Les Poètes du terroir T I/Jos Parker

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 463-465).

JOS PARKER

(1853)


Né à Fouesnant (Finistère), en 1853, M. Jos Parker, peintre et poète à la fois, est d’origine irlandaise et issu de trois générations de notaires. Ses ancêtres, de même que bon nombre de familles bretonnes, vinrent en France à la suite du roi Jacques. Il fit d’abord de la peinture avec le maître Olivier Merson. Plus tard, retiré dans sa maison de Kergoadic, près de son lieu natal, il collabora à L’Hermine, au Clocher breton, à la Renaissancc provinciale, etc., et fit paraître plusieurs recueils de poèmes : Sous les chênes, avec des dessins de l’auteur, préface de F. Coppée et Léon Cladel (Paris, Lemerre, 1891, in-18) ; Lénor (Rennes, Caillière, 1892, in-18) ; Livre champêtre (ibid., 1894, in-18) ; Brume et Soleil (Lille, Soc.{lié}}d’éd. moderne, 1900, in-18). Il a publié aussi un roman, Les Clercs de Kernè (Paris, Sauvaître, s. d., in-18), et une plaquette, Poésies et Nouvelles, couronnée par « l’Anthologie populaire » (1893, in-8o).

Bibliographie. — Léon Cladel, préface au recueil : Sous les chênes, 1881.



AUX ARBRES DU LOCH
À Louis Tiercelin.


Je viens m’asseoir, avant que la nuit ne renaisse,
À votre ombre si douce, arbres, mes vieux amis,
Et chercher à vos pieds les jours de ma jeunesse,
À la place où ces morts déjà sont endormis.

Je n’étais qu’un enfant vagabond et sauvage,
Comme un pâtre toujours à courir les ajoncs,
Quand j’écoutais la mer et les bruits du rivage,
Couché parmi les bœufs, près de vous, dans les joncs.

Branlant sans cesse à l’air vos têtes toutes pleines
De murmures, tendant vos bras en frais arceau,

Et tordant vos grands troncs pour tenir les haleines
Des vents, vous aviez l’air d’abriter mon berceau.

Moi, je restais plongé dans l’arome des choses,
Dans la vie émanant de la terre et des flots :
Odeurs de goémons et de bruyères roses,
Vol d’une voile rouge, au loin, vers les îlots.

Le chaume de la ferme entrevu dans les branches,
Les vaches s’en allant des crèches dans le clos,
L’écume de la mer et ses mouettes blanches…
Tout égayait mes yeux entre mes cils mi-clos.

Que de levers de lune et de levers d’aurore
J’ai contemplés d’ici, mes pinceaux à la main !
Je reviens près de vous m’en souvenir encore,
Moi qui suis moins certain que vous du lendemain.

Pour vous, vieux châtaigniers, de si longues années
N’ont-elles pas terni tous ces tableaux mouvants ?
Vous avez vu passer tant de saisons fanées !
Vous avez entendu tant de bruits dans les vents !

Dites, quel aliment vous donne tant de force ?
Quel est votre secret, vieillards, pour tant vieillir ?
Quels esprits sont vivants sous votre rude écorce.
Qui semblent s’animer parfois et tressaillir ?

Ce ne sont pas les dieux des anciens sacrifices,
La lande ne voit plus leurs mystères sanglants ;
Où l’Ovate incantait les sombres maléfices,
Le pâtre va cueillir les mûres et les glands.

Doux sylphes de nos bois antiques, la prairie,
La lande et la palue entendent votre voix ;
Vous êtes les gardiens de cette métairie,
Et, sous votre enveloppe aussi, moi je vous vois.
 
Quand le Tasse et Ronsard ont reconnu votre âme,
N’avaient-ils pas surpris, un jour, dans leur Forêt,
Une plainte étouft’ée au tranchant de la lame
Que plongeaient dans vos flancs la hache et le foret ?

Ah ! qu’est-il de plus triste, en la saison d’automne.
Que de vous voir joncher la terre de vos corps.
Tandis que, sous le ciel humide et monotone,
Les bois silencieux semblent pleurer leurs morts !


Vivez, arbres aimés depuis ma tendre enfance,
Arbres deux fois sacrés, par l’âge et la beauté !
Esprits, autour de vous tracez une défense !
Gardez votre logis sous l’écorce abrité !…

Mon âme aura toujours, pour les choses antiques,
Un amour qui tient tout mon pays à la fois :
Vieux bois et vieux granits des vieux âges celtiques,
Reliques des aïeux nous parlant d’autrefois.

Si l’Ankou dans un coin de la lande me guette,
Que l’on m’y trouve, un soir, comme un fantôme blanc,
Avec un dernier ton de chêne à ma palette,
Un dernier vers d’amour sur mon album tremblant.

Vous qui me garderez ma place dans la terre,
N’y mettez pas de marbre avec son piédestal :
Je ne veux, pour orner mon tertre solitaire,
Que la pierre et les fleurs de mon pays natal.

(Sous les chênes.)