Les Poètes du terroir T I/E. Turquety

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 392-393).

ÉDOUARD TURQUETY

(1807-1867)


Édouard-Marie-Louis-Casimir Turquety était fils d’un notaire de Rennes. Il naquit dans cette ville le 21 mai 1807, du mariage de Pierre-Marie-Gabriel Turquety et de Renée-Anne Couapel. Il fit son droit, mais, avant d’être reçu avocat, il débuta dans les lettres en insérant quelques poésies au Lycée armoricain. Par la suite, il se lia avec Émile Souvestre et les poètes les plus notoires de sa génération. Admirateur de Chateaubriand et disciple de Lamartine, il a joui d’une réelle popularité depuis 1833, date de publication de son premier volume, Amour et Foi (Paris, Delaunay, in-8o), jusqu’en 1850. L’oubli s’est fait ensuite autour de son nom, et quand il mourut, à Passy, d’une maladie de langueur, provoquée par l’abus des narcotiques (18 novembre 1867), il n’était plus guère connu que de quelques lettrés et des survivants de la dernière école poétique.

Chrétien et romantique, Turquety rêva toute sa vie de ramener la poésie au catholicisme, dont il a fait son unique source d’inspiration. Il a parfois de l’ampleur et de l’élévation, mais le plus souvent son vers, dépourvu de force et d’originalité, se traîne, languit et tombe dans le médiocre. La mélancolie et la tendresse ne font pas oublier chez cet écrivain l’indigence de la pensée.

On a de Turquety divers recueils : Esquisses poétiques, Paris, Delangle, 1829, in-16 ; Poésies catholiques, Paris, Delaunay, 1836, in-12 ; Hymnes sacrées ; Paris, Debécourt, 1839, in-8o ; Primavera, Paris, Chamerot, 1840, in-8o ; Fleurs à Marie, Paris, Sagnier et Bray, 1845, in-12 ; Poésies complètes, Paris, Sagnier et Bray, 1845, in-18 ; Poésies réligieuses ; Paris, Bray, 1858, in-18 ; Un Acte de foi, Paris, Bray, 1869, in-18, et un poeme en cinq chants, Les Représentants en déroute, ou le 2 décembre, Paris, Ledoyen, 1852, in-18.

Édouard Turquety a collaboré à la Gazette de France. C’était, de plus, un bibliophile distingué.

Bibliographie. — Frédéric Saulnier, Édouard Turquety, étude biograph. ; Paris, J. Gervais, et Nantes, E. Grimaud, 1885, in-18, — J. Rousse, La Poésie bretonne au dix-neuvième siècle ; Paris, Lethielleux, 1895, in-18.



UNE IDEE SOMBRE


Quand je reviens joyeux dans ma belle Bretagne,
Au sortir de Paris, de ce triste Paris
Où l’on ne voit ni mer, ni forêts, ni montagne,
Où l’on traîne des jours ennuyés et flétris ;
Quand j’ai passé le seuil, quand j’ai franchi l’entrée
De la noire maison gothique et retirée,
Et qu’un instant après je tombe dans les bras
De mes deux bien-aimés qui ne m’attendaient pas.
Oh ! de quelque bonheur que mon âme soit pleine.
Dans ces rares moments d’ivresse surhumaine,
Quel que soit mon transport, un indicible ennui
S’éveille à l’heure même et se mêle avec lui.
J’aperçois, et c’est là ce qui me désespère,
Quelques rides de plus sur le front de mon père.
Ma mère aussi, ma mère attriste mon regard :
Ses cheveux sont encor plus blancs qu’à mon départ.
Et des larmes d’efffroi roulent sous mes paupières :
Ô mon Dieu ! gardez-moi ces deux âmes si chères !
Gardez mon doux trésor, il est là tout entier ;
S’il vous faut l’un des trois, prenez-moi le premier.
Prenez-moi ; que ferais-je, hélas ! dans ce vain monde.
Sevré des tendres soins dont leur amour m’inonde ?
Je ne demande rien, ni gloire ni bonheur,
Mais leur vie est ma vie, il me la faut, Seigneur !

(Primavera, 1841.)