Les Poètes du terroir T I/François Fertiault

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 310-312).

FRANÇOIS FERTIAULT

(1814)


Doyen des lettres françaises, M. François Fertiault est né le 25 juin 1814, à Verdun-sur-le-Doubs (Saône-et-Loire), où son père, vieux soldat, après vingt ans de service, laissa une réputation de probité proverbiale. Appelé à l’âge de six ans à Chalon-sur-Saône, par son grand-oncle, il fit son éducation au collège de cette ville. À seize ans, ayant à peine terminé ses études, il écrivait son premier poème, La Nuit du génie, qui vit le jour à Chalon, en 1835. La même année, M. Fertiault vint à Paris, où pendant plusieurs mois il travailla, avec Émile de la Bédollière, chez le Bibliophile Jacob (Paul Lacroix). Depuis l’année 1836, il mena de front un double labeur, s’employant à des travaux de banque et rimant aux instants de loisir. Il a collaboré à de nombreuses publications.

On a donné une longue liste de ses ouvrages. Nous en détachons les titres suivants : Noëls bourguignons de la Monnoye, traduct. française, avec le texte en regard (Paris, Lavigne et Gosselin, 1842, in-18) ; etc. (Paris, Aubry, 1854, in-32 ; Le Bac des vendangeurs (Paris, Rigaud, 1864, in-8o ; Les Petits Drames rustiques (Paris, Didier, 1875, in-16) ; Histoire d’un chant populaire de la Bourgogne (Paris, 1883, in-16) ; De la Levée du Doubs à la Pointe du Pré (Mâcon, 1884, in-8o) ; Les Deux Vignerons, dialogue en patois bourguignon et en vers, traduct. en regard (Mâcon, 1884, in-8o) ; La Vraie Lumière, noël en patois bourguignon, traduct.  en regard (Mâcon, 1884, in-4o) ; Sonnets verdunois (Paris, 1885, in-8o) ; Des Traditions populaires dans les Noëls bourguignons de la Monnoye (Paris, 1890, in-8o) ; Dictionnaire du langage populaire verduno-chalonnais (Saône-et-Loire) (Paris, Bouillon, 1896, in-8o) ; Au Clair Pays (Paris ; Lemerre, 1897, in-18) ; Rimes bourguignonnes (Paris, Bouillon, 1900, in-18) ; Le Cher Petit Pays, tableautins de vacances et pages verdunoises (Chalon-sur-Saône, Jannin-Mulcey, 1903, in-8o), etc., etc.

La poésie de M. François Fertiault est faible, mais elle se recommande à notre attention parce qu’elle reflète fidèlement la bonhomie du villageois bourguignon. L’œuvre la plus importante de cet auteur est saus nul doute son Dictionnaire verduno-chalonnais, travail comparatif qui permet de rattacher à une foule de vocables savoureux un certain nombre d’expressions françaises congénères. M. Fertiault a doublement payé son tribut de reconnaissance au sol qui l’a vu naître en célébrant, soit par l’érudition, soit par un lyrisme approprié, le caractère de sa province. Ses compositions patoiscs ont parfois assez du charme pour qu’on les confonde avec des productions populaires. C’est le plus bel éloge que nous en puissions faire.

Bibliographie. — Alfr. de Martonne, Biographies et Bibliogr. de F. Fertiault et de Mme J. Fertiault ; le Puy, impr. de Marchessou, 1891, in-8o. — Maurice du Bos, Un Poète bibliophile, M. F. F. ; Issoire, Boucheron et Vessely, 1905, in-8o.



L’ÎLE[1]


Mes tableaux d’autrefois ne sont point oublies.
Tout enfant, je t’ai vue étalant ta verdure,
Et, coquette, mirant dans l’eau profonde et pure
Le bataillon chantant de tes fins peupliers.

Mais au temps destructeur tes destins sont liés.
Aujourd’hui l’incurie a rompu ta ceinture ;
Non, plus de frondaisons, d’ombrage, de murmure…
Tes flancs contre les flots n’ont plus de boucliers…

Et de toi ce qui reste est plein de charme encore !
On aime le bouquet dont ton front se décore ;
On court avec plaisir, vieille île, dans ton pré ;
On s’attache à ta rive, où moins de force abonde,
Et ta pointe est toujours pour moi le lit sacré
Où le Doubs à l’eau verte entre en la Saône blonde.

(Le Cher Petit Pays.)
CHANSON BOURGUIGNONNE


Eho ! ého ! ého !
Les agneaux vont aux plaines,
Eho ! ého ! ého !
Et les loups sont aux bos, — ho ! (bis)

Tant qu’aux bords des fontaines
Ou dans les clairs ruisseaux,
Les moutons baign’t leur laine,
I dansont au préau,
Eho ! ého ! ého !

Mais qu’équ’fois par vingtaines
I s’éloign’t des troupeaux,
Pour aller sous les chênes
Qu’ri des herbag’s nouviaux,
Eho ! ého ! ého !

Et ces ombres lointaines
Leurs y cach’nt leurs bourreaux ;
Car, malgré leurs plaint’s vaines,
Les loups croqu’nt les agneaux,
Eho ! ého ! ého !

T’es mon agneau, ma reine ;
Les grand’s vill’s, c’est les bos,
Par ainsi donc, Mad’leine,
N’t’en vas pas du hameau !

Eho ! ého ! ého !
Les agneaux vont aux plaines,
Eho ! ého ! ého !
Et les loups sont aux bos, — ho !  (bis)

(Les Rimes bourguignonnes.)



  1. L’île de Verdun-sur-le-Doubs, pays des célèbres « pôchouses ». Les seigneurs de Verdun y avaient leur château. Il y avait jadis un petit îlot en face de la Glacière ; il était séparé de la grande île par le Creux du Moulin, qui était l’endroit préféré par les femmes pour aller, le soir, prendre un bain de rivière. Cet îlot a été détruit pour l’amélioration de la navigation.