Les Poètes du terroir T I/Frédéric Plessis

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 460-462).

FREDERIC PLESSIS

(1851)


Né à Brest le 3 février 1851, M. Frédéric Plessis descend par son grand-père paternel, capitaine sons le premier Empire, d’une famille de l’Anjou. Ses ascendants maternels l’attachent, d’autre part, à une vieille maison de Provence : les Bruno de Fontanges, dont un membre, Etienne Brunot, fut préfet à Guingamp de 1830 à 1848. Fils d’un médecin de marine, natif de Saint-Brieuc, M. Frédéric Plessis a fait ses études au lycée de Brest et à Louis-le-Grand. Licencié à Clermont en 1878, docteur es lettres de la Faculté de Paris en 1886, il est entré dans l’enseignement supérieur et s’y est fait une situation importante comme latiniste. Maître de conférences successivement à Poitiers et à Caen, chargé de cours à Bordeaux, à Lyon, puis enfin à la Sorbonne, il semble avoir gardé de ses pérégrinations à travers la France universitaire, un goût très vif pour quelques-unes de nos provinces. « Enraciné » par son mariage, il y a plus de vingt ans, en Normandie, où deux fois chaque année il va passer ses vacances, dans une vieille maison familiale de Beny-sur-Mer, près de la Délivrande, M. Frédéric Plessis n’a cessé, depuis ses débuts, de célébrer, soit en vers d’une forme racinienne, soit en une prose élégante et pittoresque, les sites qu’il a connus, et de décrire les différents « terroirs » où le caprice de son destin l’a fixé. On lui doit tout à la fois des descriptions de l’Auvergne et des peintures lumineuses de la Bretagne. Il a excellé à montrer l’opulence de la campagne normande. Les hauts pics des pays montagneux et les grèves rocheuses de la Basse Bretagne lui sont familiers ; Argenton, Trébéron, Briguogan, l’Abervrach, etc., ont renouvelé sans cesse son inspiration.

Veut-on savoir quelles sont les œuvres de ce poète virgilien ? En voici une liste succincte, mais précise : La Lampe d’argile, poésies couronnées par l’Académie française (Paris, Lemerre, 1886, in-18) ; Vesper, poésies (ibid., 1897, in-18) ; Angèle de Blindes, roman (ibid., 1897, in-18) ; Le Mariage de Léonie, roman (ibid., Colin, 1897, in-18) ; Le Chemin montant, roman couronné par l’Académie française (Paris, Fontemoing, 1902, in-8o) ; Poésies complètes (ibid., 1904, in-8o). Indépendamment de ces ouvrages originaux, M. Frédéric Plessis a édité et commenté quelques auteurs latins, et donné des ouvrages de philologie : Les Adelphes, de Térence (Paris, Klincksieck, 1884, in-16) ; Études critiques sur Properce et ses élégies (Paris, Hachette, 1884, in-18) ; Ilias Latina (ibid., 1885, in-18) ; Métrique grecque et latine (Paris, Klincksieck, 1888, in-18) ; Calvus (2e édit., Paris, Klincksieck, 1886, in-18) ; Horace, en collab. avec P. Lejay (Paris, Hachette, 1903, et 1906, in-18) ; Epitaphes latines (Paris, Fontemoing, 1905, in-8o), etc.

M. Frédéric Plessis a collabore à La Presse, à la Revue critique, au Correspondant, à la Revue des Poètes, à la Renaissance, au Carnet, à la Revue des Deux Mondes, à Minerve, à la Revue hebdomadaire, à La Quinzaine, à L’Hermine, etc. ; il est depuis 1907 un des directeurs du Bulletin critique.

Bibliographie. — A. France, La Vie littéraire, Paris, Calmann-Lévy, 1891, in-18. — A. Le Braz, F. Plessis ; Journal des Débats, 18 sept. 1897. — G. Aubray, F. Plessis ; Le Mois, mai 1905. — B.-H. Gausseron, F. Plessis ; Revue des poètes, 10 juillet 1904. — L. Harracand, F. Plessis ; Revue Bleue, 6 févr. 1897, etc.



DOUARNENEZ
À Emmanuel Lansyer, peintre et poète.


Vous avez peint la mer transparente et pourprée
Ou bien le sable humide avec un ciel brumeux ;
Vous avez peint, d’ajonc et de genêt dorée,
Sa falaise où le vent pousse un flot écumeux ;

La lumière filtrant sous les vertes feuillées,
Ou jouant dans la mare et dans les bruns varechs
Ses limpides reflets sur les plages mouillées,
Les pailles d’or des rocs étincelants et secs.

Votre œuvre a son aimable et sévère harmonie,
Et la Bretagne y tient tout entière, unissant
La rudesse kymrique aux grâces d’Ausonie…
Un poète breton vous est reconnaissant.

II


La race chevelue est près de disparaître,
Et les antiques mœurs n’ont plus d’autorité ;

Mais, ô chère patrie ! en plus d’un cœur peut-être
Le regret vit encor de ta rusticité.

Non ! dans tous ses anneaux elle n’est pas brisée,
La chaîne d’or qu’enlace un illustre laurier !
Car, si les jeunes gens vont, la tête rasée,
Se choisir à Quimper des habits d’ouvriers,

Les vieillards ont encor la longue chevelure,
La veste de drap bleu qui résiste au travail,
La guêtre à glands de laine et la large ceinture
Au grand fermoir de cuivre incrusté de corail.

La terre est belle encor pour de longues années,
Et plusieurs sont venus de pays très lointains
Qui s’y croyaient en Suisse ou dans les Pyrénées,
Et pourtant sous l’azur des ciels napolitains.

Ô jardin naturel ceint d’un âpre rivage !
L’arbre, orme, chêne ou pin, croît au bord de la mer,
Et je sais une crique où l’églantier sauvage
S’incline tout en fleurs et trempe au flot amer.

Et de tous ces beaux lieux ou souriants ou sombres
(Un poète l’a dit) les noms parlent au cœur :
Coutaner, Bois de l’Aigle ! Étendu sous tes ombres,
Un jour, de tous mes maux je me suis cru vainqueur !

III


Mais le sifflet brutal des machines prochaines
Nous avertit du siècle et des coups destinés.
Assez d’illusion ! les rochers et les chênes
Par le fer et le feu seront déracinés.

Ô peintre ! le progrès traîne une ombre mauvaise
Et, plus que ses aînés, ce siècle est niveleur…
Mais qu’il coupe les bois ou mine la falaise,
Vous en aurez sauvé le granit et la fleur !

La lande et le rocher resteront sur vos toiles
Pour faire à nos neveux l’ennui de ce remords
Qu’il fut aux mêmes lieux, sous les mêmes étoiles,
D’autres aspects, plus beaux que ceux des jours d’alors.

(Poésies complètes, 1873-1903.)