Les Plateaux de la balance/Préface d’Ernest Hello
PRÉFACE
J’ai eu faim et soif de la Justice, j’ai voulu la faire, j’ai voulu la penser ; j’ai voulu la parler. J’ai voulu mettre à leur place les hommes et les choses, j’ai voulu prendre leur mesure, et la donner.
J’ai voulu peser certaines œuvres et indiquer leur poids.
J’ai voulu dire ce qui m’a paru vrai, sans souci de l’erreur reçue.
J’ai voulu jeter un regard du côté de certaines têtes, pour voir si elles étaient hautes comme on le disait.
Et j’ai dit la taille qu’elles m’ont paru avoir.
J’ai promené la balance à travers le monde intellectuel, n’ayant qu’un poids et qu’une mesure, et j’ai laissé les plateaux monter ou descendre comme ils voulaient, abandonnés aux lois de l’équilibre.
Les chapitres de ce livre ne sont pas juxtaposés par une unité mécanique. Ils sont liés, si je ne me trompe, par une unité organique. Cette unité, c’est la faim et la soif de la Justice.
Or la faim et la soif courent où elles veulent, et je les ai laissées courir.
La faim et la soif sont les symboles du Désir, et le Désir est le Précurseur de la Justice.
Il y a entre ces deux mots : Désir, Justice, une corrélation mystérieuse et profonde. Quiconque a le Désir en lui, a la Justice devant lui, comme le pain de sa faim, et le vin de sa soif.
Daniel signifie Justice de Dieu, et le Prophète qui possédait ce nom a reçu d’un ange cet autre nom (si toutefois il est permis de dire que ce soit un autre nom), Homme de Désirs.
J’ai voulu élever la critique assez haut pour qu’elle pût cesser d’être une irritation, et devenir un apaisement.
J’ai voulu la placer assez haut pour qu’elle pût dominer la poussière et la fumée du combat.
Car, après le Désir, il faut nommer la Justice, et après la Justice, il faut nommer la Paix.
Je ne parle pas de la paix négative des muets qui se regardent ; je parle de la paix glorieuse, celle qui chante.
Je voudrais que cette œuvre de Désir et de Justice fût aussi une œuvre de Paix.
Je voudrais que la critique vînt s’asseoir sur la montagne très solennellement.
Mais qu’est-ce qu’un livre, en face de ces mots : Désir, Justice, Paix ? Qui pourra mesurer son impuissance ? Qui pourra mesurer sa faiblesse et la résistance de la distraction, et l’étendue du désert où sa voix va crier ? Cette distraction du monde n’est pas de la puissance, mais elle est de l’inertie, et quoi de plus résistant que l’inertie ? l’ensorcellement de la bagatelle est un monstre à cent mille formes. Quelquefois la bagatelle apparaît bagatelle, quelquefois elle se déguise et prend des airs graves. Ses pompes, qui ont le baptême pour ennemi, lui taillent des costumes tragiques, qui voudraient être solennels. L’armée de la Bagatelle a sa cavalerie légère, elle a aussi son artillerie.
Je sais contre elle ma faiblesse, et je cherche dans la prière du matin les armes que je n’ai pas :
Jesu, Deus fortis, miserere nostri.
« Jésus, Dieu fort, ayez pitié de nous. »
Et dans la prière du soir :
Fœderis arca, ora pro nobis.
« Arche d’alliance, priez pour nous. »
Et l’arche d’alliance désigne ici la Vierge terrible, terrible comme une armée rangée en bataille.
Je demande à tous ceux qui ouvriront ce livre, de songer à la faiblesse de celui qui l’a écrit, et de lever pour lui les yeux, la voix et les mains vers celui qui est le Dieu fort, et celle qui est l’Arche d’alliance.
Ernest HELLO.