Les Poètes du terroir T I/Ph. Hégémon

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 265-267).

PHILIBERT HÉGÉMON

(1535-1595)

Philibert Guide, dit Hégémon, naquit à Chalon-sur-Saône, d’une famille noble et ancienne, le 22 mars 1535. Il était fils de Philippe Guide, procureur du roi au bailliage de cette ville, et de Reine hougeot. Il remplit la charge de son père et mourut le 29 novembre 1595, au retour d’un voyage à Genève, alors qu’il venait d’embrasser la religion réformée. On connaît de lui : La Colombière et Maison rustique, contenant une description des douze mois et quatre saisons de l’année, avec enseignement de ce que le laboureur doit faire pour chacun mois, etc., le tout suivi de l’Abeille française, tables morales et autres poésies (Paris, Robert Le Fizelier, 1583, in-8o). Un tel titre nous dispense d’une description de l’ouvrage. Hégémon est un écrivain didactique, véhément et prolixe, c’est-à-dire parfois ennuyeux et monotone. Cependant il faut lui rendre cette justice, qu’en un temps où la poésie languissait au service de Vénus, il renouvela les motifs d’inspiration. Avec lui la Muse n’est plus condamnée à répéter les interminables plaintes des amants désespérés ; au contraire, elle chante les plaisirs des champs, et célèbre les travaux et les plaisirs de la saison. C’est peut-être le premier poète de la Bourgogne qui ait consigné de curieux détails sur la vie et les mœurs rustiques du xvie siècle.

Guide Hégémon portait pour devise : Dieu pour guide.

Bibliographie. — Abbé Goujet, Bibliothèque française, XIII, p. 410. — Viollet-le-Duc, Catalogue des livres composant la biblioth. poét.  de M. Viollet-le-Duc ; Paris, Hachette. 1843, in-8o.



AUTOMNE

Le soleil radieux, de céleste vertu,
Balance en visitant le Scorpion poinctu,
Mais l’Archer, qui le vise, asseure sa carriere.
Parquoy (hardy) il vient lors franchir la barriere.

Et l’Automne effeuillé survient, fruictier, vineux,
Variable, inconstant, maladif, caterreux ;
De lu complexion d’homme mélancholique,
Qui a vin de Pourceau, et à dormir s’applique.
Il est de qualité froid et sec, et le vent
Du glacé Boreas il imite souvent.
Quant à son naturel, à la terre ressemble.
Et si est comparé à vieillesse qui tremble,
Et qui avare craint d’avoir nécessité
En ses plus caducs ans : de ce faire incité
Par l’Hérisson, lequel (diligent) lors s’addone
Pour le prochain Yver, ravir les fruicts d’Automne.
Aussi nostre Rustiq’ de beaucoup plus expert,
Recueille tous les fruicts de garde pour l’[h]yvert :
Et pour les conserver, fait des clayes suspendre
Avec un peu de paille, et dessus les estendre
En lieu où trop grand froid ne puisse pénétrer :
Car si gelez ils sont, ne peuvent profiter.
En ce temps le plaisir est lors que l’on vendange :
Car chacun au travail diligemment se range.
L’on quitte les maisons des villes, et les champs
S’entretiennent de chars, et mesnages marchans :
De sorte qu’on diroit que ce sont colonies
Cherchans autre demeure, avecques leurs mesgnies.
Icy un taboulant bastit un neuf tonneau :
Un autre moins sçavant racoustre un viel cuveau :
Cetuy my-part l’osier, l’autre lie le cercle ;
Cetuy-ci va rinçant l’entonnoir et la seille,
Abbreuve cuve et treul, où bien tost le raisin
Est porté vendangé, pour en tirer le vin ;
Lequel encor’ bouillant, d’ardeur, on emprisonne
Dedans un creux vaisseau, où il bruit, fume et tonne,
Jettant par un pertuis (seul demouré ouvert)
Une rage escumant, dont il estoit couvert ;
Et dès lors, appaisé, convertit sa cholera
En suave liqueur, douce, belle, et fort claire.
Il rit par le bondon, qui fait que l’approcher
Avec un chalumeau on vient, pour le baiser.
Mais qui s’y plaist par trop (ainsy qu’à folles filles)
En perd force, et les sens deviennent imbecilles.
L’un d’un coup de dezey, pour mirer sa couleur

Esclattant, en argent, distille sa liqueur.
Un autre, ayant par trop lutté contre sa force,
De rire, et de gaudir, ou de dormir s’efforce :
Ou bien en chancellant (et quasi demy-mort)
Menace en sa cholere un autre de la mort.
Ce-pendant, d’autres sont qui d’œuvrer point ne cessent :
Car comme vrais Formis, icy, puis là, s’exercent.
L’un jambes et pieds nuds trépignant, et saultant,
Escoule en un ruisseau l’escacbé raisin blanc :
Qu’est lors que femmes font leur joyeux commérage
Avec ce doux Nectar, des Aulx, et du Fromage :
En plongeant au dedans leur flamensse et gasteaux.
Lesquels (encor bouillans) enfument leurs cerveaux :
Et puis Dieu sçait comment on cause, et on besongne.
En faisant près du pot le conte à la Cigongne.
Les unes en fureur, lors on voit despiter,
Et une autre, en plourant, leur vient à raconter
De son mary jaloux l’effort et la finesse :
En fin, le lendemain de dormir on ne cesse.
Le maistre toutesfois visite ses ouvriers.
Qui, plus qu’en autre temps, sont alaigres et fiers.
Mais qui a jamais veu ceux attendans un siège,
Travailler jour et nuict, avant qu’on les assiège :
Tout d’une mcsme ardeur, la vendange durant.
On voit grans et petits le travail endurant.
Puis comme un camp espars, qui chercbe meilleur’ place,
Ayans tout recueilly, chacun du lieu desplace,
Et munis de tous biens, retreuvent leur hostel
Pour combattre la faim, leur ennemy mortel,
Et là, s’ils sont prudens, en amour asseurée
Vivront en louant Dieu, d’une paix bien-heurée.
En ce temps qui vouldra sa santé maintenir,
Se fault garder d’excès, et sur jour de dormir :
N’endurer faim, ny soif, ne manger cru fruictage.
Ni changer de façon, et vivre en son mesnage.

(La Colombièrc et Maison rustique ; 1583.)