Les Poètes du terroir T I/H. Violeau

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 418-420).

HIPPOLYTE VIOLEAU

(1818-?)


Fils d’un maître voilier, Hippolyte Violeau naquit à Brest en 1818. Orphelin dés son jeune âge, il représenta assez bien, en Bretagne, le type de ces pauvres poètes qui n’ont cessé de prêcher le renoncement. On lui doit quelques recueils qui ont fait sa réputation, entre autres : Mes Loisirs, poésies (Brest, typogr.  d’A. Proust, 1840, et Lefournier, 1845, in-12) ; Nouveaux Loisirs poétiques (Brest, Hébert, 1842, et Lefournier, 1845, in-12) ; Livre des mères, poésies (Paris, Bray, 1854, in-12) : Paraboles et Légendes (Paris, Bray, 1856, in-12). Hippolyte Violeau a écrit aussi des romans et des récits de voyages : Pèlerinage en Bretagne (1853, in-12) ; Récits du foyer, Veillées bretonnes (1857, in-12) ; La Maison du Cap, nouvelles (Paris, Bray, 1860, in-12) ; Un Homme de bien, etc. (Paris, Bray, 1861, in-12) ; Amice de Guerneur, étude morale et historique, etc. (Paris, Bray, 1862, in-12) ; Histoire de chez nous ; récits bretons (Paris, Dillet, 1865, in-12), etc. Il ne faut pas lui demander de la profondeur dans les idées ni de la richesse dans le choix des images. Son âme est douce, mais sa poésie est faible. De loin en loin une page d’une certaine suavité sollicite et retient l’attention. Louis Veuillot a caractérisé ce poète quand il l’a montré écrivant ses chants religieux « sans songer à la gloire, assis sous son figuier, près de sa mer bretonne, dans cette admirable vallée de Morlaix que traversent en double rang les arches d’un pont gigantesque, plus haut que les clochers des églises et qui dépasse par sa hardiesse les plus audacieux travaux des Bomains… »

Bibliographie. — Louis Veuillot, Préface à la 2e édition des Loisirs poétiques. — Albert Henry, H. Violeau, etc., 1894, in-8o ». — J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle ; Paris, Lethielleux, 1895, in-18.


LA PÈLERINE DE RUMENGOL

L’air était froid, la glace avait durci le sol,
Et, le long d’un sentier qui mène à Rumengol,

Cheminait une pauvre femme ;
Fervente pèlerine, avec son bâton blanc,
Elle allait les pieds nus et d’un pas chancelant
À l’église de Notre-Dame.

Arrivée à l’autel : « Sainte Vierge, je viens
Parce que je vous aime et que je me souviens
De mon premier pèlerinage.
A genoux, de ces murs j’ai fait trois fois le tour ;
Je vous priais alors, avec des pleurs d’amour,
De féconder mon mariage.

« Dix mois après, un fils, un ange du Seigneur,
Egayait ma cabane et dormait sur mon cœur ;
J’essayais mes chansons de mère.
Grand-père, au coin du feu, riait de m’écouter,
Et cependant, hélas ! j’avais tort de chanter,
Car cette vie est bien amère.

« Le roi veut des soldats, et, demain, notre enfant,
Si vous l’abandonnez, si rien ne le défend,
Va nous être pris pour l’armée ;
Et nous, tristes vieillards, que ferons-nous alors ?
Ahl l’on pourra bientôt semer l’herbe des morts
Devant notre porte fermée.

« Pour préserver mon fils, j’ai fait ce que j’ai dû.
J’ai cueilli, vers le soir, dans un sentier perdu,
Le gui, le trèfle et la verveine ;
J’ai fait bénir au bourg une bague d’étain.
J’ai lavé les habits qu’il portera demain
Dans l’eau d’une sainte fontaine.

« Il manquait un secours plus puissant et plus doux,
J’ai pris mon bâton blanc, et me voilà chez vous !
Je n’ai ni couronne ni cierge.
Nous, pauvres laboureurs, nous ne vous donnons rien,
Nous venons cependant, vous nous connaissez bien.
Et vous êtes la bonne Vierge !

« Vous sauverez mon fils ! Vous nous l’avez donné,
Et vous ne voulez point que, seul, abandonné,
On le chasse de sa montagne ;
Non, vous ne voulez point qu’on enchaîne ses pas

Dans les murs d’une ville où l’on ne parle pas
Le doux langage de Bretagne !

« Notre enfant est à nous ! Je ne croirai jamais
Que l’heure du repas arrive désormais
Sans que ma table nous rassemble !
Mais notre vie à nous, n’est-ce pas de le voir ?
On partage avec joie un morceau de pain noir
Tant qu’on peut le manger ensemble.

« Un jour, sainte patronne, — un prêtre me la dit,
S’échappant en secret, votre fils se rendit
Au temple d’une grande ville.
Vous le cherchiez partout, le pleurant, l’appelant,
Implorant de chacun ce mot si consolant :
 « Le voici ! retournez tranquille ! »

« Eh bien. Reine du ciel, ce mot tant désiré
Quand vous avez soufFert, quand vous avez pleuré,
Faites qu’aujourd’hui je l’obtienne !
Dites à votre enfant, maintenant souverain,
Que l’absence d’un fils est le plus grand chagrin
D’une pauvre mère chrétienne.

« Adieu, Marie, adieu ! mes vœux sont écoutés !
En chantant vos grandeurs et surtout vos bontés,
Je vais regagner ma demeure.
J’entrai bien faible ici, je suis forte en sortant :
Il ne partira pas !… il me reste… et pourtant,
Malgré moi, je tremble et je pleure ! »

Le chrétien, le Breton qui raconte ceci
Connaît la pèlerine et son enfant aussi,
Et le soir, au pied du Calvaire,
Le jeune homme, aujourd’hui fermier à Kerenneur,
Lui redit bien souvent qu’il doit tout son bonheur
À la patronne de sa mère.

Livre des mères, 1854.)