Les Poètes du terroir T I/Bourbonnais, Chansons populaires

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 212-215).
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CHANSONS POPULAIRES



CHANSON DU BOURBONNAIS


Que fais-tu, ma bergère,
Au milieu d’ce champ,
Là, derrièr’ ta chaumière.
Par un si beau temps ?

Filant ma filousette,
Gardant mes moutou,
Anvé ma vhoulette
J’les gar’ dou loup.

Dis-moi donc, ma bergère.
Tous mes amusements !
Toi, si belle bergère,
N’as-tu pas d’amant ?

Ma mèr’ de ceux chouz’là
Jamais n’m’a rin dit,
Persounn’ au village
Ne connaît cou-tchi !

Je sais bien que ta mère
À toi n’en parl’ pas,
Mais ton cœur, ma bergère.
Te le dit tout bas.

Oh ! Monsieur, qu’on sé simple !
Qu’on sé simp’ d’esprit !
Mon cœur n’a point d’lingue,
Jamais n’m’a rin dit.

Mais ton chien, ma bergère,
Est plus aimab’ que toi ;
Il me flatt’, me caresse,
Et reste auprès d’ moi.

Ah ! mon chin n’est pas bête !
A sent les croustou

Dedins votre pochette,
Et reste auprès d’vous.

Ô ma bergère ingrate,
Je vois qu’tu n’m’aim’ pas,
Car mon cœur est malade.
Et tu l’guéris pas.

Des remèd’ n’en sais guère
Pour guarir cou mau :
Cheu l’apothicaire
On gn’a tout c’qu’ou faut[1].


CHANSON DE BOURBON[2]

Bonjou den, mère Catherine :
Y allon don, père Nicoulas !
Voulez-vous marier Cathrinette
A noute garçon que vêla ?

Ol entend bien le coumarce,
Ouest stil que vend vos naviaux ;
O s’exarce à tirer les vaches.
Et baye du foin aux viaux.

Ou n’est pre vanter nout’fille
Si j’en allons dire du bien :
Alle est ben forte et ben habile ;
Ouest elle que fait noute pain,

Alle n’est, tatigué ! pas sotte ;
Aile distingue aisément
Qu’un’  grand’  cotte et une culotte
C’est deux habits différents.

Que bayerez-vous à vout’ fille ?
Y allons donc, parlez hardiment.
— Un beau prépoint d’étamine
Qu’aile a ben gagné en quatre ans.

— Je bayerons à noute drôle
Que vela ici présent,
Un’ biaud’ blanche pre ses dimanches,
Et trois chapiaux quasiment.

Je mènerons à la fouère
Le plus biau de tous n’tés viaux ;
L’argent en sera pre bouère
Et pre acheter des joyaux,
Des angnaux[3] et pis des bagues
Que chassons les chiens enragés,
Des ayanss[4]
bientes reluisantes

Et des sabots visolés[5].
Allons, boute-toi-z-à la table ;
Passe ici près de Bastien ;
Et toi, drôle, vas à la cave
Pre nous tirer de ce bon vin.
Je cuérons la grand’ loriente[6]
Le jour que je les marierons :
Que j’serons aise, compèr’ Blaise,
Tatigué ! que je bouérons !


LA JOLIE FILLE DE GARDE

Au château de la Garde, il y a trois belles filles.
Il y en a une plus belle que le jour :
Hâte-toi, capitaine,
Le duc lui fait la cour.

Dedans son jardin, suivi de sa troupe,
Il entre et la prend sur son bon cheval gris,
Et la conduit en croupe
Tout droit à son logis.

Aussitôt arrivée, l’hôtesse la regarde :
Etes-vous ici par force ou par plaisir ?
Au château de la Garde
Trois cavaliers l’ont pris.


Sur ce propos le souper se prépare :
Soupez, la belle, soupez avec appétit.
Hâte-toy, capitaine,
Voici venir la nuit.

Le souper fini, la belle tombe morte !
Elle tombe morte pour ne plus revenir :
Au jardin de son père
Les cavaliers l’ont pris.

Mes bons cavaliers, sonnez vos trompettes.
Puisque ma mie est morte, sonnez piteusement.
Nous allons dans la terre
La porter tristement.

Il nous faut l’enterrer au jardin de son père
Sous des rosiers blancs, rosiers bien fleuris,
Pour mieux conduire son âme
Tout droit en Paradis.

Mais dans le jardin la belle ressuscite.
Bonjour, mon père, le ciel vous soit donné.
Bonjour, j’ai fait la morte
Pour mon honneur garder.

Quand les rosiers blancs eurent fleurs nouvelles :
« Allons, ma fille, il faut vous marier.
Pauvre capitaine.
Le duc va l’épouser[7].



  1. Chanson publiée avec la musique de M. Paul Duchon dans le Bulletin de la Société d’émulation et des beaux-arts du Bourbonnais, 1898. (Ce texte est fautif dans l’original.)
  2. Les deux chansons qui suivent sont extraites de L’Ancien Bourbonnais, etc., par Achille Allier, A. Michel et L. Batissier. Moulins, imprim. Desrosiers fils, 1833-1838, II.
  3. Anneaux
  4. Alliances.
  5. Ciselés.
  6. Je « tuerons » la grande truie.
  7. Achille Allier, qui a transcrit cette chanson et l’a p<opularisée,
    y a ajouté deux couplets.