée à transporter la vendange.
  4. Mur jeté bas.
  5. Petite voiture à deux roues traînée par les bœufs.
  6. De dépeiller, dépouiller le maïs.
  7. Tiremale, petite vallée de Jasserou, entre la montagne du Château et celle des Combes.