Les Poètes du terroir T I/Hippolyte Lucas

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 394-396).

HIPPOLYTE LUCAS

(1807-1878)


Julien-Joseph-Hippolyte Lucas naquit à Rennes le 20 décembre 1807, et mourut à Paris le 14 novembre 1878, bibliothécaire à l’Arsenal, après une carrière des mieux remplies. Poète, romancier, critique et auteur dramatique fécond, Hippolyte Lucas a laissé le souvenir d’un homme affable, ami obligeant et sincère, et d’un écrivain au talent souple et séduisant. Fils d’un avoué, il détestait la chicane, et, à peine licencié en droit, il se lança dans le journalisme parisien. Les littératures étrangères lui étant familières, il en a fait d’heureuses imitations. On lui doit sur son pays bon nombre de pages charmantes, dont quelques-unes appartiennent à ses recueils de poèmes, et en particulier aux Heures d’amour, qu’il fit tout d’abord paraître sous ce titre : Le Cœur et le Monde, esquisses, Paris, Moutardier, 1834, in-12. Quelques années après sa mort, son fils, M. Léo Lucas, a donné, sous son nom, une série de Portraits et Souvenirs littéraires, « avec des lettres inédites d’écrivains contemporains », Paris, Pion, s. d., in-18, qui nous renseignent sur les relations de choix qu’il entretint au cours de sa longue carrière. Nous apprenons ainsi qu’il eut de l’amitié pour Evariste Boulay-Paty, Gérard de Nerval, Brizeux et Charles Lasailly ; qu’il connut Mlle Mars et Rossini et s’honora de goûter l’intimité de Victor Hugo.

On nous dispensera de donner ici une liste de ses ouvrages » la bibliographie en ayant été dressée récemment.

M. Léo Lucas, dont le zèle filial n’a cessé de s’exercer bien à propos sur cet écrivain, a donné de curieuses pages qui nous le font connaître et aimer. Nous en détachons les lignes suivantes :

« Breton dans l’âme, mais affiné par le long séjour de Paris, Hippolyte Lucas avait, comme son compatriote et ami Auguste Brizeux, conservé dans les yeux et dans le cœur un coin du ciel de son pays natal, qui lui fournit quelques-unes de ses meilleures inspirations. Il aimait à y passer plusieurs mois, chaque année, avec sa famille, dans une petite villa, qui lui rappelait ses premiers souvenirs d’enfance. « Cette maison, il l’a chantée dans une pièce de vers intitulée Ma Retraite, qui figure dans ses dernières poésies…

Il existe cinq réimpressions des poésies originales d’Hippolyte Lucas, savoir : Heures d’amour, Paris, Lavigne, 1844, in-32 ; la même édition, augmentée de poésies diverses ; Paris, Alvarès, 1857, in-18 ; Heures d’amour, 4e édit., Paris, J. Gay, 1864, in-32 ; Poésies d’Hippolyte Lucas, Heures d’amour, 5e édit., et Poésies inédites, Paris, Librairie des bibliophiles, 1871, in-18 ; Choix de poésies d’Hippolyte Lucas, suivi de nouvelles en prose, Paris, Lemerre, 1898, in-18.

Bibliographie. — Hippolyte Lucas, Portraits et souvenirs littéraires ; Paris, Plon, s. d., in-18. — Oliv. de Gourcuff, Gens de Bretagne ; Paris, Lechevallier, 1900, in-8o. — Léo Lucas, Notice littéraire et bibliographie publiées en tête du Choix de poésies, etc. ; Paris, Lemerre, 1898, in-18 ; Opinion de la critique sur les poésies d’H. Lucas ; Rennes, impr. Fr. Simon, 1899, in-12.


MA RETRAITE[1]


Je sais une rivière,
La Vilaine est son nom,
Cependant la lumière
Y glisse un pur rayon.

Dans son eau se reflète
Le svelte peuplier ;
Sur sa rive discrète.
Roucoule le ramier.

Non loin la maisonnette,
Le jardin potager.
L’allée étroite et nette,
Le tout petit verger ;

Le parterre où l’abeille
Aime à poser son vol ;
Lis blanc, rose vermeille,
Et buis vert près du sol ;

Au bord de la fenêtre,
Le rouge cerisier.
Qu’attaque, aux yeux du maître,
Le moineau familier.

La charmille où l’on goûte
Le bienveillant sommeil.
Sans que l’on y redoute
La pluie ou le soleil ;

L’espalier où la pêche,
Exposée au midi,
Se conserve si fraîche
Sur le mur attiédi ;

Le noyer dont Ovide
Parle, et que le passant
Frappe, toujours avide,
Du silex impuissant.

À deux pas la châtaigne
Qu’Horace aussi cueillait,
Et que nul ne dédaigne,
Mêlée avec le lait.

Vers le soir taciturne,
Le tic tac du moulin,
Ou la chanson nocturne
Des fileuses de lin.

L’écho que l’on réveille,
Ce poète endormi,
Qui renvoie à l’oreille
La rime au son ami.
 
Le village où ma mère,
Fidèle au chaume obscur,
À toute peine amère
Portait un baume sur.

C’est là que, loin du monde,
Sans craindre de vieillir,
Dans une paix profonde,
J’aime à me recueillir.
 
Aucun bruit de la ville,
Bruit stérile toujours !
Sous une ombre tranquille
Laissant dormir mes jours,
 
J’écoute, solitaire,
Un bruit plus solennel,
Celui que fait la terre
Sur son axe éternel.

(Dernières Poésies.)

  1. Le Temple du Cerisier, près Rennes.