Les Poètes du terroir T I/Bourbonnais, Notice

Bourbonnais, noticeLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 208-211).

BOURBONNAIS

BAS BOURBONNAIS, HAUT BOURBONNAIS


C’est peut-être, au point de vue artistique, la moins favorisée de toutes nos provinces. Entendons par là que cette terre du Bourbonuaïis, pittoresque et charmante, mais enserrée par dés rivales telles que la Bourgogne, l’Auvergne et le Berry, pour ne citer que celles-là, ne parvint guere à s’affranchir des influences qui prédominérent sur son sol. Aussi bien n’offre-t-elle qu’un médiocre intérèt pour le littré. À défaut de raison de son inertie, l’histoire justifie son impersonnalité. Il en est des pays comme des individus ; ils ne valent que par leur résistance à tout ce qui n’est pas eux. Littérairement chaque province s’est formée sous l’action d’une culture renouvelée par l’immigration. Le Bourbonnais n’a connu que par instants les grands courants qui du nord au midi ont bouleversé les écoles poétiques. « Le centre géométrique de la France, écrit Michelet[1], est marqué par une borne romaine dans le Bourbonnais. Le fief central était le duché de Bourbon. Grand fief, mais de tous les grands le moins dangereux, ce semble, n’étant pas une nation, mais une race à part comme la Bretagne ou la Flandre, pas mème une province comme la Bourgogne, mais une agrégation tout artificielle des démembrements des diverses provinces, Berry, Bourgogne, Auvergne. Peu de cohésion dans le Bourbonnais : moins encore dans ce que le duc de Bourbon possédait au dehors au xve siecle (Auvergne, Beaujolais, Forez). Tous ces pays du Centre, la France dormante des grandes plaines (Berry, Sologne, Orléanais), la France sauvage et sans route des montagnes (Velay, Vivarais, Limousin, Périgord, Quercy, Rouergue), sont sans contact avec l’étranger. Mais ce bizarre empire de Bourbon, où il semblait que le possesseur nc tint pas fortement au sol comme un duc de Bretagne, remis aux mains d’un traître, faillit perdre la France. Ce fief central et massif de Bourbonnais, Auvergne et Marche, par ses possessions excentriques, le Beaujolais, le Forez, les Bombes, tenait trois anneaux pour enserrer Lyon, les rudes montagnes d’Ardèche ; Gien pour dominer la Loire, puis, tout au nord, Clermont-en-Beauvoisis. On comprendrait à peine un damier de pièces si hétérogènes si l’on ne savait qu’elles venaient en partie de confiscations faites par Louis XI… » Plus tard, après la mort du connétable « traître à son roi, traître à ses alliés », le Bourbonnais appartint à la couronne. Cette fin lui fut légère. Son indépendance lui pesait. Depuis ce jour, la province est restée soumise à tous les régimes qui se sont succédé sur notre sol. Elle n’a point encore connu le réveil de la race.

Ici, symbole de monotonie, d’uniformité, la plaine domine : la plaine légèrement accidentée au sud-ouest, vers la Combraille, traversée par le Cher et par l’Allier qu’alimente la Sioule.

À diverses reprises on a tenté d’établir un tableau des ressources littéraires du Bourbonnais et de dresser une liste des écrivains qui, originaires de cette région, ont conquis la notoriété[2]. Rendons grâce au talent, à l’érudition dépensés en une telle tâche, mais gardons-nous de croire que la province fût riche en poètes du cru. Quelques rares noms, puis une cohue de rimailleurs sans autorité, et c’est tout. Peut-être admettrait-on que chaque siècle eut sur ce sol son représentant lyrique, si les xviie et xviiie ne se dérobaient à notre curiosité. En vain objectera-t-on que le Bourbonnais s’enorgueillit justement de Pierre de Nesson, de Henri Baude, disciple de Villon, de Jean de Lingendes[3], écrivain délicat et harmonieux, et, récemment de Théodore de Banville ; ni Pierre de Nesson, ni Henri Baude, ni Jean de Lingendes, ni Banville ne sont, à proprement parler, des écrivains de terroir. Ils le sont encore moins, ces poétereaux généralement méconnus, Blaise de Vigenère, contemporain de Ronsard, et Claude de Laval, interprète des Psaumes de David[4].

Reste le domaine du patois, la littérature dite locale. En pays bourbonnais ce genre abonde, mais ce que nous en connaissons ne s’impose guère plus à notre attention que la poésie d’expression française.

La poésie bourbonnaise proprement dite, elle est dans les menus propos du peuple, dans le couplet sentimental que chante le paysan du Centre, tant au labour que dans maintes circonstances solennelles de sa vie : baptèmes, mariages, assemblées ; mais qui songera jamais à la recueillir et à la fixer avant qu’elle disparaisse avec les coutumes d’antan… ?

Bibliographie. — Bruzen de la Martinière, Grand Dictionnaire géographique, historique, etc. ; t. Ier, Paris, P.-G. Le Mercier, 1739, in-folio. — Expilly, Dictionnaire géogr., histor.  et politique de la France ; Amsterdam et Paris, Desaint et Saillant, 1762, in-fol. — Simon de Coiffier-Demoret, Histoire du Bourbonnais ; Paris, L.-G. Michaud, 1814-1816, 2 vol. in-8o, — Achille Allier (A. Michel et L. Batissier), L’Ancien Bourbonnais, etc. ; Moulins, imprimerie Desrosiers fils, 1833-1838, 2 vol. in-folio. — A. Ripoud, Tablettes des écrivains nés dans le département de l’Allier ; etc. (Annuaire de l’Allier, 1842) ; Moulins, imprimerie Desrosiers, p. 269-303. — Ernest Bouchard, Poètes bourbonnais du quatorzième au dix-septième siècle ; Bulletin de la Société. d’Emulation de l’Allier, 1868-69, XI, p. 325-442. — H. Faure, Antoine de Laval et les Écrivains bourbonnais de son temps ; Moulins, Martial-Place, 1870, in-8o. — Roger de Quirielle, Biobibliographie des écrivains anciens du Bourbonnais ; Moulins, L. Grégoire, et Paris, Durel, 1899, in-8o. — Emile Magne, Une Station thermale au dix-huitième siècle, Bourbon-l’Archambault ; Revue hebdomadaire, 25 août 1906. — J. Michelet, Notre France, 9° édit. ; Paris, Colin, 1907, in-18. J.-E. Choussey, Les Patois bourbonnais ; Paris, Champion, 1908, in-8o.

Voir en outre les Bulletins de la Soc. d’émulation et des beaux-arts de l’Allier et du Bourbonnais ; les Archives du Bourbonnais, les Annuaires de l’Allier, la Quinzaine bourbonnaise, etc.



  1. Notre France.
  2. Voyez à ce sujet les travaux d’Ernest Bouchard (Poètes bourbonnais du quatorzième au dix-septième siècle) et de M. Roger de Quirielle (Bio-bibliographie des écrivains anciens du Bourbonnais). Ces deux auteurs oui relevé les noms d’une foule de rimeurs dont se peut glorifier cette province. On les consultera utilement.
  3. Né à Moulins en 1580, mort en 1616, il a laissé ce charmant poème : Les Changement de la Bergère Iris (Paris, Toussaint du Bray, 1606, in-12), maintes fois réimprimé. Le recueil Le Séjour des Muses ou la Cresme des bons vers, de 1620, lui donne cette jolie chanson :

    Philis, auprès de cet ormeau
    Ou paissoit son petit troupeau,
    Estant toute triste et pensive,
    De son doigt escrivoit un jour,
    Sur le sablon de cette rive :
    Alcidon est mon seul amour.
     
    Je ne devois pas m’assurer
    De voir sa promesse durer :
    Parce qu’en chose plus légère,
    Et plus ressemblante à sa foi,
    L’ingrate et parjure bergère ;
    Ne pouvoit se promettre a moi.

    Um petit vent qui s’eslevoit
    En même instant qu’elle escrivoit
    Cette preuve si peu durable,
    Effaça, sans plus de longueur,
    Sa promesse dessus le sable,
    Et son amour dedans son cœur.

  4. On cite encore parmi les poètes d’origine bourbonnaise Blot de Chauvigny, le fameux satirique de la Fronde. C’est une figure des plus caractéristiques, mais nous n’étonnerons personne en disant qu’il ne doit rien à sa province.