Les Petits poèmes grecs/Pindare/Pythiques/V

V.

À ARCÉSILAS,

Vainqueur à la course des chars.

Quelle n’est pas la puissance des richesses quand le mortel que la fortune en a comblé, sait comme toi, heureux Arcécilas, leur associer la vertu et par elles grossir la foule des amis qui l’entourent ! Dès tes premiers pas dans la carrière de la vie, tu as vu les dieux te prodiguer leurs faveurs ; mais ta générosité en a fait un usage glorieux en les consacrant à rehausser la pompe des jeux que chérit Castor au char éclatant. En retour, ce demi-dieu, après avoir dissipé les nuages et la tempête, a fait luire sur ta maison fortunée les doux rayons du bonheur et de la paix.

Le sage soutient mieux que tout autre l’éclat de cette puissance que les dieux lui confient. Ainsi, Arcésilas, c’est parce que tu marches dans les sentiers de la justice que tu jouis vraiment du bonheur, et comme souverain de cités opulentes, et comme honoré par la victoire que tes coursiers ont remportée dans Pytho, victoire que célèbrent cet hymne et ces danses légères, délices d’Apollon.

Mais tandis que les accens de la gloire retentissent dans les jardins délicieux de Cyrène, dans ces bosquets consacrés à Vénus, n’oublie pas de rapporter à la divinité, comme à son premier auteur, la félicité dont tu jouis. Chéris aussi entre tous tes amis Carrotus, qui, sans être escorté de la timide Excuse, fille de l’imprévoyant Épiméthée, est revenu victorieux dans l’antique demeure des enfans de Battus dont les peuples chérissent la justice.

Digne des honneurs de l’hospitalité qu’on lui a accordés près de la fontaine de Castalie, Carrotus, monté sur un char magnifique, a parcouru douze fois la carrière avec une étonnante rapidité et a conquis ces couronnes qui parent aujourd’hui ton front.

Les fatigues d’une course périlleuse n’ont enlevé à son char aucun des ornemens que l’art de l’ouvrier y avait prodigués ; mais tel il était naguère lorsque Carrotus descendait de la colline de Crisa, près de la vallée consacrée à Apollon, tel on le voit maintenant suspendu sous les portiques de Cypris, non loin de cette statue faite du tronc d’un seul arbre, que les Crétois élevèrent sur le sommet du Parnasse. Il est donc juste, ô Arcésilas ! qu’une prompte reconnaissance acquitte ce bienfait.

Et toi, fils d’Alexibius, quel n’est pas ton bonheur ! Les Grâces aux beaux cheveux rendent ton nom célèbre ; et après les mémorables travaux, mes chants élèvent à ta gloire un monument éternel. Quarante combattans, du haut de leurs chars en débris, ont été renversés dans l’arène ; toi seul, intrépide écuyer, as su arracher ton char au déshonneur, et de retour de ces illustres combats, tu as revu les champs de la Libye et la ville où tu reçus le jour.

Personne entre les mortels n’est exempt des travaux de la vie ; personne ne le sera jamais. Cependant l’heureuse destinée de Battus sourit encore à ses descendans et les protège ; elle est le rempart qui défend Cyrène et la source de cette gloire qui la rend chère aux étrangers. Jadis les lions saisis de crainte s’enfuirent devant Battus quand il vint dans leurs demeures conduit par un oracle prononcé au delà des mers. Apollon, dont il accomplissait les ordres, livra ces monstres à la terreur, pour qu’elle ne fût pas vaine et sans effet la promesse qu’il avait faite au fondateur de Cyrène.

Honneur à ce dieu bienfaiteur de l’humanité ! C’est lui qui enseigna aux mortels des remèdes salutaires pour soulager leurs maux ; il inventa la lyre, et avec les trésors de l’harmonie donna à ceux qui lui sont chers l’amour de la justice et de la paix. Du fond de l’antre sacré où il rend ses oracles il fit jadis entendre sa voix, et conduisit à Lacédémone, à Argos et à Pylos, les valeureux descendans d’Hercule et Ægimius.

Sparte ! oh ! combien l’honneur de t’appartenir relève encore la gloire de ma patrie ! C’est toi qui vis naître ces Ægéides, mes ancêtres, que les dieux envoyèrent à Théra. Ils célébraient un sacrifice, au moment où le destin amena devant Thèbes les Héraclides qu’ils suivirent dans les murs. C’est d’eux, ô Apollon, que nous sont venues tes fêtes carnéennes et les festins au milieu desquels nous célébrons l’opulente Cyrène, où jadis se réfugièrent les Troyens, fils d’Antenor. Après avoir vu Ilion réduit en cendres par le flambeau de la guerre, ce peuple valeureux y aborda avec Hélène ; il y fut admis aux festins sacrés et reçut les dons de l’hospitalité de la main des héros qu’Aristote (Battus) y avait conduits sur ses nefs légères à travers les flots tumultueux des mers.

Battus consacra aux dieux des bois plus vastes, aplanit la voie Scyrota et la revêtit de rocs polis pour qu’elle pût résister aux pieds retentissans des coursiers ; c’est là qu’il est enseveli, à l’extrémité de la place publique : heureux tant qu’il vécut parmi les hommes, et depuis sa mort honoré par les peuples comme un demi-dieu. Hors de la ville et devant le vestibule du palais reposent les cendres des autres rois, qui subirent après lui les rigueurs du trépas. Aujourd’hui mon hymne, en célébrant leurs vertus héroïques, pénètre au sombre bord et, comme une rosée bienfaisante, y réjouit leurs mânes par le souvenir de la gloire que leur fils partage avec eux.

Maintenant donc, ô Arcésilas ! fais retentir au milieu des chœurs des jeunes Cyrénéens les louanges du dieu dont les rayons dorés vivifient le monde ; c’est à lui que tu dois l’éclatante victoire que je chante aujourd’hui et la palme, noble dédommagement de tes dépenses et de tes travaux : ton éloge est dans la bouche de tous les sages. Ce qu’ils ont dit je vais le répéter : Ta sagesse et ton éloquence sont au-dessus de ton âge, pour le courage tu es l’aigle qui d’une aile vigoureuse devance tous les oiseaux, dans les combats ta force est un rempart puissant, dès le matin de tes ans ton génie s’est élevé au séjour des Muses, avec quelle adresse ne te voit-on pas diriger à ton gré un char rapide ! enfin, ce qui est grand et sublime, tu l’encourages, tu l’adoptes, et les dieux bienveillans te donnent la force et les moyens pour l’exécuter.

Bienheureux enfans de Saturne, daignez favoriser ainsi pour l’avenir les projets et les actions d’Arcésilas ! Que jamais le souffle empoisonné du malheur n’abatte les fruits que lui promettent ses beaux jours ! Jupiter, que ta providence puissante préside au destin des mortels que tu chéris ! daigne bientôt accorder au descendant de Battus l’honneur de la palme olympique.