Les Poètes du terroir T I/Léon Séché

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 444-447).

LEON SÉCHÉ

(1848)


Né d’un père breton et d’une mère angevine, le 3 avril 1848, à Ancenis, petite ville située sur la Loire, aux portes de la Bretagne, dans une contrée qu’il a surnommée justement la Bretagne angevine, M. Léon Séché a consacré les quelques loisirs que lui ont laissés jusqu’à ce jour ses travaux d’histoire littéraire, à composer des poèmes où revient sans cesse le nom de son pays natal. Il débuta en 1870 en publiant chez l’éditeur Jouaust : Le Dies Iræ du Mexique ; l’année suivante, il donna chez Lachaud : Les Griffes du lion. Par la suite, il fit paraître divers recueils : Amour et Patrie (Paris, Lemerre, 1876, in-18) ; Ave Maria ( Libr. académique, 1879, in-18) ; La Chanson de la Vie, poésies complètes (Paris, Libr. académique, 1888, in-18), ouvrage couronné par l’Académie française.

Ce sont des œuvres légères contenant des pages d’une grande fraîcheur et d’un agréable sentiment, mais qui ont moins contribué — il faut le dire — que tels ouvrages d’érudition à faire connaître leur auteur. Historien et critique, {{Léon Séché}} s’est acquis à l’heure actuelle une réputation incontestée par ses livres documentaires. On lui doit : Jules Simon, étude littér. et polit. (Paris, Dupret, 1887, in-18) ; Les Derniers Jansénistes (Paris, Libr. acad., 1890-1891, 3 vol. in-8o) ; Les Origines du Concordat (Paris, Delagrave, 1892, in-8o) ; Volney, étude histor. (Paris, Lechevalier, 1899, in-16) ; Alfred de Vigny (Paris, Juven, 1902, in-8o) ; Œuvres complètes de J. de Bellay, I (Paris, édit. de la Revue de la Renaissance, 1903, in-8o) ; Sainte-Beuve, son esprit, ses idées, ses mœurs (Paris, Soc. du Mercure de France, 1904, 2 vol. in-8o et in-18) ; Correspondance inéd. de Sainte-Beuve avec M.  et Mme  Juste Olivier (ibid., in-8o et in-18) ; La Défense et Illustration de la langue françoise, de J. du Bellay, éd. critique (Paris, Sansot, 1905, in-18) ; Lamartine de 1816 à 1830. Elvire et les Méditations (Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, in-8o et in-18) ; Alfred de Musset, l’homme et l’œuvre (ibid., 1907, 2 vol. in-8o et in-18) ; Correspondance d’Alfr. de Musset (ibid., 1907, in-8o et in-18) ; Hortense Allart de Méritens (ibid., 1908, in-8o et in-18) ; Correspondance de Hort. Allart de Méritens avec '' Sainte-Beuve Beuve, 1841-1848 (ibid., in-8o et in-18) ; Le Cenacle de la Muse française, 1823-1827 (ibid., in-8o et in-18), etc.

M. Léon Séché a beaucoup fait pour sa province. Nou seulement il a célébré et décrit, dans maints ouvrages en prose, son lieu natal : Contes et Figures de mon pays (Paris, Dentu, 1881, in-18) ; Rose Epoudry, roman (Paris, Librairie académique, 1887, in-18) ; Catalogue illustré de l’Exposition bretonne-angevine, 1888, in-8o, mais il a collaboré à des revues et dirigé des périodiques, tels la Revue de Bretagne et d’Anjou, Revue des provinces de l’Ouest, Revue de la Renaissance, Annales romantiques, etc., où il a évoqué les sites et fait revivre les grandes figures de la Bretagne et de l’Anjou.

Travailleur inlassable, M. Léon Séché entretient le rêve réconfortant d’aller terminer ses jours à Ancenis, sa ville natale, non loin du monument de Joachim du Bellay, son compatriote, qu’il a fait élever le 2 septembre 1894.



ANCENIS
Folium ejus non defluet.
(Devise des barons d’Ancenis).

Ce n’est pas une grande ville,
Elle tiendrait facilement
Dans Paris. — n’ayant que cinq mille,
Oui, cinq mille âmes seulement.

Mais c’est une ville coquette
Et mignonne à proportion.
On y trouve à discrétion
Les cancans et la femme honnête.

Les vêtements n’y sont pas chers,
Le tailleur pour rien vous habille.
Seulement gare à son aiguille :
Elle entre souvent dans les chairs.

La ville est agréable en somme.
On y boit le vin du coteau,
Lequel, sans ouvrir le couteau,
A déjà tué plus d’un homme.

C’est un tout petit vin clairet
Dont la grappe est jaune à l’automne

Et qu’on boit à même la tonne
Sur la table du cabaret.

De tous côtés sont des collines.
La ville est dans un entonnoir.
Un grand fleuve sert de miroir
À de vieilles tours en ruines.

Ce château, du temps des barons,
Etait la clef de la Bretagne.
Aujourd’hui les Sœurs de Chavagne
Y font leurs saints heptamérons.

Ancenis n’a plus de couronne,
Les seigneurs sont morts, Dieu merci !
Car elle est plus heureuse ainsi,
Que du temps qu’elle était baronne,

La Loire a cessé d’investir
Ses tours, où poussent les orties,
Depuis qu’on les a converties —
Comment dirai-je ? — en repentir !

Elle vient quand même à la rive
Échouer amoureusement,
Et coule si nonchalamment
Que son onde parait captive.

Mais, les bords anceniens franchis,
Elle emporte en mer avec elle
La silhouette et la dentelle
Des objets qu’elle a réfléchis !

J’ai parlé de tout, sauf des femmes :
Elles auront mon dernier mot !
Je crois vous avoir dit plus haut
Qu’elles étaient d’honnêtes âmes.

Chez elles la fleur de vertu
S’épanouit en pleine terre ;
Le cœur large, du caractère,
Mais la langue ! un couteau pointu

Il faut les entendre à leur porte
S’entretenir en comité :
« Et votre homme ? — Il est alité.
— Et votre voisine ? — Elle est morte


— Ah ! la pauvrette ! — Savez-vous ?…
— Quoi ! — Mathurine se marie !
— Avec qui ? — Tout le monde en crie :
Elle épouse un sac de gros sous !

— Ah ! la coquette ! ah ! la coquine !
Encore un sot d’ensorcelé.
En a-t-elle déjà volé
De ces hommes qu’elle assassine ! »

C’est ainsi, du soir au matin,
Quand on sonne un glas, un baptême.
Durant l’avent comme en carême,
On s’occupe de son prochain.

La belle ville ! allez-vous dire.
Que celle dont les habitants
Passent la moitié de leur temps
Dans les cancans et la satire !

Oui, n’en soyez pas étonné,
Je n’en sais pas de plus jolie
En France, même en Italie,
Et je l’aime, car j’y suis né !

(La Chanson de la Vie.)