Les Poètes du terroir T I/H. de la Morvonnais

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 369-372).
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HIPPOLYTE DE LA MORVONNAIS

(1802-1853)


L’ami de Maurice de Guérin, le lakiste des mers, ou plus justement, selon l’expression de Sainte-Beuve, « le peintre des landes », Hippolyte-Michel de la Morvonnais, naquit à Saint-Malo le 11 mars 1802. Il appartenait à une vieille famille bretonne ; son père, jurisconsulte, avait été député à l’Assemblée législative. Lié intimement avec Lamennais, son compatriote malouin, il épousa par amour, on 1826, Mlle Marie Macé de la Villéon, parente de ce dernier. Disciple des poêtes « lakistes » et en particulier de Wordsworth, il vécut au manoir du Val-en-Pleudihen, sur les bords de l’Arguenon (Côtes-du-Nord), et là écrivit de charmantes poésies, qu’il fit paraître quelques années après sous ce titre : La Thébaïde des grèves, reflets de Bretagne (Paris, Gabriel Roux, 1838, in-32). Auparavant, il avait donné un drame lyrique, Sapho, et quelques élégies à la manière des Latins.

Trop ellacé et timide pour aspirer à la gloire, il se laissa vite oublier. Pourtant il eût mérité une place au premier rang parmi les évocateurs de sa province. Nul mieux que lui n’a dépeint la grisaille des paysages celtiques et noté la vie primitive des êtres et des choses de la côte bretonne.

Aussi bien ne pourrait-on passer quelques heures aux lieux où il vécut entre une femme aimée et quelques amis d’élite, où il dort maintenant, sous un menhir surmonté d’une croix, sans ressentir toute l’émotion dont il a fécondé ses strophes lyriques. Voici l’aocienne abbaye de Saint-Jacut, « l’île des Ebihens qui porte sur sa crête une tour de granit droite sur son écueil », et la petite ferme avec ses figuiers, cachée dans un pli de l’îlot « comme un oiseau de mer qui fuit les coups de vent… »

On l’a dit, la mort de Mme de la Morvonnais, le 21 janvier 1835 rompit le bel équilibre de cette existence et endeuilla la lyre du poète. Il quitta le Val avec sa fille unique et n’y revint que plusieurs années après. Pour occuper les heures de solitude, il exhala sa douleur et chanta son bonheur perdu. La publication de La Thébaïde des grèves date de cette époque ; elle fut suivie de deux autres recueils de poésies : Un Vieux Paysan (Paris, W. Coquebert, 1840, in-12) et les Larmes de Magdeleine (ibid., in-12). Il composa aussi des romans, Le Manoir des Dunes et les Récits du foyer, ainsi que des écrits politiques inspirés par l’amour désintéressé du peuple.

Homme généreux et bienveillant, Hippolyte de la Morvonnais fut maire de la commune de Saint-Potan, non loin de son manoir du Val. Il mourut de tristesse, chez ses sœurs, au village de Bascamp en Pleudilien, le 4 juillet 1853.

La Thébaïde des grèves a été réimprimée, avec diverses poésies posthumes, par les soins de l’éditeur Didier, en 1864 (un vol.  in-12).

Bibliographie. — Jules Claretie, Elisa Mercœur, H. de la Morvonnais, etc., Paris, Bachelin-Deflorenne, 1864, in-16. — Amédée Duquesnel, Préface à la Thébaïde des grèves, éd. de 1864. — Maurice de Guérin, Journal, Lettres et Poèmes, publiés par G.-S. Trebutien, 8e édit., Paris, Didier, 1865, in-18. — J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle, Paris, Lethielleux, 1895, in-18. — Louis Tiercelin, Des « Elégies » à « La Thébaïde des Grèves », etc. ; L’Hermine, 20 août 1908 et fasc. suiv.


MA VOIX S’ÉLÈVERA…


Ma voix s’élèvera du fond des solitudes
Avec la voix des vents, du feuillage et des flots.
Aux amis inconnus je dirai mes études,
Et ma vie au milieu des rustiques tableaux.

Je dirai la famille, et du toit domestique
Le modeste bonheur, le calme, les travaux ;
Rien ne peut mériter le dédain du cantique ;
Il doit aller partout, formant des cœurs nouveaux.

Qu’il dise le foyer cher à la causerie,
Lorsque le soir se fait ; qu’il relève du seuil
Les plus humbles détails, la vieille poterie,
Et l’antique gravure où la vierge est en deuil.

Qu’il dise le repas si joyeux du dimanche,
Le parc frais, le laitage et les fruits du verger,
L’aimable jeune fille en simple robe blanche,
Et le fils amenant quelque jeune étranger.

Ma poésie ira dans les bourgs de Bretagne ;
On négligea longtemps ces agrestes cités.

Mes amours aimeront la lande, la montagne,
Et la champêtre église et les caps écartés.

Des paysans bretons je peindrai les chaumières,
Et, sans rien dédaigner de tous leurs alentours,
Je dirai les brebis revenant des bruyères,
Et les porcs ramenés par les petits patours.

Je dirai les enfans jouant devant la porte,
La fermière abreuvant les vaches au lavoir,
Les passereaux de l’aire et le char qui rapporte
L’ajonc pour les chevaux à la brune du soir.

Joie et douleur du toit, vous serez mon domaine.
Durant d’assez longs temps on a chanté les rois,
Et les vagues ennuis que le riche promène ;
Poète du foyer, j’y planterai la croix.

Le temps n’est pas venu de me jeter au drame,
Mon tableau sera simple et sans déchiremens ;
Je dirai les amis, et l’enfant, et la femme,
Et les deuils résignés et les recueillemens.


LA CABANE ÉBOULÉE
I

Frère, la châtelaine a quitté le manoir ;
Elle a vers d’autres bords dirigé sa volée,
Du moins pour quelques jours ; dans ma vie isolée,
Que puis-je faire alors ? tu le voudrais savoir.

Je lis, le jour durant ; et quand le brun du soir
Arrive à mon foyer, je vais dans la vallée ;
Je vois monter la lune, et la côte voilée
Envoie un long murmure au fond du taillis noir.

Puis j’ai mille autres lieux où je me plais encore ;
Peu de chose m’attire ; un rocher que décore
Le lichen des vieux jours, un remous du ruisseau.
 
Un courlieu qui se plaint sur les gués de la grève,
Un tertre doù l’on peut ouïr, pendant qu’on rêve,
Le marteau des calfats radoubant le vaisseau.

II

N’avez-vous pas, ami, vers l’aube de vos jours,
Quelques jours plus aimés ? On n’en sait pas la cause,
On y revient sans cesse et l’âme s’y repose,
En quelque lieu qu’on soit, on y revient toujours.

C’est une heure où le vent soufflait aux alentours,
Mélodieusement et parfumé de rose,
Ou quelque soir funèbre, où l’on fit une pause,
Vers l’humide Toussaint, aux pieds des vieilles tours.

Ce sera moins encore ! une pierre jetée
Sous le soleil pascal à la mer argentée,
Un mot que l’on vous dit sur l’antique palier.

La maison d’une tante en quelque bourg rustique,
Et les serins chantant près du livre gothique,
Où l’aïeule enseignait à lire à l’écolier.


L’ANSE DE VAUVERT


Des sables d’un blond d’or où l’enfant vient joyeux
Jouer tout en gardant ses brebis sur la côte,
Un nid de gabelou sur une butte haute,
Arrondie, et d’aspect vraiment délicieux.

Des joncs marins d’un gris à charmer tous les yeux
Festonnent l’ourlet blond de la dune, où va l’hôte
Du manoir isolé méditer, car les cieux
Lui parlent dans la brise, et le poisson qui saute

Sur les flots de cristal. — Des herbes d’un beau vert
Tranchant au bord avec les sables de Vauvert
Blancs et purs. — Tout auprès un château d’armes tombe

Un manoir ceint de bois est devant ; et, pensif,
Le marinier salue en guidant son esquif
La maison du poète et le fort qui surplombe.

(La Thébaïde des grèves, 1838.)