Les Poètes du terroir T I/Gabriel Vicaire

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 316-320).

GABRIEL VICAIRE

(1848-1900)


Poète de la Bresse et de la Bretagne, Louis-Gabriel-Charles Vicaire naquit le 25 janvier 1848, à Belfort, où son père, Alphonse Vicaire, était receveur de l’enregistrement et des domaines. Circonstance fortuite, a-t-on dit, car les siens étaient originaires de cette partie de la Bourgogne qui a formé le département de l’Ain. Il fit ses études à Bourg et commença son droit à Paris. La guerre survenant, il fut incorporé dans les mobiles de Saône-et-Loire. Reçu licencié en droit, après l’invasion, il se fit inscrire au barreau de Paris ; mais il plaida peu, préférant « la conquête du vert laurier » à l’exercice de la chicane. Il vécut dès lors en toute indépendance, « habitant tour à tour place de l’Observatoire, puis rue Madame, 9, rue Racine, 16, rue de Vaugirard, 63, rue de Grenelle, et en dernier lieu, 26, rue Denfert-Rochereau. Il ne quitta ce dernier domicile que pour se rendre dans la maison de santé du docteur Comar, où il devait trouver la mort après une longue et douloureuse agonie de dix-sept mois[1], » le 23 septembre 1900. « Il se rendait souvent à Ambérieu, où habitaient ses proches, à Mâcon, auprès de son cousin M. Lespinasse, notaire, quelquefois en Suisse, et enfin, dans les dernières années, sur les côtes de Bretagne. » Il n’avait d’ailleurs point oublié la Bourgogne, et ses meilleurs souvenirs étaient pour ce petit pays bressan qu’il a rendu à jamais célèbre dans le domaine des lettres.

La destinée de Gabriel Vicaire a été courte, mais bien remplie ; en moins de quinze années il a produit une œuvre variée et durable et d’une unité parfaite. Depuis son livre de début. Les Emaux bressans (Paris, Charpentier et Fasquelle, 1884, in-18)[2] où il montra d’un seul coup toutes ses ressources d’originalité, jusqu’à ses recueils posthumes il n’a cessé d’être « lui-même » sans jamais se répéter. Son amour pour le pays natal, « cette recherche non affectée qu’il mettait à ressusciter la muse du peuple et à chanter les vieux airs » dont on avait bercé son enfance, déborde de tous ses livres. Il avait, en effet, selon l’expression d’un de ses commentateurs, des chansons populaires plein les lèvres. Ces livres : Le Miracle de saint Nicolas (Paris, Lemerre, 1888, in-18) ; Quatre-vingt-neuf (ibid., 1888, in-18) ; Marie-Madeleine (ibid., 1889, in-18) ; L’Heure enchantée (ibid., 1890, in-18) ; À la bonne franquette (ibid., 1891, in-18) ; Au bois joli (ibid., 1893, in-18) ; Le Clos des Fées (ibid., 1897, in-18), etc., qu’il fit paraître successivement après son premier recueil, nous le montrent tour à tour rêveur, enjoué, non sans une pointu de malice, grave, éloquent et sincèrement tendre. Son vers a de la grâce, de la fraicheur et cette légèreté qu’il doit aux dons que lui départit une muse bocagère et sylvestre, fantasque et souriante. Épris de légendes et d’inventions rustiques, il ajoute à la grâce ingénue du chanteur populaire une finesse, une bonhomie délicate, une science du rythme et des images qui en font un écrivain unique dans nos provinces. Il n’est point seulement le poète de clocher qu’on a dit, glorifiant inccssamment la Bresse mais l’évocatcur puissant en qui ont passé tous les ancêtres du terroir gaulois, depuis Villon jusqu’au bon La Fontaine. Sa poésie limpide coule de source et alimente ce grand fleuve harmonieux et lent où se reflètent les plus beaux sites de France. Il y a une telle aisance dans sa rime, une telle souplesse dans sa strophe, qu’on est tenté de confondre parfois ses compositions avec les menues chansons qu’il commenta un jour dans ses Études sur la poésie populaire.

On doit encore à Gabriel Vicaire plusieurs pièces de théâtre : Fleurs d’avril, La Farce du mari refondu, comédies écrites avec la collaboration de M. Jules Truffier ; Sortilège, en collaboration avec M. Charles le Goffic ; un amusant pastiche : Les Déliquescences d’Adoré Floupette (Paris, Vanier, 1885, in-18), et deux autres ouvrages, l’un en vers, Au Pays des ajoncs, Avant le soir (Paris, H. Leclerc, 1901, in-18), contenant ses poèmes sur la Bretagne, l’autre en prose, réunissant ses Études sur la poésie populaire (ibid., 1902, in-18). Ces deux volumes ont été publiés après sa mort, par les soins pieux de « son cousin par le sang, de son frère par l’affection », M. Georges Vicaire.

Bibliographie. — Henri Corbel, Un Poète : Gabriel Vicaire, 1848-1900. Eau-forte de Lalauze. Charge de Léandre. Paris, Tallandier, s. d., in-18.



BONHEUR BRESSAN


J’ai fait plus d’une fois le rêve de Jean-Jacques :
Avoir, près d’un pêcher qui fleurirait à Pâques,
Un bout de maison blanche au fond d’un chemin creux,

C’est tout ce qu’il rae faut, je crois, pour être heureux.
Ce serait tout là-bas, proche la Samiane,
En un recoin fleuri de la terre bressane,
Où de mon lit, du moins, je verrais quelquefois
Le matin se lever, rose, au-dessus des bois.
Là, mes jours s’en iraient à la bonne franquette,
Peu de soucis au cœur, pas de sotte étiquette,
Mais un enchantement toujours jeune et nouveau.
Vêtu du sarrau bleu, coiffé du grand chapeau,
Parmi les paysans je vivrais comme un sage,
Attrapant chaque jour une rime au passage ;
Et que d’humbles plaisirs, antiques, mais permis,
Dont je ne parle pas ! Avec de bons amis,
Tous au même soleil, comme on serait à l’aise !
Le soir, sous la tonnelle on porterait sa chaise ;
Bientôt le petit vin de Bresse interviendrait,
Bavard comme toujours et toujours guilleret ;
Puis, à la nuit, chacun rêvant de sa chacune,
On fumerait sa pipe, en regardant la lune.
Ainsi je vieillirais et j’attendrais mon tour,
À ne jamais rien faire occupé tout le jour.
Je n’en demanderais, ma foi, pas davantage ;
Mais s’il venait, rêveuse, un soir, à l’ermitage
Quelque fillette blonde avec de jolis yeux,
Pour la bien recevoir on ferait de son mieux.


AU BORD DE L’EAU


À Josephin Soulary.


En m’en revenant de vers chez mon père,
— Vole au soleil d’or, vole, ma chanson ! —
En m’en revenant, derrière un buisson,
Je vois Marion qui se désespère.

Elle regardait — le joli tableau ! —
Dans le vert Suran trembler son image.
« Galant, me dit-elle, oh ! que c’est dommage !
La clef de mon cœur est tombée à l’eau.

« La clef de mon cœur est dans la rivière ;
Elle flotte, flotte avec le courant.

Où la retrouver ? Le monde est si grand ! »
— Et je lui réponds de la chènevière :

« Donne-moi ta main et sèche tes pleurs ;
Je suis compagnon de la marjolaine !
La clef de ton cœur, nous l’aurons sans peine :
Le rosier d’amour est encore en fleurs.

a Allons, si tu veux, jusqu’au bout du monde !
Mais ne parlons pas sans nous embrasser ;
Allons en chantant ; nous verrons danser
Les vaisseaux du roi sur la mer profonde.

— Eh bien, qu’il soit fait comme tu voudras.
Partons : il est temps, le soleil se couche. »
Et contre ma bouche elle met sa bouche,
Et sur mon épaule elle met ses bras.

Adieu donc chez nous, adieu donc la Bresse,
Adieu, bois en fleurs et petits étangs !
Je ne reviendrai que dans cinquante ans :
Je m’en vais en guerre avec ma maîtresse !


PAYSAGE


À Octave Lespinasse.


Il est charmant, ce paysage,
Peu compliqué, mais que veux-tu ?
Ce n’est qu’une mer de feuillage,
Où, timide, à peine surnage
Un tout petit clocher pointu.

Au premier plan, toujours tranquille,
La Saône reluit au matin.
Par instants, de l’herbe immobile
Un bœuf se détache et profile
Ses cornes sur le ciel lointain.

Vis-à-vis, gardant ses ouailles,
Le nez penché sur un tricot,
Tandis qu’au loin chantent les cailles,
Une vieille compte ses mailles,
Rouge comme un coquelicot.

Et moi, distrait à ma fenêtre,
Je regarde et n’ose parler.
À quoi je pense ? À rien peut-être.
Je regarde les vaches paître
Et la rivière s’écouler.


EN BRESSE


À Léon Valade.


Il soufflait, cette nuit, un grand vent de jeunesse.
Ah ! bonsoir aux soucis maintenant ! Notre Bresse
A mis à son corsage une fleur de pêcher.
La vieille fée en Saône a jeté sa béquille,
Et rit à pleine voix comme une jeune fille.
Hourra ! l’amour au bois, l’amour va se cacher !

Et me voilà parti. Gai comme l’alouette,
Je m’en vais, fredonnant quelque vieille ariette.
Devant moi tout est calme, immobile et charmant.
C’est mai, le ciel joyeux rit au travers des branches.
Sous les buissons en fleur l’eau court, et toutes blanches,
Les fermes au soleil se réchauffent gaîment.

Voici la mare verte où vont boire les canes,
L’enclos ensoleillé, plein de vaches bressanes,
D’où l’on voit devant soi les merles s’envoler ;
Ici les peupliers ébranchés ; là des saules,
Trapus, noueux, courbant leurs solides épaules,
Comme de vieux lurons que l’âge fait trembler.

Plus loin c’est la maison des Frères, et l’église,
Avec son coq gaulois et sa toiture grise ;
Puis, l’auberge enfumée : Au grand saint Nicolas.
L’enseigne pend au mur où bourdonnent les ruches.
La nappe est mise. Holà ! qu’on apporte les cruches,
Nous boirons au bétail à l’ombre des lilas.

(Émaux bressans.)



  1. Henri Corbel, Un Poète : Gabriel Vicaire.
  2. Nouvelle édition, Paris, libr. H. Leclerc, 1904, in-16.