Les Poètes du terroir T I/Chateaubriand

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 365-368).

CHATEAUBRIAND

(1768-1848)


François-Rene de Chateaubriand naquit à Saint-Malo, le 4 septembre 1768, et mourut à Paris, le 4 juillet 1848. De vieille famille bretonne, il était le dernier-né d’Auguste de Chateaubriand et d’Apolline de Bédée, lesquels avaient eu dix enfants. On connaît sa vie. Ses vers — ils sont rares — parurent dans des recueils, et en particulier dans l’Almanach des Muses de 1790 et les Annales romantiques de 1824. Encore le premier de ses poèmes, L’Amour de la campagne, qu’on trouvera plus loin, ne fut-il insère, en cette première publication, que sous l’initiale du chevalier de C**. Chateaubriand, a-t-on écrit, réservait som nom pour de plus grandes œuvres ; elles sont venues, mais en prose. Comme la plupart des poètes de son temps, il rima une tragédie de jeunesse, en cinq actes. Moïse. Elle fut sifflée et tomba dans l’oubli. On se souviendra, par contre, des quelques couplets de la romance du Montagnard exilé ; elles sont le charme le plus attendrissant de sa nouvelle, Le Dernier Abencèrage, qui parut pour la première fois dans l’édition de ses Œuvres complètes (1826-1831). L’idée de cette romance lui était venue, en 1805, au mont Dore, en entendant chanter, par un pâtre, un air qu’il n’eut qu’à rendre moins vif et moins gai que ne le faisait le joyeux montagnard. Il écrivit d’abord cette strophe :

Combien j’ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance !
Ma sœur, qu’ils étaient beaux les jours
De France
Ô mon pays, sois mes amours
toujours.

Le reste, on le sent, vint d’un trait. « Je n’ai eu, en tout cela, disait-il à M. de Marcellus, d’autre mérite que de mettre adagio à la place d’allegretto ; en ralentissant la mesure au gré de la mélancolie, l’hilarité du pâtre s’est changée en complainte de l’exilé. Les paroles alors me sont venues d’elles-mêmes. »

Chateaubriand s’est révélé poète par sa prose plutôt que par ses poèmes. Il sentit vraisemblablement l’infériorité de sa Muse, et il abandonna la versification. Certaines pages de René, des Martyrs, des Mémoires d’outretombe, ont servi de thème à toute l’école littéraire bretonne du xixe siècle. L’une d’elles vaut d’être citée en entier.

« Le printemps en Bretagne est plus doux qu’aux environs de Paris et fleurit trois semaines plus tôt. Les cinq oiseaux qui l’annoncent, l’hirondelle, le loriot, le coucou, la caille et le rossignol, arrivent avec des brises qui hébergent dans les golfes de la péninsule armoricaine. La terre se couvre de marguerites, de pensées, de jonquilles, de narcisses, d’hyacinthes, de renoncules, d’anémones, comme les espaces abandonnés qui environnent Saint-Jean-de-Latran et Sainte-Croix-de-Jerusalem à Rome. Des clairières se panachent d’élégantes et hautes fougères ; des champs de genêts et d’ajoncs resplendissent de leurs fleurs, qu’on prendrait pour des papillons d’or. Les haies, au long desquelles abondent la fraise, la framboise et la violette, sont décorées d’aubépines, de chèvrefeuilles, de ronces dont les rejets bruns et courbés portent des feuilles et des fruits magnifiques. Tout fourmille d’abeilles et d’oiseaux ; les essaims et les nids arrêtent les enfants à chaque pas. Dans certains abris, le myrte et le laurier-rose croissent en pleine terre, comme en Grèce ; la figue mûrit comme en Provence ; chaque pommier, avec ses fleurs carminées, ressemble à un gros bouquet de fiancée de village… »

Le pays, « entrecoupé de fossés boisés, a, de loin, l’air d’une forêt et rappelle l’Angleterre… Des vallons étroits sont arrosés par de petites rivières non navigables. Ces vallons sont séparés par des landes et par des futaies à cépées de houx. Sur les côtes se succèdent phares, vigies, dolmens, constructions romaines, ruines de châteaux du moyen âge, clochers de la Renaissance ; la mer borde le tout. Pline dit de la Bretagne : péninsule spectatrice de l’Océan. » (Mémoires d’outre-tombe, t. Ier.)

Bibliographie. — S. Marin, Histoire de la vie et des ouvrages de M. de Chateaubriand, Paris, Vimont, 1832. — Sainte-Beuve, Portr.  contempor., 1846, t. Ier ; Causeries du lundi, 1855, I, II et X ; Chateaubriand et son groupe littéraire, 1860. — {{Mme|Ch. Lenormand, Souvenirs et Correspond., 1859. — Comte de Marcellus, Chateaubriand et son temps, 1859. — Ch. Benoît, Chateaubriand, sa vie et ses œuvres, 1865. — R. Kerviler, Chateaubriand. Esquisse d’une biobibliographie de Chateaubriand, etc., 1896. — G. Pailhès, Chateaubriand, sa femme et ses amis, 1896. — A. Le Brax, Au pays de Chateaubriand, Revue parlementaire, 1901, II, p. 130-141, etc., etc.



L’AMOUR DE LA CAMPAGNE


Que de ces prés l’émail plaît à mon cœur !
Que de ces bois l’ombrage m’intéresse !
Quand je quittai cette onde enchanteresse,
L’hiver régnait dans toute sa fureur.
Et cependant mes yeux demandaient ce rivage ;
Et cependant d’ennuis, de chagrins dévoré,
Au milieu des palais, d’hommes froids entouré,
Je regrettais partout mes amis du village.
Mais le printemps me rend mes champs et mes beaux jours.
Vous m’allez voir encore, ô verdoyantes plaines !
Assis nonchalamment auprès de vos fontaines,
Un Tibulle à la main, me nourrissant d’amours ;
Fleuve de ces vallons, là, suivant tes détours,
J’irai seul et content gravir ce mont paisible ;
Souvent tu me verras, inquiet et sensible,
Arrêté sur tes bords en regardant ton cours.
J’y veux terminer ma carrière ;
Rentré dans la nuit des tombeaux,
Mon ombre, encor tranquille et solitaire,
Dans les forêts cherchera le repos.
Au séjour des grandeurs mon nom mourra sans gloire ;
Mais il vivra longtemps sous les toits de roseaux.
Mais d’âge en âge, en gardant leurs troupeaux,
Des bergers attendris feront ma courte histoire :
« Notre ami, diront-ils, naquit sous ce berceau ;
Il commença sa vie à l’ombre de ces chênes ;
Il la passa couché près de cette eau.
Et, sous les fleurs, sa tombe est dans ces plaines. »


LA FORÊT


Forêt silencieuse, aimable solitude,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !
Prestige de mon cœur ! je crois voir s’exhaler
Des arbres, des gazons, une douce tristesse.

Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.
Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière
Ici, loin des humains !… Au bruit de ces ruisseaux,
Sur un tapis de fleurs, dans ce lieu solitaire,
Qu’ignoré, je sommeille à l’ombre des ormeaux !
Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles
Ces genêts, ornements d’un sauvage réduit,
Ce chèvrefeuille atteint d’un vent léger qui fuit,
Balancent tour à tour leurs guirlandes mobiles ;
Forêts ! agitez-vous doucement dans les airs !
À quel amant jamais serez-vous aussi chères ?
D’autres vous confieront des amours étrangères ;
Moi, de vos charmes seuls j’entretiens les déserts.

(Annales romantiques, 1824.)