Les Petits poèmes grecs/Pindare/Pythiques/VI

VI.

À XÉNOCRATE, D’AGRIGENTE,

Vainqueur à la course des chars.

Mortels, prêtez l’oreille à mes accens ! me voici dans la terre consacrée à l’aimable Vénus et aux Grâces, après avoir porté mes pas vers le temple d’Apollon Pythien : c’est là que pour célébrer à l’envi la victoire de Xénocrate, la félicité des Emménides et la belle Agrigente, qu’un fleuve du même nom arrose de ses eaux, j’ai trouvé dans le sanctuaire un trésor où j’ai puisé mes chants, trésor indestructible, qui n’a à redouter ni les pluies de l’hiver, ni les orages qui s’entre-choquent comme des bataillons armés, ni les vents qui roulent en tourbillons sur le gouffre des mers. Il brille de l’éclat le plus pur, ô Thrasybule, et devient pour moi une source de chants harmonieux qui, répétés de bouche en bouche, rediront à la postérité la gloire de ton père et de tes descendans, et la victoire curule qu’il a remportée dans la vallée de Crisa.

Digne fils de Xénocrate, avec quelle attention ne remplis-tu pas le précepte que jadis le Centaure né de Philyre donnait sur le mont Pélion au fils de Pélée, qu’il élevait loin de ses parens. « Mon fils, lui disait-il, honore parmi tous les dieux de l’Olympe le redoutables maître du tonnerre et garde-toi bien de priver pendant ta vie du tribut de ta reconnaissance le mortel qui te donna le jour. »

Tel fut le valeureux Antiloque qui se dévoua à la mort pour sauver les jours de son père, et seul s’exposa aux coups homicides de Memnon, sous qui combattaient les Éthiopiens. Blessé par les traits de Pâris, un des coursiers de Nestor retardait la fuite de son char, et Memnon s’avançait brandissant une longue javeline. Déjà le vieillard éperdu crie à son fils de ne pas affronter le trépas ; c’est en vain, le jeune héros vole au combat, et, par le sacrifice de sa vie, il achète celle de son père, laissant aux races futures un modèle admirable de piété filiale.

Cette antique vertu des siècles passés, Thrasybule nous en donne aujourd’hui le touchant exemple : il marche dans le sentier que lui a tracé son père et le dispute en magnificence à son oncle Théron. Avec quelle modération jouit-il de ses richesses ! Formé à la sagesse dans le sanctuaire des Muses, jamais il ne permit à l’injustice ni à l’aveugle prévention d’égarer un instant son cœur. Comme sa jeune ardeur se plaît à tes nobles exercices, Neptune, toi dont le trident ébranle la terre et qui appris aux mortels l’art de dompter les coursiers ! Enfin son caractère aimable et bienveillant fait la joie de ses amis, et, dans les festins, ses paroles coulent avec la douceur du miel que distille l’industrieuse abeille.