Les Poètes du terroir T I/O. de Gourcuff

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 466-467).

OLIVIER DE GOURCUFF

(1853)


De vieille et noble famille bretonne, M. Pierre-Charles-Olivier, vicomte de Gourcuff, est né à Paris le 26 octobre 1853. Ses études terminées à Nantes, — où il demeura jusqu’en 1888, — il fit ses débuts à la Revue de Bretagne, puis donna des articles à tous les journaux littéraires nantais et de la région. Fondateur et président de la Société des Hugophiles, il a, depuis 1889, étendu sa collaboration à un grand nombre de publications parisiennes. Il est l’auteur d’une foule d’ouvrages en prose et de divers recueils de poèmes, entre autres : Rimes d’amour et de hasard (Paris, Vanier, 1884, in-18) ; Le Rêve et la Vie (Paris, Libr. des bibliophiles, 1890, in-18) ; Sur la route (Paris, Lemerre, 1895, in-18) ; Gens de Bretagne (Paris, Em. Le Chevalier, 1900, in-8o) ; Hugophilies (Paris, Messin, 1906, in-8o). On lui doit de plus une série d’à-propos en vers représentés à la Comédie française et à l’Odéon, ou bien récités à des inaugurations de monuments et à des fêtes locales.

Critique, historien, bibliophile et poète, M. Olivier de Gourcuff n’a cessé, depuis plus de vingt ans, de mettre au profit de la cause « décentralisatrice » ses connaissances d’érudit et son activité d’écrivain. Il a donné d’excellents articles sur la plupart des romantiques bretons, et son recueil Gens de Bretagne, contenant tout à la fois des études historiques et littéraires, remémorant et exaltant les « saints, les héros et les poètes », est un des bons livres qu’on ait écrits sur la vieille Armorique.

M. Olivier de GourculF est un des auteurs de l’Anthologie des poètes bretons du dix-septième siècle, publiée par la Société des bibliophiles bretons eu 1884 (un vol.  in-4o).



RÉVEIL CELTIQUE
le druide


Mes vœux sont exaucés : dans la forêt profonde,
Impénétrable, où vient mourir le bruit du monde.
Quelque chose de grand, de saint, s’est accompli.

Le Passé, comme un mort trop tôt enseveli,
Ecartant son linceul, montre au Présent la route
Où la Bretagne avec ses fils s’avance toute.
Quand a frémi la terre auguste des aïeux,
J’ai connu, j’ai senti, j’ai vu l’œuvre des dieux…
Moi, Druide, dont l’âme habite en ce vieux chêne,
J’ai souffert que mon bois fût violé ; sans haine,
Avec l’envahisseur, et la main dans la main,
Je demande à marcher par le même chemin.
Dans tous ces étrangers je reconnais des frères
De même race et sang ! Celtes aux fronts sévères,
Marins et paysans, gars robustes et doux,
L’une et l’autre Bretagne ont reflué vers nous.

Depuis que, s’échappant des ardentes poitrines
De la foule, et chassant les passions chagrines,
Un appel fraternel a monté vers l’azur.
Le prophète Merlin ne pleure plus Arthur.

Oui, la Bretagne s’est ressaisie et reprise
Dans une immense joie, et sa tristesse grise
S’en est allée où vont les fantômes du soir.
Des bardes, des vieillards, des preux, vinrent s’asseoir
Près du menhir géant, et leur aréopage
Écoutait la rumeur sourde qui se propage.
On entendit de loin sonner confusément
Le biniou, le corn-boud et tout autre instrument
(Fùt-il la cornemuse ou la simple bombarde)
Digne d’accompagner le chant breton du barde.
Dans le rayonnement d’un magique décor,
J’ai vu Calédonie, Erin, Galles, Armor !
Les quatre sœurs, venant par des pentes fleuries.
Exhalaient dans leurs chants l’âme de leurs patries ;
Âme d’Écosse en fête, esquif fendant le flot.
Âme d’Irlande en deuil, étoufifant un sanglot.
Âme des durs Gallois d’entre mer et montagne,
Âme mélancolique et fière de Bretagne.
La bruyère, le gui de chêne et le genêt,
Qu’entre toutes les fleurs le Celte aime et connaît,
Apportaient dans le vent leurs arômes rustiques
Aux chanteuses debout près des pierres antiques.

(Gens de Bretagne.)