Les Poètes du terroir T I/J. Durandeau

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 313-315).

J. DURANDEAU

(1835)

Jean-Baptiste-Joachim Durandeau est né le 23 mai 1835, à Vitteaux (Côte-d’Or), et descend d’une famille établie depuis plusieurs siècles dans sa ville natale. En 1793, le grand-père du poète actuel, Jacques Durandeau, partait comme volontaire et se signalait pendant les guerres de Vendée. Nommé sous-lieutenant et chevalier de la Légion d’honneur, il périt à la bataille de la Moskowa.

Joachim Durandeau, après avoir fait son stage à Dijon, en vue d’être notaire, prit en dégoût cette profession, devint chef d’institution à Paris, fonda le Journal du baccalauréat, puis collabora à la Revue de l’Instruction publique, à la revue La Libre conscience et enfin à la Revue bleue. Il donna aussi quelques articles au Journal de Paris. Actuellement il dirige à Dijon le Réveil bourguignon, dont il est le fondateur.

Il a publié : Bartholoméo ou le doute, poème (Paris, chez l’auteur, 1867, in-8o) ; Les Sombres, poésies rustiques (ibid., 1867, in-12) ; Nouvelles Géorgiques, poésies (Paris, Librairie des Bibliophiles, 1879, in-18) ; La Comédie à cent actes, poésies (Dijon, s. n. d’édit., 1887, in-18) ; Une exécution popul. à Vitteaux (Côte-d’Or) en 1790 (Dijon, Darantière, 1887, in-8o) ; Aimė Piron ou la vie littéraire à Dijon pendant le dix-septième siècle (Dijon, Librairie nouvelle, 1888, in-8o) ; Le Théâtre de l’infanterie dijonnoise (Dijon, Librairie nouvelle, 1888, in-12), etc., enfin une série de brochures constituant une petite Bibliothèque bourguignonne dont le monument effectif est un Dictionnaire français-bourguignon, en cours de publication. Voyez, entre autres : La Grande Asnerie de Dijon (Dijon, Darantière, 1887, in-8o) ; La Braverie ou Réjouissance de 1630 pour la naissance de M. de Conty (Dijon, chez tous les libraires, 1888, in-16) ; Mascarade et Pastorale dédiée à M. de Bellegarde (Dijon, « Réveil bourguignon », 1889, in-18) ; Le Menou d’or d’après l’édition de Nicolas Spirinx, suivi du Testament de Mère Folie et du conte de la fille qui cherchait ses puces (Dijon, chez un fameux libraire autant que peu connu, qui ne dit pas son nom et qu’on n’a pas revu, 1890, in-12) ; Dreuleries queumises po les gens d’i petiot coin de l’Auxoes. Monées piécentes de vers borguignons aiveu lotte trad. en français (Dijon, Darantière, 1890, in-16) ; Les Fantaisies philologiques du savant M. Ignare ou le massacre de l’innocent patois bourguignon, etc. (Dijon, Warion, 1890, in-12) ; Les Deux Rimailleries de Petitot, suivies des hivers terribles et des méchancetés de M. Mignard (Dijon, chez tous les libraires, 1891, in-12) ; Lé Barózai, suivi d’une correspondance de La Monnoye avec l’huissier d’Argencourt, etc. (Dijon, 1892, in-16) ; Adieux des Dijonnais à Bontemps, pièce inédite (xviie siècle) (Dijon, chez tous les libraires, 1892, in-12) ; Plaintes d’un vieil Bourguignon de l’infanterie dijonnoise sur la mort de M. de Termes, 1621 (Dijon, chez tous les libraires, 1892, in-12) ; Les Escreignes, d’après Tabourot, dit seigneur des Accords, et d’apres l’un des sept de l’académie de Troyes (Dijon, « Réveil bourguignon », 1900, in-12), etc.

M. J. Durandeau n’est pas seulement un poète local, mais un érudit dont les travaux sur la Bourgogne font autorité. En 1892, la Revue bleue a publié sous son nom une étude touchant la Renaissance bourguignonne qui fixe une date dans notre histoire littéraire des provinces. On lui doit aussi les meilleures éditions de poésies patoises d’Aimé Piron. (Voir la notice consacrée à ce poëte.)



L’AUXOIS


Je voudrais te chanter, ô mon pays d’Auxois,
Où le sabot sonore aux pieds du villageois
Retentit ! Petits monts dénudés dont les crânes
Cachent de vieux tombeaux et de sombres arcanes,
Où le fer des labours rebondit sous la main
Au choc des os gaulois et du glaive romain.
Qu’il me plairait de dire en ta langue rustique
Les exploits de tes preux à cette époque antique
Qui charme notre esprit et fait germer au cœur
L’épi d’or de la gloire et du libre bonheur !
C’est là, sol du Druide, où s’éleva mon âme !
Sur tes dolmens sacrés, où la vaillante lame
De Vercingétorix autrefois se brisa.
L’eau coule au lieu de sang, et l’on m’y baptisa.
Dans un calme village assis près de la Brenne
(Comme ce nom gaulois que l’on connait à peine
Est doux au prononcer !), tout au creux de l’Auxois
Serpenta mon enfance à travers monts et bois.
J’étais sauvage alors ! J’aimais tant à répandre

Partout mon libre instinct ! À monter, à descendre
J’excellais, et souvent mon absence jeta
L’alarme et la douleur au sein qui me porta.
On me croyait perdu lorsque sur toi, Nature,
Je me roulais, fuyant, trop fière créature,
Ce premier pas qui mène aux études sans fin !
Ah ! les fortes leçons qu’exhalait ton grand sein !

Quand maintenant je viens, de mes luttes lointaines
Meurtri, me retremper au frais de tes fontaines
Et contempler encor tes verdoyants contours,
Terre aux flancs argileux chargés de tant de jours,
Il me semble renaître à ton grave sourire,
Tel qu’aux temps où sur moi s’exerçait ton empire !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Nul barde n’a chanté ta gloire et ta rudesse,
Cependant ! nul n’a dit ce que tient de tendresse
Et d’agreste bonheur ton sein fauve et rugueux !
Nul n’ayant peint tes bois, tes monts, tes vallons creux
Et les robustes cœurs qui luttent sur ta terre,
Auxois, sol ferme et fort, où Buffon, solitaire
Dans sa tour de Montbard, tenta de déchirer
Ce voile où la Nature aime à se retirer,
Hors Buffon, qui de toi prit l’haleine puissante,
Et, durant soixante ans, d’une main incessante,
Compulsant, écrivant, te peignit par endroits,
Nul ne t’ayant chanté, j’élève, moi, la voix !

(Nouvelles Géorgiques.)