Les Poètes du terroir T I/La Villemarqué

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 403-417).

LA VILLEMARQUÉ

(1815-1895)


L’initiateur — le créateur, devrait-on dire — de l’école celtique contemporaine, Théodore-Claude-Henri, vicomte Hersart de La Villemarqué, naquit le 7 juillet 1815 et mourut au chAteau de Keransker, prés Quimperlé, le 8 décembre 1895. Sa famille était originaire du pavs de Lamballe, où se trouve la terre dont il porta le nom. Keransker, domaine riant, prés des vertes vallées de l’Isole et de l’Ellée, à proximité des grands bois, est un domaine familial dont les curiosités consistent en un dolmen de grande taille et un ancien manoir qui abrita le folkloriste Cambry.

La Villemarqué s’occupa de bonne heure des antiquités littéraires de sa province. Ses études achevées au petit séminaire de Nantes, il vint à Paris, suivit les cours de l’École des chartes et, l’un des premiers, fixa l’origine des Romans de la Table ronde. Un article sur cette matière, publié en 1841 par la Revue de Paris, le fit connaître. Il reprit plus tard ce travail et en forma, avec une traduction de quelques contes gallois, son livre intitulé Contes populaires des anciens Bretons, etc. (Paris, W. Coquebert, 1842, in-8o). Au même genre se rattache son ouvrage : Myrdhinn ou l’Enchanteur Merlin, son histoire, ses œuvres, son influence (Paris, Didier, 1862, in-8o). Il donns par la suite d’autres travaux qui furent appréciés à leur juste valeur : Dictionnaire français de Le Gonidec (1847), Grammaire bretonne et dictionnaire breton-français, du même (1850) ; Poèmes des bardes bretons du sixième siècle (Paris, Renouard, 1850, in-8o) ; La Légende celtique (Saint-Brieuc, Prudhomme, 1859, in-12) ; Le Grand Mystère de Jésus (Paris, Didier, 1865, in-8o) ; Poèmes bretons du moyen âge, etc. (Paris, Didier et Cie, 1879, in-8o), etc., mais rien ne fit pour sa gloire comme le Barzaz Breiz, recueil de chansons populaires bretonnes, qu’il publia en 1838[1].

Le succès de ce livre fut immense et provoqua un enthousiasme universel qui dure encore.

« L’auteur, dit M. de Kerdrel, croyait ne tirer qu’un coup de pistolet, et ce fut un coup de canon. » Le monde entier l’entendit et reconnut la salve en l’honneur de la Bretagne.

On ne s’attend pas à trouver ici une critique touchant l’authenticité de ces textes. D’autres, autrement qualifiés que nous, l’ont entreprise. À Dieu ne plaise que nous les suivions dans une telle voie. Nous regretterons seulement que l’ardeur de la polémique ait aveuglé ceux qui y prirent part, au point de leur faire méconnaître souvent les beautés de l’œuvre de La Villemarqué. Maintenant que le débat est clos, grâce au savant auteur de la Chrestomathie bretonne, M. Loth, il est bon d’exalter cette création admirable, bien que douteuse d’origine, et de rappeler que les adversaires du Barzaz Breiz ne furent pas toujours les mieux renseignés. On sait à quoi s’en tenir actuellement sur tels arguments colportés par des folliculaires qui ne virent chez le savant écrivain qu’un ennemi politique ! L’heure des querelles est passée. Il n’y a place ici que pour deux opinions : ou La Villemarqué est le collecteur du plus grand monument d’art provincial qui ait été réalisé, et il demeure, en ce cas, un érudit que la censure n’atteint pas ; ou il est l’auteur de ces sublimes légendes de La Submersion de la ville d’Is, du Tribut de Nomenoé, etc., et il faut le considérer comme un poète de génie. Quoi qu’il en soit, son action est digne de mémoire.

« Ce que nul ne contestera, conclut M. Louis Tiercelin, c’est l’influence merveilleuse de ce livre sur le mouvement des études celtiques. Pas un autre recueil, si savant soit-il, n’a valu plus que celui-là pour la gloire du pays breton et l’expansion de la gloire bretonne. Avant M. de La Villemarqué, bien des historiens locaux, bien des archéologues, avaient écrit sur la Bretagne, mais les Le Maout, les Manet, les Kerdanet, les Penhouet, les Freminville, les Le Brigant, etc., ont fait œuvre morte ; du Barzaz Breiz seulement date l’exhumation de la Bretagne. »

Après cela, osera-t-on sourire de ce qu’écrivait un jour George Sand dans ses Promenades autour d’un village, à l’occasion du Barzaz Breiz ? Qu’importe !

Une seule province de France est à la hauteur dans sa poésie de ce que le génie des plus grands poètes et celui des nations les plus poétiques ont jamais produit. Nous voulons parler de la Bretagne. Le Tribut de Nomenoé est un poème de cent quarante vers plus grand que l’Iliade, plus complet, plus beau, plus parfait qu’aucun chef-d’œuvre sorti de l’esprit humain… En vérité, aucun de ceux qui tiennent une plume ne devrait rencontrer un Breton sans lui ôter son chapeau. »

Bibliographie. — F.-M. Luzel, De l’Authenticité des chants du Barzaz Breiz, 1872. — Louis Havet, Poésies popul.  de la Basse Bretagne, etc. ; Revue polit. et littér., 1er  mars 1873. — Pitre de Lisle, Du Mouvement ascendant de la Bretagne au dix-neuvième siècle ; Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, mars 1894. — Louis Tiercelin, Ceux de chez nous ; L’Hermine, 20 mars 1894. — J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle ; Paris, Lethielleu, 1895, in-18.



SUBMERSION DE LA VILLE D’IS
dialecte de cornouaille
Argument.

Il existait en Armorique, aux premiers temps de l’ère chrétienne, une ville, aujourd’hui détruite, à laquelle l’anonyme de Ravenne donne le nom de Chris ou Keris. À la même époque, c’est-à-dire au ve siècle, régnait dans le même pays un prince appelé Gradlon et surnommé Meur, c’est-à-dire le Grand. Gradlon eut de pieux rapports avec un saint personnage nommé Gwénnolé, fondateur et premier abbé du premier monastère élevé en Armorique. Voilà tout ce que l’histoire nous apprend de cette ville, de ce prince et de ce moine ; mais les chanteurs populaires nous fournissent d’autres renseignements. Selon eux, Ker-is ou la ville d’Is, capitale du roi Gradlon, était défendue contre les invasions de la mer par un puits ou bassin immense, destiné à recevoir l’excédent des eaux à l’époque des grandes marées. Ce puits avait une porte secrète dont le roi seul gardait la clef, et qu’il ouvrait et fermait quand cela était nécessaire. Or, une nuit, pendant qu’il dormait, la princesse Dahut, sa fille, voulant couronner dignement les folies d’un banquet donné à un amant, déroba à son père la clef fatale, courut ouvrir l’écluse, et submergea la ville. Saint Gwénnolé passe pour avoir prédit ce châtiment, qui fait le sujet d’une ballade qu’on chante à Trégunc.

I

As-tu entendu, as-tu entendu ce qu’a dit l’homme de Dieu au roi Gradlon qui est à Is ?

« Ne vous livrez point à l’amour ; ne vous livrez point aux folies. Après le plaisir, la douleur !

« Qui mord dans la chair des poissons, sera mordu par les poissons ; et qui avale sera avalé.

« Et qui boit et mêle le vin, boira de l’eau comme un poisson, et qui ne sait pas apprendra. »

II

Le roi Gradlon parla :

— Joyeux convives, je veux aller dormir un peu,

— Vous dormirez demain matin ; demeurez avec nous ce soir ; néanmoins qu’il soit fait comme vous le voulez. »

Sur cela, l’amoureux coulait doucement, tout doucement ces mots à l’oreille de la fille du roi :

— Douce Dahut, et la clef ?

— La clef sera enlevée, le puits sera ouvert ; qu’il soit fait selon vos désirs ! »

III

Or, quiconque eût vu le vieux roi endormi, eût été saisi d’admiration.

D’admiration en le voyant dans son manteau de pourpre, ses cheveux blancs comme neige flottant sur ses épaules, et sa chaîne d’or autour de son cou.

Quiconque eût été aux aguets, eût vu la blanche jeune fille entrer doucement dans la chambre, pieds nus !

Elle s’approcha du roi son père, elle se mit à genoux, et elle enleva chaîne et clef.

IV

Toujours il dort, il dort, le roi. Mais un cri s’élève dans la plaine.

— L’eau est lâchée ! la ville est submergée !

— Seigneur roi, lève-toi ! et à cheval ! et loin d’ici ! La mer débordée rompt ses digues !

— Maudite soit la blanche jeune fille qui ouvrit, après le festin, la porte du puits de la ville d’Is, cette barrière de la mer ! »

V

« Forestier, forestier, dis-moi, le cheval sauvage de Gradlon, l’as-tu vu passer dans cette vallée ?

— Je n’ai point vu passer par ici le cheval de Gradlon, je l’ai seulement entendu dans la nuit noire : Trip, trep, trip, trep, trip, trep, rapide comme le feu !

— As-tu vu, pécheur, la fille de la mer, peignant ses cheveux blonds comme l’or, au soleil de midi, au bord de l’eau ?

— J’ai vu la blanche fille de la mer, je l’ai même entendue chanter : ses chants étaient plaintifs comme les flots.



LI-VADEN GERIS
ies kerne
I

Ha glevas-te, ha glevaz-te
Pez a lavaraz den Doue
D’ar roue Gradlon enn Is be ?


— « Arabad es en embarat !
Arabad es arabadiat !
Goude levenez, Kalonad !

« Neb e beg e kig ar pesked,
Gand ar pesked a vo peget,
Ha neb a lonk a vo lonket.

« Ha neb a er, ha gwin a vesk,
A evo dour evel eur pesk ;
Ha neb na oar a gavo desk. »

II

Ar roue Gradlon a venne :
— Koanourien da, da eo gan
Monet da gouski eur banne.

— Da gouski afec’h antronoz,
Manet-hu-gan-e-omp-ni fenoz :
Hagen pa vennit-hu, bennoz. ! —

Serc’heg a gomze war ma oue
Plourik-flour ouz merc’h ar roue :
— Klouar Dahut, nag ann alc’houe ?

— Ann alc’houe a vezo tennet ;
Ar puns a vezo dibrennet :
Pez a ioulit-hu ra vo gret ! —

III

Hag ana neb en defe gwelet
Ar roue koz war he gousked,
Mourbed vije bet souezet,

Souezet gand lie bail moug,
Kag he vleo gwenn-kann war he choug
He alc’houe aour ekerc’h'n he c’houg.

Neb a vije bet er c’heden.
En defe gwelet ar verc’h wenn
Goustad o vont tre, diarc’hen.
 
Tostat re oud he zad roue,
Ha war he daoulin’n em stoue,
Ha ribla re sug hag alc’houe.

IV

Ato e hun, e hun ann ner.
Ken a glevet hed al laouer :
— Laosket ar puns ! beuzet ar ger ! —

— Otrou roue, sar diallen !
Ha war da varc’h ! ha kuit a-grenn !
Ma’r war redek dreist he lenu ! —


Bezet milliget ar verc’h wenn
A zialc’houezaz, goude koen,
Gore puas Keris, mor termen !

V

— Koadour, Koadour, lavar d’i-me
Marc’h gouez, Gradlou a welaz-te
O vout e-biou gand ar zaon-me ?

— Marc’h Gradlon dru-ma na weliz
Nemed enn noz du ho gleviz
Trip, trep, trip, trep, trip, trep ; tan-tis

— Gwelaz-te morverch, pesketour,
O kriba he bleo melen-aour
Dre ann heol splann, e ribl ann dour ?

— Gwelout a riz ar morverc’h Avenn ;
M’he c’hieviz o kanazoken :
Alempanuz tonn ha konaouen.


LE TRIBUT DE NOMÉNOÉ
dialecte de cornouaille

Argument.

Noménoé, le plus grand roi que la Bretagne ait eu, poursuivit l’œuvre de la délivrance de sa patrie, mais par d’autres

moyens que ses prédécesseurs. Il opposa la ruse à la force ; il feignit de se soumettre à la domination étrangère, et cette tactique lui roussit pour arrêter un ennemi dix fois supérieur en nombre. L’empereur Charles, dit le Chauve, fut pris à ses démonstrations d’obéissance. Il ne devinait pas que le chef breton, comme tous les hommes politiques d’un génie supérieur, savait attendre. Quand vint le moment d’agir, Noménoé jeta le masque ; il chassa les Franks au delà des rivières de l’Oust et de la Vilaine, recula jusqu’au Poitou les frontières de la Bretagne, et, enlevant à l’ennemi les villes de Nantes et de Rennes, qui, depuis, n’ont jamais cessé de faire partie du territoire breton, il délivra ses compatriotes du tribut qu’ils payaient aux Franks (841).

« Une pièce de poésie remarquablement belle, dit Augustin Thierry, et remplie de détails de mœurs d’époque très ancienne, raconte l’événement qui détermina ce grand acte d’indépendance. » Selon l’illustre historien français, « c’est une peinture énergiquement symbolique de l’inaction prolongée du prince patriote et de son brusque réveil, quand il jugea que le moment était venu. » (Dix Ans d’études historiques, 6e édit., p. 515.)

I

L’herbe d’or[2] est fauchée ; il a bruiné tout à coup.
— Bataille ! —

— Il bruine, disait le grand chef de famille du somme des montagnes d’Arez ;
— Bataille ! —

Il bruine depuis trois semaines, de plus en plus, de plus en plus, du côté du pays des Franks,

Si bien que je ne puis en aucune façon voir mon fils revenir vers moi.

Bon marchand, qui cours le pays, sais-tu des nouvelles de mon fils Karo ?

— Peut-être, vieux père d’Arez ; mais comment est-il, et que fait-il ?

— C’est un homme de sens et de cœur ; c’est lui qui est allé conduire les chariots à Rennes,

Conduire à Rennes les chariots traînés par des chevaux attelés trois par trois.

Lesquels portent sans fraude le tribut de la Bretagne, divisé entre eux.

— Si votre fils est le porteur du tribut, c’est en vain que vous l’attendrez.

Quand on est allé peser l’argent, il manquait trois livres sur cent ;

Et l’intendant a dit : — Ta tête, vassal, fera le poids. —

Et, tirant, son épéc, il a coupé la tête de votre fils.

Puis il l’a prise par les cheveux, et il l’a jetée dans la balance.

Le vieux chef de famille, à ces mots, pensa s’évanouir ;

Sur le rocher il tomba rudement, en cachant son visage avec ses cheveux blancs ;

Et, la tête dans la main, il s’écria en gémissant : — Karo, mon fils, mon pauvre cher fils !


DROUK-KINNIG NEUMENOIOU
ieskerne
I

Ann aour ieoten a zo falc’het ;
Brumenni raktal en deuz gret.
— Argad ! —

— Brumenni ra, a lavare
Ann ozac’h-meur, euz lein Are ;
— Argad ! —


Brumenni, teir zun zo, tenval
Ken tenval, war zuiou bro-C’hall,
 
Ken n’hallann gwelet e nep kis
Ma mab o tonet war he giz.

Marc’hadour mad, o vale bro,
Klevaz-te roud ma mab Karo ?

— Boud awalc’h, tad koz ann Are :
Daoust peaoz eo, ha pe zoare ?

— Den a skiant, den a galon ;
Eet gand ar c’hirri da Roazon ;

Eet da Roazon gand ar c’hirri,
Tennerien out-ho tri-ha-tri ;

Drouk-kinnig Breiz gant-ho, hehei
Hag hen rannet ’tre peb hiai,

— Mar d-eo ho map ar c’hinnigor,
He c’hortoz a reot enn-aner :

Pa eet da boeza ann arc’hant,
Fallout a eure tri war gant ;


Ken a Lavaraz ar merer ;
— Da benn, gwaz, a rai ann arfer.

Ha peg enn he glenv en deuz gret,
Ha penn ho map en deuz troc’het.

Hag enn he vleo en deuz kroget,
Hag er skudel neuz hen tolet.
 
Ann ozac’h koz dal’ m’he glevas,
Tost a oa d’ean ken na zemplaz ;
 
War ar garreg a gouezaz krenn,
Kuzet he zremm gand he vleo gwenn :

He benn enn dorn, o lenva maour :
— Karo, va mab, va mabik paour ! —

II

Le grand chef de famille chemine, suivi de sa parenté ;

Le grand chef de famille approche, il approche de là maison forte de Noménoë.

— Dites-moi, chef des portiers, le maître est-il à la maison ?

— Qu’il y soit ou qu’il n’y soit pas, que Dieu le garde en bonne santé !

Comme il disait ces mots, le seigneur rentra au logis ;

Revenant de la chasse, précédé par ses grands chiens folâtres,

Il tenait son arc à la main, et portait un sanglier sur l’épaule,

Et le sang frais, tout vivant, coulait sur sa main blanche de la gueule de l’animal.

— Bonjour ! bonjour à vous, honnêtes montagnards ; à vous d’abord, grand chef de famille ;

Qu’y a-t-il de nouveau ? que voulez-vous de moi ?

— Nous venons savoir de vous s’il est une justice ; s’il est un Dieu au ciel, et un chef en Bretagne.

— Il est un Dieu au ciel, je le crois, et un chef en Bretagne, si je puis.

— Celui qui veut, celui-là peut ; celui qui peut chasse le Frank,

Chasse le Frank, défend son pays, et le venge, et le vengera !

Il vengera vivants et morts, et moi, et Karo mon enfant,

Mon pauvre fils Karo décapité par le Frank excommunié ;

Décapité dans sa fleur, et dont la tête, blonde comme du mil, a été jetée dans la balance pour faire le poids !

Et le vieillard de pleurer, et ses larmes coulèrent le long de sa barbe grise,

Et elles brillaient comme la rosée sur un lis, au lever du soleil.

Quand le seigneur vit cela, il fit un serment terrible et sanglant :

— Je le jure par la tête de ce sanglier, et par la flèche qui l’a percé ;

Avant que je lave le sang de ma main droite, j’aurai lavé la plaie du pays !


II

Ann ozac’h-meur o vont enn hent,
Gant han war he lerc’k he gerent ;
 
Ann ozac’h-meur o vont e-biou
E-biou ker-veur Neumenoiou.

— Leveret-hu d’in penn-treizer
Hag hen ma ann otrou er ger.


— Pe ma hen, pe lien ne ma ket.
Doue r’hen dalc’ho e iec’hed !
 
Oa ket peurlavaret he c’her,
P’oa digouet ann otrou er ger ;

Digouet er ger euz a hersal,
He chaz brax a-rog o fragal ;

Enn he zorn he warek gant-ha,
Hag eur penn-moc’h gwez war he skoa,

Ila fresk-beo ar goad o redek
War he zorn gwenn, demeuz he wek.

— Mad-d’hoch ! mad-dhoch ! meneziz da ;
Ha d’hoc’h, ozac’h-meur, da genta.
 
Petra zo c’hoarvet a neve ?
Petra gen-hoc’h digan-e-me ?

— Deut omp da c’hout hag hen’z euz reiz
Doue enn nenv ha tiern e Breiz.

— Doue’z euz enn nenv, a gredann,
Ha tiern e Breiz, ma her gellann,

— Ann neb a venu, hennez a c’hall ;
Ann neb a c’hall a gas ar Gall,


A gas ar Gall, a harp he vro,
Hag evit hi ter ha tero !

Kerkouls evit beo ha maro.
Evid on ha va mab Karo,

Va mabik Karo dibennet
Gand ar Gall esgumuniget ;

Dibennet, flour, penn-melen-mell
Da beurgompeza ar skudel !

Hag hen da oela, ken a ieaz
He zaerou beteg he varv glaz,

Ken a lugerne evel gliz
War vieun lili, pa strink ann deiz.

Ann otrou, pa’n deuz her gwelet
Toui ru spontuz en deuz gret.

— Me hen toue penn ar gwez-man,
Hag ar zaez a flemmaz anean,

Kent ma gwalc’hinn goad va dorn deo,
Am bo gwalc’het gouli ar vro !

III

Noménoë a fait ce qu’aucun chef ne fit jamais :

Il est allé au bord de la mer avec des sacs pour y ramasser des cailloux,

Des cailloux à offrir en tribut à l’intendant du roi chauve[3].

Noménoë a fait ce qu’aucun chef ne fit jamais :

Il a ferré d’argent poli son cheval, et il l’a ferré à rebours.

Noménoë a fait ce que ne fera jamais plus aucun chef :

Il est allé payer le tribut, en personne, tout prince qu’il est.

— Ouvrez à deux battants les portes de Rennes, que je fasse mon entrée dans la ville.

C’est Noménoë qui est ici avec des chariots pleins d’argent.

— Descendez, seigneur ; entrez au château ; et laissez vos chariots dans la remise ;

Laissez votre cheval blanc entre les mains des écuyers, et venez souper là-haut.

Venez souper, et, tout d’abord, laver ; voilà que l’on corne l’eau ; entendez-vous[4] ?

— Je laverai dans un moment, seigneur, quand le tribut sera pesé.

Le premier sac que l’on porta (et il était bien ficelé),

Le premier sac qu’on apporta, on y trouva le poids.

Le second sac qu’on apporta, on y trouva le poids de même.

Le troisième sac que l’on pesa : — Ohé ! ohé ! le poids n’y est pas !

Lorsque l’intendant vit cela, il étendit la main sur le sac ;

Il saisit vivement les liens, s’efforçant de les dénouer.

— Attends, attends, seigneur intendant, je vais les couper avec mon épée. —

À peine il achevait ces mots, que l’épée sortait du fourreau,

Qu’elle frappait au ras des épaules la tête du Frank courbé en deux,

Et qu’elle coupait cbair et nerfs et une des chaînes de la balance de plus.

La tête tomba dans le bassin, et le poids y fut bien ainsi.

Mais voilà la ville en rumeur : — Arrête, arrête l’assassin !

Il fuit ! il fuit ! portez des torches ; courons vite après lui !

— Portez des torches, vous ferez bien ; la nuit est noire, et le chemin glacé ;

Mais je crains fort que vous n’usiez vos chaussures à me poursuivre,

Vos chaussures de cuir bleu doré ; quant à vos balances vous ne les userez plus ;

Vous n’userez plus vos balances d’or en pesant les pierres des Bretons. — Bataille ! —

(Chants popul. de la Bretagne.)


III

Ann Nrumenoiou en deuz gret
Pez na reaz bis tiern e-bed :

Mont gand sier war ann ochou,
Evit dastumi meinigou,

Meinigou da gas da ginnik
Da verer ar roue moalik.

Ann Neumenoiou en deuz gret,
Pez na reaz bis tiern e-bed :

Houarna he varc’h gand arc’hant fin,
Hogen he houarna gin-oc’h-gin.
 
Ann Neumenoiou en deuz gret
Pez na rai biken tiern e-bed :

Monet da bea ar c’hinnig,
Evit-han da voud pendevik.

— Digoret frank persier Roazon,
Ma ’z inn tre er ger war-con.


Ann Neumenoiou zo aman,
Kirri leunn a arc’hant gant-han.

— Diskennet, otrou, deut enn ti,
Ha list ho kirri er c’hardi.

Ha list ho marc’h gwenn gand ar flec’h.
Ha deut-hu da goania d’ann nec’h.

Deut da goania, ’kent, da walc’hi :

Korna ’reer ann dour ; kievet-hui ?

— Gwalc’hi rinn, otrou, bremaik,
Pa vezo poezet ar c’hinnig.
 
Kenta sac’h a oe digaset,
Hag hea er c’hiz mad liammet,
 
Kenta sac’h a oe digaset,
Ar poez enn han a oe kavet.
 
Eilved sac’h a oe digaset,
Rompez ive a oe kavet,

Tride sac’h oe poezet : — Hola !
Hola ! hola ! fallout a ra !


Ar merer evel m’her gwelaz,
He zorn war ar zac’h astennaz ;

El liammou a grogaz krenn,
O klask ann tu d’ho dieren.

— Gortoz, gortoz, otrou meror ;
Va c’hleze ho droc’ho e-berr ! —

Oa ked he gomz peurlavaret,
Pa oa he gleze diwennet.

Ha gand penn ar Gall daoubleget
Rez he ziou-skoa skoi en deuz gret.

Ken’ droc’liaz kik hag elfeien
Ha sug eur skudel c’hoaz oc’hpenn.

Ha kouezet er skudel ar penn,
Hag hi kompez mad evelhenn.

Hogen sellet-hu trouz er ger :
— Arz al lazer ! arz al lazer !

Ma kuit ! ma kuit ! kesct goulou ;
Deomp timad da heul he roudou !

— Keset gonlou ; mad a refet ;
Du ann noz hag ann hent skornet,
 
Nemet ma usfec’h ho poutou,
’M euz aon, o tont war va roudou,

Ho poutou ler glaz alaouret ;
Ho skudili na uzot ket,

Ho skudili aour gwech e-bet,
O poeza mein ar Vretoned.
— Argad ! —

(Barzaz Breiz, 10e édit., Paris, Perrin, 1903.)

  1. Ce livre fut maintes fois réimprimé : Voyez Barzaz-Breiz, nouv. édit., Paris, Charpentier, 1840, 2 vol. in-8o ; Paris, Franck, 1846, 2 vol. in-12 ; enfin, Barzaz-Breiz, 10{[e}} édit., Paris, Perrin, 1903, in-8o, etc.
  2. L’herbe d’or, ou le sélage, ne peut être, dit-on, atteinte par le fer sans que le ciel se voile el qu’il arrive un grand malheur.
  3. L’empereur Charles, surnommé le Chauve.
  4. On se lavait les mains, au son du cor, avant le repas.