Les Poètes du terroir T I/N. Quellien

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 448-452).

NARCISSE QUELLIEN

(1848-1902)

Né à la Roche-Derrien (Côtes-du-Nord), le 27 juin 1848, Narcisse Quiellien appartenait à une vieille famille de sa province natale. Lui-même s’est plu à évoquer, non sans émotion, les menus faits de son enfance et à perpétuer la mémoire des siens. « Les parents qui m’ont élevé, a-t-il écrit, étaient deux Bretons de race intègre ; leur native franchise était encore inaltérée. Les inoubliables après-midi du dimanche, où mon père nous amenait aux bords du Jaudy, le long dos peupliers et des saules ! Depuis, je n’ai jamais écouté les voix aériennes, comme là-bas, lorsque nous restions assis sons le petit bois de Kéressé et que le vent roulait ses harmonies par les hautes cimes des sapins. Les nuées du ciel en marche n’avaient pas de secret pour mon père ; je considérais le Voyant alors à son image : personne ne m’a depuis parlé de la nature comme ce charmant conteur… Pas une femme ne valait ma mère pour chanter les complaintes du temps passé… »

Il fit ses études au collège de Tréguier, puis entra comme professeur dans l’Université. Venu à Paris en 1875, il se lia avec Paul Bourget, Jean Richepin, Maurice Bouchor et Gabriel Vicaire, qui débutaient brillamment dans les lettres. Il habitait alors rue Guy-de-la-Brosse, avec quelques-uns de ces derniers. En même temps qu’il donnait des leçons, préparait au baccalauréat et remplaçait Brunetiére et Bourget dans divers établissements d’enseignement, il se faisait connaître par d’heureux essais. Il collaborait aux journaux et aux revues de Paris et de Bretagne, puis entrait aux archives des affaires étrangères. Il dut résigner son emploi, en 1804, quand le ministère Casimir-Périer supprima les subventions aux hommes de lettres. Depuis, Quellien vécut exclusivement de sa plume. Ses premières poésies en langue celtique datent de son séjour à Tréguier. Narcisse Quellien s’était fait une spécialité de l’étude de l’histoire et de la littérature bretonnes. Ancien ami de Renan, il travaillait, dit-on, à un ouvrage sur le célèbre écrivain quand la mort vint le frapper brusquement. On a raconté sa fin tragique. Quellien, après une visite à la Nouvelle Revue, se rendait chez le sculpteur Injalbert pour voir la maquette du monument élevé depuis au poète Gabriel Vicaire, quand il fut renversé et tué par un automobiliste imprudent, le 16 mars 1902. Il laissait une œuvre inachevée, mais considerable, si l’on tient compte du temps limité qu’il eut pour la mener à bien.

Parmi ses ouvrages, nous citerons : Annaïk, poésies bretonnes avec une lettre préface de M. Ernest Renan (Paris, G. Fischbacher, 1880, in-12) ; L’Argot des Nomades en Basse Bretagne (Paris, Maisonneuve frères et Ch. Leclerc, 1886, in-8o) ; Loin de Bretagne (Paris, A. Lemerre, 1886, in-12) ; Bardit lu sur la tombe de Brizeux au cimetière du Carnel, lors de l’inauguration du monument élevé au poète breton, le 9 septembre 1888, à Lorient (Paris, A. Lemerre, 1888, in-12) ; Chansons et danses des Bretons, avec musique (Paris, Maisonneuve, 1889, gr. in-8o), ouvrage couronné par l’Académie française ; La Bretagne armoricaine, avec 33 planches et 5 cartes (Paris, Maisonneuve, 1890, in-12) ; Perrinaïc, Une compagne de Jeanne d’Arc (Paris, Fischbacher, 1891, in-8o) ; Breton de Paris (Paris, Ollendorff, 1893, in-12) ; Breiz, poésies bretonnes (Paris, J. Maisonneuve, 1898, in-12), ouvrage couronné par l’Académie française ; Contes et Nouvelles du pays de Trèguier (Paris, J. Maisonneuve, 1898, in-12).

Poète et folkloriste, Narcisse Quellien n’a cessé jusqu’à la fin de chanter sa province en vers émus et touchants, ou de recueillir des témoignages de l’art populaire au pays d’Armor. Traditiouniste et conferoncier, il a organisé des auditions de mélodies locales ; lui-même en a noté les airs au cours des diverses missions que le ministère de l’instruction publique lui confia de 1880 à 1889. (Cf. Rapport sur une mission en Basse Bretagne, ayant pour objet d’y recueillir les mélodies pop., Archives des Missions, 1882, t. VIII.) Il fonda de plus le Dîner celtique, que Renan honora de sa présence pendant treize années consécutives.

Ses poésies bretonnes, publiées sous ce titre Breiz, ont fait l’objet du cours de langue celtique professé par M. Arbois de Jubainville au Collège de France, en 1898. Narcisse Quellien a collaboré au Globe, au Parlement, au Figaro, au Temps, à La République française, au Figaro illustré, à la Revue bleue, à la Revue encyclopédique, à La Plume, à L’Ouest artistique, etc.

Bibliographie. — Anonyme, Nécrologie, Bulletin du Bibliophile, 1902, p. 187.


LA PROMENADE D’AHÈS

Quand la lune est levée sur le Ménéhom, — La baie de Douarnenez est incomparable.

Dès qu’approche le soir, — Le pêcheur, en bas de la montagne,

Le pêcheur tourne et retourne, — Il tourne à sécher ses filets ;

Ensuite, assis en attendant — Que soit venue la tombée de nuit,

Il reste à écouter la voix du vent, — Une petite voix de la nuit qui s’élève dans le lointain.

— N’est-ce pas la nuée, par delà la mer, — Qu’on voit s’ouvrir, chaque soir ?

Le soleil couché, n’est-ce pas, chaque soir, — Le paradis qui s’ouvre là-bas ?

Et le long de la grève qui donc entend-on — Chanter, dis-le-moi, pêcheur ?

L’homme de mer a répondu : Ce n’est pas la grande porte du paradis (qui s’ouvre) ;

Mais c’est une ville qui s’élève vers le firmament pur, — Une superbe ville (qui se lève) de l’abîme profond.

Regarde ce palais (qui apparaît) en bas du golfe, — Et une église avec son clocher à plate-forme.

Et puis, regarde s’en allant aux danses — Avec son chevalier, la Princesse aux cheveux blonds.

À présent écoute comme chante doucement — Sur la grève le tiède vent d’été,

Et comme le flot touche aux rochers, — Ainsi que glisse une robe de soie dans un bal.

— Me diras-tu, pêcheur, — Quand les étoiles se mettent à briller dans le ciel clair,

Pourquoi, les étoiles commençant à briller, — Le bal alors tombe dans les abîmes d’enfer ?

— C’est la ville d’Is qui est ensommeillée là-bas, — Avec Ahés, sous un enchantement.

C’est cette fille qui mène les danses, — Chaque soir pour sa pénitence ;

Et quand elle aura fait le tour de la baie. — Elle descendra encore en son piniti :

Reculez, au moment où elle passera, — Car ses regards sont deux tisons de feu.

Et si Dieu ne venait à mon secours, — Je la suivrais bien au bas de la mer. »

Mais il fait un signe de croix, le pauvre garçon, — Dès qu’il entend frôler la robe d’Ahès.




BALE AHEZ

War Mene-Hora pa bar al loar,
Pleg Douarnenez zo dispar.
 
Vel ma dosta d’ann abarde,
Ar pesketer ’traou d’ar mené

Arpesketer tro ha distro,
A dro da sec’ha lie roejo ;

Azeet goude da c’hortoz
Bete ma vo kouet ar serr-noz,

’Man o chilaou mouez ann awel
Eur vouezik-noz a sav a-bell.
 



— N’e ket ar goabr ’tu ail d’ar mor
A weler bemnoz o tigor ?

Kuzet ann licol, n’e ket bemnoz
Digor du-hont ar baradoz ?

Ha hed ann trez piou ’ta klever,
O kana, lar d’in, pesketer ? —

Ann den-a-vor an euz laret :
— Dor vraz ar baradoz n’e ket,

Nemed eur ger sav d’ana oabl splann,
Eur ger veur euz, ar poull ledan.
 
Sell ann tî-ker e traou ann dour,
Eunn iliz gand he geridour.

Ha sell o vond d’ann abadea
Gand hi marc’hek al Vlondinen.
 
Breman chilaou ken kun a gan
War ann trez ann awelik-han,

D’ar gerek{{lié]}’vel stok al lano,
’Velse se seî en ebato.

— Lavar ri d’in-me, pesketer,
Pa sked ar stered en oabl skler,

Perag, stered krog da lugern,
Ann ebato ’koue d’ann ifern ?


— Ar ger Is zo kousket du-ze
Gand Ahez dindan kazel ge.

Ar verc’h diroll ann abaden
Bemnoz evid hi finijen ;

Ha tro pleg-ar-mor gret gant-hi,
Diskenno c’hoaz d’hi finiti :

Tec’hed epad a dremeno,
Rak diou glaouen tan hi sello.

Ma na ve Doue d’am sikour,
War-hi-lerc’h afenn traou ann dour. —

Med ra sin-ar-groaz ar potr krz
Pa glev o ruza broz Ahez.

(Breiz ; 1898.)