Les Poètes du terroir T I/Gabriel Nigond

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 205-207).
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GABRIEL NIGOND

(1877)


M. Gabriel Nigond est né à Châteauroux (Indre), le 24 fevrier 1877. À son début, il s’est révélé poète de talent, prenaut une place honorable entre Maurice Rollinat et Hugues Lapaire. Son art, fait de notations précises, porte la marque d’un réalisme émouvant, haut en couleur, abondant en images pittoresques et en sonorités. « Apparenté au morvandiau plus criard et au bourguignon plus dur, le patois berrichon qu’il emploie avec aisance, a-t-on dit, apparait narquois et alenti ; il conviendrait mal au lyrisme, mais ne répugne pas à une certaine grâce ingénue et maligne. On doit à M. Gabriel Nigond plusieurs recueils de poèmes, les uns fleurant bon le langage du terroir, les autres en français : Poésies (Paris, Vanier, 1896, in-18) ; Contes de la Limousine, préface de Séverine (Paris, Stock, 1903, in-32) ; Novembre (ibid., 1903, in-18) ; L’Ombre des Pins, ouvrage couronné par l’Académie française (ibid., 1904, in-18) ; Nouveaux Contes de la Limousine (ibid., Ollendorff, 1907, in-18) ; Mentor (Paris, Ollendorff, 1908, in-18), ainsi que divers ouvrages dramatiques : Le Cœur de Sylvie, pièce en 3 actes, en vers, représentée le 26 novembre 1906 au théâtre des Bouffes Parisiens (Paris, édit. du « Censeur », 1906, in-16) ; et Le Dieu Terme, un acte, en vers, joué à la Comédie française, le 26 février 1907 (Paris, librairie Molière, 1907, in-16). Ce n’est pas sans raison — a écrit M. Pierre Quillard, et ceci peut s’appliquer à tous ses poèmes — que M. Gabriel Nigond a invoqué une fois encore, au début des Nouveaux Contes de la Limousine, la mémoire de George Sand ; les héros de ses histoires sont cousins de la Petite Fadette et de François le Champi, mais point d’Indiana et de Consuelo ; ils sont au besoin sentencieux et diserts… »



TOUT DRET !


Quand l’soleil est tombé dans l’eau,
Su’ la Grise ej’ rentre au domaine.
Et ma vieill’ jument qui m’ramène

Fait dinderlinder son guerlot.
Sans nous presser, j’suivons not’route ;
Moué j’argarde au creux d’chaqu’sillon
Et, tout en argardant, j’écoute
La p’tit’chanson du p’tit grillon.
C’est pas créyab’ comm’j’aim’not’plaine,
Aucun pays n’me s’rait meilleur,
Et, ma bours’ s’rait-ell’ vingt fois pleine,
J’voudrais point m’en aller ailleurs.
C’est ça mon pays, c’est ma terre
Qui m’tient par force et par secret,
Et j’veux, sans cachett’ ni mystère,
Y suiv’ le ch’min d’ma vie entière
Tout dret !

Et, d’abord, m’man, qu’en pense autant,
M’a dit : « Rest’ par cheux nous, Baptiste.
Dans ton mal, tu y s’ras moins triste,
Et, dans ton bonheur, pus content !
Quand on perd des gens qu’on adore,
L’cœur est toujours ben mieux sout’nu
Si l’on peut en causer encore
Avec ceux qui les ont connus.
Suivant l’sort que Dieu nous envoie,
Ça fait toujours plaisir un brin
D’voir qu’on est ben ais’ de vot’ joie
Et qu’on est fâché d’vot’ chagrin.
Pas d’bruit, pas d’cris, pas d’étalage,
Ça vous fait pus d’tort qu’on n’le cret :
T’es bon garçon, t’es pas volage,
Vis comm’nous, dans not’même’ village,
Tout dret ! »

Mon p’pa m’a dit : « J’seus qu’un pésan,
Et du pus loin que j’me rappelle,
Ma pauver’ vie a passé telle
Comme a s’passe encore à présent.
Mais la misèr’, vois-tu, j’la brave.
Si t’as quéqu’ semenc’ de raison,
Faudra r’garder dans ta maison,
Pas au guernier, mais à la cave.
Si tu n’as, pour te graisser l’bec,

Qu’eun’ mich’ dure avec du lard rance,
Tu dev’ras t’dir’  : « J’ai ben d’la chance,
Mon voisin Claud’ mang’ son pain sec !
Pour t’couvri’ t’as qu’ta limousine :
Faut pas qu’un mantiau t’doun’ du regret.
T’as point d’chandell’ : brul’ ta résine.
Prends ta part sans vouèr la voisine,
Tout dret ! »

Sûr que j’y rest’rai, dans mon coin.
J’y suis né, donc c’est l’seul qui m’plaise.
Pendiment qu’on s’y trouve à l’aise,
C’est pas sorcier d’charcher pus loin.
A preuv’, c’est qu’çui-là qui voyage,
Qui d’cinquant’côtés s’est tourné,
Dès qu’y sent v’ni la fin d’son âge,
S’ramèn’ finir où qu’il est né.
Et, quand j’gagn’ mon champ d’la Vieill’ Roche
Anc’ mon chien et mon vieux fusil,
J’argard’ dans l’ceum’tièr’ qu’est tout proche
L’bout d’terrain que j’me seus choisi.
Ayant vécu ma suffisance,
Que l’bon Dieu mett’, quand j’men irai,
Mon âm’, qu’a pas porté nuisance,
Au paradis, par complaisance,
Tout dret !

(Les Contes de la Limousine.)