Les Peaux-Rouges de Paris (Aimard)/II/XXIV

XXIV

COMMENT, SUR LE POINT D’ARRIVER À HERMOSILLO, MADAME LA COMTESSE DE VALENFLEURS CROISA, SANS S’EN DOUTER, SON PLUS TERRIBLE ENNEMI.


Les fêtes du mariage, conformément à la coutume adoptée sur les frontières, se continuèrent pendant près de quinze jours.

Belhumeur, la Main-Ferme et les autres Coureurs des Bois s’étant entendus avec les Indiens Comanches du Bison-Blanc, organisèrent une grande chasse dans la plaine du Gila en l’honneur de leurs amis Cœur-Sombre et la Main-de-Fer, grande chasse à laquelle ils invitèrent don Cristoval de Cardenas, sa famille et toutes les personnes qui avaient assisté au mariage du chasseur.

Ces chasses devaient durer huit jours.

Le riche et puissant haciendero voulant reconnaître noblement la gracieuse attention des coureurs des Bois et des Peaux-Rouges, et désireux surtout de leur prouver combien il leur savait gré du généreux concours qu’ils lui avaient prêté lors de l’attaque de l’hacienda, fit d’immenses préparatifs pour cette fête.

Ce fut une véritable armée qui sortit de l’hacienda pour se rendre dans les prairies du Gila.

Plus de trois cents personnes, dames et cavaliers, tous amis de don Cristoval, et revêtus des plus riches costumes, galopaient gaiement en avant, précédés par une troupe de cinquante vaqueros bien armés, ayant ño Ignacio à leur tête.

Puis venaient de nombreux fourgons traînés par des mules magnifiquement harnachées, chargés de tentes, d’ustensiles, de toutes sortes de vivres, etc.

Sur les flancs de la colonne, à droite et à gauche, des éclaireurs battaient l’estrade, sondant les hautes herbes et s’assurant que tout était tranquille sur le passage de la caravane ; enfin, à l’arrière-garde venaient en bon ordre et armés jusqu’aux dents, deux cent cinquante vaqueros et tigreros, de ceux qui avaient si intrépidement résisté aux efforts désespérés des aventuriers du Mayor.

Rien de pittoresque comme l’aspect de cette brillante caravane, s’allongeant comme un immense serpent aux éclatantes couleurs dans les détours sans nombre de sentes à peine tracées, à travers les hautes herbes de la savane, aux premiers rayons du soleil, émergeant à peine au-dessus de la ligne d’horizon.

Le rendez-vous général, où les Coureurs des Bois attendaient leurs invités, était éloigné d’environ six heures à vol d’oiseau de l’hacienda, ce qui doublait largement la distance réelle.

Aussi, afin de ne pas trop fatiguer les dames, et surtout pour éviter la grande chaleur, don Cristoval avait fixé le départ de la Florida au lever du soleil.

Cette heure matinale qui, dans nos contrées du Nord, semblerait très désagréable aux dames, en les obligeant à interrompre leur sommeil plusieurs heures avant celle où elles ont l’habitude de le faire, n’avait rien que de très ordinaire pour les dames mexicaines, accoutumées à se lever à l’aube, afin de profiter de la fraîcheur de la matinée.

Aussi, à l’heure dite, tout le monde, gai, joyeux et reposé, était-il à cheval et prêt au départ, qui s’effectua dans le meilleur ordre.

Julian et son ami galopaient sans cesse sur les flancs de la caravane, afin de tout surveiller et d’éloigner des dames, même l’apparence d’un danger.

Les deux chasseurs connaissaient trop bien les savanes pour ne pas savoir combien de perfides embuscades se cachent souvent sous ces océans de verdure, qui ondulent mystérieusement au plus léger souffle de la brise, et recèlent tant de dangers terribles sous leur calme trompeur.

Mais, cette fois, aucun péril n’était à redouter.

La caravane était trop nombreuse, les cavaliers qui la composaient trop bien armés et trop braves pour qu’une attaque quelconque fût tentée.

Si des aventuriers du genre de ceux qu’on nomme rôdeurs de frontières étaient çà et là aux aguets, et certainement il y en avait un bon nombre, ils comprirent qu’il n’y avait rien à gagner pour eux dans une rencontre contre ces redoutables voyageurs, et ils se tinrent prudemment blottis dans leurs repaires ignorés.

Tout en galopant de côté et d’autre, Julian se trouva, par suite d’un hasard peut-être cherché, marcher pendant quelques instants aux côtés du capitaine Édouard Petit, qui se prélassait sur un magnifique mustang, et souriait joyeusement de se voir, lui marin, en pleine savane, et si loin de son élément de prédilection.

— Eh bien, capitaine, lui dit gaiement Julian, en rangeant son cheval près de celui du marin, êtes-vous satisfait de l’hospitalité de la Florida ?

— C’est splendide, monsieur. Depuis quinze jours, je nage littéralement dans les délices fantastiques de Capoue, répondit avec enthousiasme le capitaine qui se piquait de littérature. Je doute qu’Hannibal lui-même ait été aussi bien traité et choyé que je le suis ! Quel malheur qu’il faille quitter tout cela !

— Est-ce que vous comptez retourner bientôt à Guaymas ?

— Il le faut, monsieur. Pendant que je fais ici chère-lie, tout va mal là-bas.

— Bon ! comment cela ? Ne faut-il pas que les matelots s’amusent !

— Je ne dis pas non ; mais je n’entends pas qu’ils désertent, et c’est ce qui arrive. Un de mes matelots nommé Joan, un drôle que j’avais pris par pitié à mon bord, a bel et bien déserté. Je veux mettre ordre à cela.

— Vous avez raison. Votre équipage n’est pas nombreux, sans doute ?

— Il est très nombreux, au contraire. Ma charmante passagère, craintive comme le sont en général toutes les femmes qui ignorent ce que c’est que la mer, ne rêvant que de pirates, de corsaires, que sais-je ? me pria d’embarquer une cinquantaine d’hommes, ainsi que des armes et des munitions en quantité. Que ne fait-on pas pour tranquilliser une aussi aimable et charmante personne que mademoiselle Deniza ?… pardon, la langue m’a fourché, c’est madame d’Hérigoyen que je voulais dire.

— Vous êtes tout excusé, mon cher capitaine, dit Julian en souriant ; vous disiez donc…

— Ma foi ! j’engageai soixante hommes, tous braves, et sur lesquels je savais pouvoir compter, excepté ce drôle de Joan ; mais si je le rattrape, le failli-chien, il peut être tranquille, je lui souquerai son amarrage à bloc, je ne vous dis que cela ; j’achetai toutes les armes nécessaires, même deux amours de canons de six, puis de la poudre, des boulets, des balles, enfin toutes les herbes de la Saint-Jean ! Je sais que cela n’est pas réglementaire, mais, que voulez-vous, je tenais à rassurer ma passagère ; et puis c’était elle qui payait, je n’avais rien à dire.

— C’est parfaitement juste, et vous vous êtes conduit en galant homme.

— Je suis heureux que vous m’approuviez, monsieur.

— Je vous approuve si bien, mon cher capitaine, que, s’il vous plaît d’enrôler encore quinze ou vingt matelots, honnêtes bien entendu, non seulement je n’y trouverai rien à redire, mais encore j’en serai, pour ma part, très satisfait. Mais il serait bon que cela fût fait sans bruit.

— Je vous comprends ; vous voulez dire en secret, et sans que personne s’en aperçut, n’est-ce pas ? répondit-il avec un fin sourire.

— C’est cela même, mon cher capitaine ; vous m’avez très bien compris : il faut toujours rassurer les dames, et comme, cette fois, la comtesse de Valenfleurs vous fera l’honneur de voyager avec vous, un surcroît de précautions ne saurait nuire.

— C’est vrai, je n’y avais pas songé, s’écria-t-il en riant ; c’est pour le coup que la Belle Adèle manœuvrera carrément, le diable m’emporte si on ne la prendra pas pour un bâtiment de guerre !

— Cela sera d’autant plus facile, répondit Julian en riant, que vous avez deux canons.

— Et six pierriers, mais je les cache soigneusement quand j’arrive au mouillage. Seulement, aussitôt en haute mer, je mets mon artillerie en batterie sur le pont, les sabords fermés bien entendu, et les pierriers bien enveloppés, ainsi que leurs chandeliers, dans leurs chemises de toile goudronnée.

— Allons ! je vois avec plaisir, capitaine, que vous êtes un homme prudent, et que vous connaissez votre métier.

— Je m’en flatte, monsieur. Dois-je considérer comme un ordre ce que vous m’avez fait l’honneur de me dire à propos de l’enrôlement ?

— Certes, capitaine ; et j’ajoute que je compte entièrement sur vous ; d’ailleurs, tout ce que vous ferez sera bien, je l’approuve d’avance.

— S’il en est ainsi, ne vous inquiétez de rien, vous serez content de moi.

Les deux hommes échangèrent encore quelques mots, et ils se séparèrent.

— Hum ! grommela le capitaine entre ses dents lorsque Julian l’eût quitté, il se méfie de quelque coup de Jarnac, c’est sur ; enfin cela ne me regarde pas ; il est le maître puisqu’il paie ; moi je n’ai qu’à obéir.

Un peu avant dix heures du matin, la caravane atteignit le rendez-vous général ; les Coureurs des Bois et les Peaux-Rouges accueillirent leurs invités par une brillante fantasia et de joyeuses acclamations.

En un clin-d’œil, les peones dressèrent les tentes, construisirent des jacals élégants pour les dames, et déchargèrent les mules et les wagons.

En moins d’une demi-heure, car les bras ne manquaient pas, un véritable camp fut improvisé ; les chevaux baignés, bouchonnés et attachés aux piquets, reçurent leur provende.

Après un déjeuner magnifique, les voyageurs, fatigués de leur longue course à travers la savane, se retirèrent pour faire la siesta, d’autant plus que la chaleur commençait à devenir étouffante.

Vers quatre heures du soir on monta à cheval et la chasse commença.

Elle fut splendide.

Bisons, asshathas, antilopes, élans, opossums, renards, de longue main détournés galamment par les Coureurs des Bois et les Comanches, tombèrent en foule sous les coups des chasseurs.

Plusieurs ours noirs et bruns furent tués.

Julian fut proclamé roi de la chasse.

Cinq ours gris, surpris isolement, furent forcés et tués ; Julian en tira deux, Bernardo un.

Les deux autres furent abattus à balle franche par la Main-Ferme et Belhumeur.

Le lendemain, on fit une chasse aux jaguars. Trente-sept de ces terribles animaux furent tués.

Les dames se distinguèrent par leur courage. Elles chargeaient bravement ces redoutables félins, sans se soucier du danger.

Les chasseurs eurent même fort à faire à les protéger, tant leur ardeur était grande.

Grâce à Dieu, on n’eut a déplorer aucun accident facheux.

Ces grandes chasses se continuèrent ainsi pendant huit jours.

Le neuvième, don Cristoval de Cardenas établit sur place un marché pour l’échange des fourrures, et il acheta pour son compte, au triple de leur valeur, toutes celles des animaux abattus pendant ces huit jours de chasse.

Cette généreuse gracieuseté du riche haciendero combla de joie les Coureurs des Bois et les Peaux-Rouges, peu accoutumés à traiter dans de si bonnes conditions avec les trafiquants dans les comptoirs établis sur la limite des établissements pour l’échange des fourrures.

Les fourrures furent emballées.

Puis, après avoir distribué de riches présents à ses hôtes, don Cristoval de Cardenas prit congé d’eux.

La séparation fut excessivement cordiale.

Les Coureurs des Bois et les Peaux-Rouges, pour faire honneur à leurs visiteurs, les accompagnèrent jusqu’en vue de l’hacienda, et, après une fantasia splendide, ils prirent définitivement congé et retournèrent sur le Gila, tandis que don Cristoval de Cardenas et ses amis rentraient à la Florida.

Les invités de l’haciendero se retirèrent à leur tour, et retournèrent chez eux, enthousiasmés de l’accueil qu’ils avaient reçu à la Florida.

Avant leur départ, don Cristoval leur avait distribué toutes les fourrures qu’il avait achetées sur le Gila.

On ne pouvait faire plus grandement les choses.

Après avoir pris quelques jours d’un repos indispensable, les nouveaux mariés firent leurs visites de noces dans toutes les haciendas voisines, ou de nouvelles fêtes eurent lieu en leur honneur. Ces visites se prolongèrent beaucoup plus longtemps que Julian ne l’avait supposé.

Elles durèrent un mois tout entier.

Pendant l’absence des nouveaux mariés, le capitaine Édouard Petit, après un long et secret entretien avec don Cristoval, était parti pour Guaymas, laissant à l’adresse de Julian une lettre, dans laquelle il l’informait de son départ, lui disait que ses ordres seraient ponctuellement exécutés, et qu’il se tiendrait prêt à mettre immédiatement sous voiles aussitôt qu’il arriverait.

On remarqua que le digne capitaine, qui était arrivé à l’hacienda avec ses marins, ne portant qu’une maigre valise contenant quelques vêtements de rechange seulement et attachée derrière sa selle, était reparti emmenant avec lui plusieurs mules pesamment chargées et une nombreuse escorte de vaqueros bien armés.

Mais les habitants de l’hacienda, fort peu curieux de leur nature, ne firent aucun commentaire à ce sujet.

D’ailleurs, ce n’était pas leur affaire, mais celle de leur maître, qui probablement avait profité du départ du brave capitaine pour expédier une conducta de marchandises précieuses à Urès, ainsi qu’il le faisait en temps ordinaire tous les deux ou trois mois.

Julian, ses visites terminées, revint à l’hacienda.

Sur les instances de don Cristoval, il consentit à séjourner à la Florida encore pendant quinze jours ou trois semaines.

Du reste, ce laps de temps était presque nécessaire pour terminer les préparatifs du long voyage qu’il allait faire.

Julian et son ami étaient loin d’être riches.

Ils possédaient ou croyaient posséder à peine entre eux deux une centaine de mille piastres, placées à Hermosillo, dans la maison Scrub and C°.

Cela leur faisait environ une douzaine de mille livres de rente à chacun d’eux, fortune assez modeste, mais que Julian, pour sa part, pouvait plus que doubler, grâce à la fortune de son père.

D’ailleurs, il était jeune, instruit, courageux, il travaillerait.

Pour rendre sa chère Denizà heureuse, il se sentait capable de faire des miracles et même de soulever le monde.

Doña Luisa, avec cette grâce que possèdent si bien les femmes et qui les empêche d’essuyer un refus, offrit à Denizà et à la comtesse de Valenfleurs, à chacune une rivière en diamants, les bracelets et les pendants d’oreilles pareilles, le tout d’un prix fou, et à titre de souvenir.

L’haciendero était tellement riche, que c’eût été le blesser que de ne pas accepter.

Doña Luisa fit aussi de magnifiques cadeaux à la gentille Mariette, l’amie si dévouée de Denizà, et d’autres de moindre importance, mais cependant d’une valeur considérable à Clairette, la camériste de confiance de la comtesse.

Quant à don Cristoval de Cardenas, il connaissait trop bien les deux chasseurs, pour se hasarder à leur offrir quoi que ce fût.

Il savait que Julian et Bernardo n’accepteraient rien.

Mais le digne haciendero avait son idée, comme nous le verrons plus tard, et ses mesures furent prises en conséquence.

Il se borna à offrir aux deux amis, ce qu’ils ne pouvaient refuser parce que c’était, disait-il, un cadeau sans importance, et seulement à titre de souvenir, une centaine de boîtes de cigares, regalias authentiques, venus directement de la Havane, et que, pendant leur long séjour à l’hacienda, les deux amis avaient semblé apprécier beaucoup.

Ce fut tout, et chacun se trouva ainsi satisfait.

Seulement, l’haciendero riait sous cape, sans que ses deux amis s’en doutassent le moins du monde.

Cependant, une lettre reçue à l’improviste par la comtesse de Valenfleurs vint au dernier moment modifier les condition du voyage projeté.

Des affaires importantes, et exigeant sa présence, l’obligeaient à retourner au Canada.

Seulement, elle insista pour accompagner ses amis jusqu’à Urès, où le docteur se rendait, et que ses enfants tenaient à conduire jusque-là, d’abord afin de rester plus longtemps avec lui, et ensuite pour saluer une dernière fois le général X…, auquel ils avaient de si grandes obligations.

Enfin le jour du départ arriva.

Les deux dames éprouvaient un vif chagrin de se séparer de Doña Luisa, qu’elles avaient prise en vive affection.

Elles avaient reçu une si charmante hospitalité dans cette excellente famille, que la pensée de la quitter leur causait un véritable déchirement de cœur.

Julian et Bernardo, étaient, eux aussi, émus et chagrins.

Ils avaient une profonde amitié pour don Cristoval, qu’ils n’espéraient plus revoir ; et puis, au fond de leur cœur, ce n’était pas sans une amère tristesse que leurs regards erraient sur ces majestueuses prairies et ces mystérieuses contrées qu’ils avaient parcourues pendant de si longues années ; où ils avaient tant souffert, et aussi eu tant de jours heureux ; où ils avaient vécu libres enfin ! sans entraves d’aucune sorte !

La pensée de rentrer dans la vie civilisée les effrayait malgré eux.

Ils redoutaient les exigences de cette existence étriquée, méthodique et monotone, à laquelle ils allaient être condamnés à se soumettre.

Mais ces regrets venaient trop tard, comme toujours.

Le sort en était jeté !

D’ailleurs, Denizà n’aurait pu s’accoutumer aux émouvantes péripéties de cette vie de luttes et de combats.

Son existence, malgré l’amour de son mari, n’aurait été qu’un long supplice.

Il fallait se résigner et dire un éternel adieu aux savanes et aux forêts vierges.

Les deux hommes le comprirent ; et sans hésitation comme sans faiblesse, ils prirent leur parti.

À tout prix il fallait que Denizà fût heureuse.

Les adieux furent longs et pénibles : on se quittait, on revenait et l’on ne pouvait se décider…

Enfin Julian saisit la bride de son cheval et embrassant don Cristoval, lui dit avec émotion :

— Allons ! soyons hommes : adieu, mon excellent ami,

— Non pas adieu, mais au revoir, cher don Julian, répondit don Cristoval en souriant ; je compte aller bientôt visiter cette France dont j’entends raconter sans cesse tant de merveilles, et j’y séjournerai pendant quelque temps.

— Dites-vous vrai ! s’écria vivement Julian ; me le promettez-vous sérieusement ?

— Sur l’honneur ! oui, mon ami ; peut-être ferai-je ce voyage plus tôt que vous ne le supposez.

— Bien ! alors je puis y compter !

— Je vous ai donné ma parole ; vous me rendrez à Paris l’hospitalité que j’ai été si heureux de vous offrir dans l’Arizona.

— Pas aussi somptueuse, mon ami, dit Julian gaiement, mais de tout cœur.

Les dernières paroles de l’haciendero, en faisant espérer une réunion prochaine et surtout certaine, dissipa en grande partie la tristesse des premiers adieux : on s’embrassa et on se pressa les mains une dernière fois, et à un signal donné par Julian on monta à cheval.

— Au revoir donc, mon ami, dit le chasseur ; je vous attends ; vous serez le bien venu et le bien reçu ; mais, je vous le répète, ne comptez pas sur une hospitalité comparable à celle que vous m’avez offerte.

— Bah ! qui sait ? dit l’haciendero avec un sourire énigmatique, en lui serrant une dernière fois la main.

On partit.

Le voyage se fit à petites journées.

Rien ne pressait les voyageurs, et, grâce à la nombreuse escorte du docteur, ils n’avaient à redouter aucun danger.

Julian et Denizà parlaient d’amour, la comtesse de Valenfleurs et le docteur causaient de leur retour en France, où ils avaient hâte de revenir, et qu’ils presseraient le plus possible.

Rien ne les retenait plus en Amérique.

Bernardo s’était fait le chevalier servant de Mariette, vers laquelle il se sentait irrésistiblement attiré.

Clairette jouait avec Vanda, placée à califourchon devant elle.

Quant à Armnnd de Valenfleurs, il servait d’éclaireur à la petite troupe en compagnie de son brave chien Dardar.

Tous nos personnages, y compris Charbonneau et les trois batteurs d’estrade comanches, étaient trop sérieusement occupés d’eux-mêmes, pour s’apercevoir de la longueur de la route. Aussi arrivèrent-ils presque sans s’en apercevoir à Urès, où ils entrèrent douze jours après avoir quitté l’hacienda, vers quatre heures de l’après-dîner.

Le docteur installa toute la caravane dans une immense maison qui lui avait été assignée comme logement, et où ils se trouvèrent parfaitement à l’aise.

Puis, laissant les voyageurs s’arranger comme ils l’entendraient, il alla se présenter au général X… et lui faire sa visite d’arrivée.

Le général le reçut fort bien, et, apprenant quelles étaient les personnes qui l’accompagnaient, il écrivit un mot en toute hâte, et il le fit porter immédiatement à Julian par le capitaine de Fontaine-Mareuil.

C’était une invitation à dîner pour le soir même, adressée aux deux dames et aux deux chasseurs.

Le capitaine avait l’ordre d’insister et de ne pas admettre d’excuses, qu’elles quelles fussent.

Julian reçut fort bien le capitaine de Fontaine-Mareuil, lui serra chaleureusement la main, l’assura que son ami et lui se préparaient à aller présenter leurs respects au général X…, qu’il était désespéré d’avoir été prévenu par le général, mais qu’il aurait l’honneur de se rendre à sa gracieuse invitation, et qu’il allait immédiatement faire avertir les dames, qui certainement seraient charmées de l’accompagner.

Le capitaine de Fontaine-Mareuil se retira alors pour aller rendre compte au général du succès de sa mission.

Le général X… accueillit ses visiteurs avec cette rondeur toute remplie de bonhomie qui le rendait si gracieusement aimable quand il voulait s’en donner la peine.

Le dîner fut fort gai.

Le général s’informa de ce qui s’était passé à l’hacienda.

Il avait bien entendu parler de l’attaque des bandits contre l’hacienda de la Florida, dit-il, mais tous les rapports qu’il avait reçus étaient si contradictoires et si embrouillés que la vérité ne s’y laissait nullement deviner.

Julian raconta alors, à la prière de tous les convives, les faits tels qu’ils s’étaient véritablement passés.

Ce récit imagé, fait de verve par le chasseur, intéressa vivement le général.

L’épisode du bal continuant au milieu de la fusillade l’enthousiasma véritablement.

— Bravo ! s’écria-t-il ; quoi qu’on en dise, les femmes seront toujours plus franchement braves que nous autres hommes ! C’est de l’héroïsme cela, mesdames, et je vous remercie au nom de la France.

— Nous acceptons votre compliment, général, car, venant de vous, il doit être vrai ; mieux que personne vous vous y connaissez, dit la comtesse de Valenfleurs, en s’inclinant avec un gracieux sourire.

Un murmure flatteur accueillit ces paroles prononcées par la comtesse.

— Du champagne ! Ce n’est qu’avec du vin de France que je veux porter un toast à nos belles compatriotes. Remplissez vos verres, messieurs, reprit le général ; je bois aux héroïnes de la Florida !

Ce toast fut chaleureusement acclamé par les convives.

— Messieurs, dit Denizà lorsque l’émotion se fut à peu près calmée, nous qui représentons ici les dames de la Florida, nous vous demandons de boire au général et à l’armée française !

Ce second toast fut accueilli par une véritable tempête d’applaudissements.

La joie était à son comble.

— Pardieu ! monsieur d’Hérigoyen, dit le général en riant, je vous déclare que votre femme est charmante, et que je l’aime à la folie ; aussi, prenez bien garde de ne pas la rendre heureuse, car je me déclare ici son chevalier, et je la défendrai même contre vous. Et maintenant, Monsieur Julien d’Hérigoyen, ajouta le général avec un charmant sourire, permettez-moi de vous dire que tout ce que vous m’avez raconté je le savais beaucoup mieux que vous ; car vous avez passé avec une modestie beaucoup trop grande sur ce que vous avez fait personnellement, ainsi que votre ami, dans ce combat homérique ; je tenais à l’entendre raconter par vous-même. J’ajouterai que j’attendais avec impatience votre arrivée à Urès pour vous témoigner la haute estime que j’ai pour votre beau caractère et vous prouver que je n’ai rien oublié, ajouta-t-il en appuyant sur ces derniers mots.

— Général ! c’est trop, je ne sais comment… murmura Julian.

— Pardon, monsieur, vous et votre ami vous avez été méconnus ; je n’insisterai pas sur ce point, vous me comprenez ; vous aviez droit à une réparation pour tout ce que vous avez injustement souffert : cette réparation, vous m’avez procuré l’occasion de vous la faire obtenir éclatante, sans vous engager autrement que vous l’êtes envers le gouvernement ; sur le rapport que j’ai adressé au maréchal commandant en chef, à propos de ce qui s’est passé à l’hacienda de la Florida, et l’immense service que vous avez rendu au Mexique en anéantissent la cuadrilla la plus redoutée de toutes les frontières ; vous, Monsieur Julian d’Hérigoyen, votre ami, M. Bernardo Zumeta, et Monsieur Cristoval de Cardenas, vous avez été tous nommés chevaliers de la Légion d’honneur ; votre ami don Cristoval doit avoir reçu déjà son brevet ; quant à vous, messieurs, voici les vôtres, veuillez accepter chacun cette croix et me faire le plaisir de recevoir l’accolade, que je tiens à honneur de vous donner, non seulement parce que vous êtes des hommes braves et honnêtes, mais surtout parce que vous avez dignement porté et fait respecter votre qualité de Français.

Cette péripétie singulière et ignorée de tous, car le général avait religieusement gardé le secret de l’acte de réparation auquel il s’était employé, sans révéler le passé des deux hommes, porta presque jusqu’au délire la joie de tous les convives.

Julian et Bernardo ne pouvaient refuser, ils avaient noblement gagné cette récompense, sans arrière-pensée, ils y avaient un droit incontestable.

Ils acceptèrent donc avec une vive satisfaction, et ce fut la joie au cœur qu’ils reçurent l’accolade du général et des autres officiers présents.

Les huit jours que les chasseurs restèrent a Urès furent huit jours de fête, qui passèrent avec une rapidité véritablement vertigineuse.

On les invitait de tous les côtés, ils ne savaient plus à qui entendre.

Mais Denizà avait hâte de retourner en France ; le jour du départ fut définitivement fixé entre elle et son mari.

Alors il arriva que la comtesse de Valenfleurs et le docteur n’eurent pas le courage de les laisser aller seuls, Julian et surtout sa charmante femme, jusqu’à Guaymas, quand il leur était facile de passer peut-être quinze jours encore avec eux.

Ils décidèrent donc de ne quitter les chasseurs et la jeune femme que lorsque ceux-ci seraient définitivement embarqués.

Il va sans dire que cette décision combla de joie les voyageurs.

Julian, Denizà et Bernardo firent alors leurs visites d’adieu aux nombreux amis qu’ils s’étaient déjà faits à Urès.

Leur première visite fut, naturellement, pour le général X… envers lequel ils éprouvaient une réelle gratitude, pour ce qu’il avait fait pour eux.

Puis on se mit en route pour Guaymas, en passant par Hermosillo.

Malgré l’heure matinale choisie pour leur départ, cinq heures du matin, une heure avant le jour, les voyageurs furent accompagnés jusqu’à quatre lieues au moins de la ville d’Urès, par au moins une quarantaine d’officiers de tous grades qui se firent un plaisir de les escorter, et de leur faire ce que l’on nomme en style militaire la conduite, et leur prouver ainsi leur sympathie.

Comme dans le précédent trajet, les voyageurs n’étant nullement pressés de se séparer les uns des autres, ils marchèrent lentement et à petites journées, s’arrêtant le matin quand la chaleur devenait insupportable, et campant pour la nuit dans les endroits où les surprenait le coucher du soleil, ce qui pour eux était d’une médiocre importance, car ils étaient amplement fournis de tentes, de hamacs, de couvertures, de zarapés, etc., etc., enfin tous les objets indispensables pour ne souffrir ni du froid, ni des orages si fréquents et si terribles dans ces contrées presque intertropicales.

Leur voyage se continua ainsi dans d’excellentes conditions, jusqu’aux environs d’Hermosillo, quand à deux ou trois lieues de cette ville, après avoir passé le carrefour où les deux routes d’Urès et de Sonora se séparent en bifurquant l’une à droite et l’autre à gauche de la route de Hermosillo, il y eut un incident de peu d’importance en apparence, qui passa même presque inaperçu des voyageurs, mais que cependant nous devons noter.

Au moment où la petite caravane dépassait la route de Sonora, au tournant du chemin, elle vit à une vingtaine de pas devant elle et venant d’Hermosillo, une litière conduite par deux mules richement harnachées et attelées une devant et l’autre derrière, à la mode sonorienne,

Cette litière était hermétiquement fermée par d’épais rideaux, elle marchait très lentement.

Cinq hommes bien armés et portant le costume mexicain des rancheros du Bajios marchaient un peu en avant.

Un cinquième, vêtu en matelot du commerce et dont le visage disparaissait presque entièrement sous les larges ailes de son chapeau de paille de Guyaquil, se tenait au côté droit et tout près de la litière.

Au moment où les deux troupes allaient se croiser et passer presque à se toucher l’une près de l’autre, le matelot se pencha vers la litière et dit rapidement quelques mots à voix basse.

Les rideaux de la litière eurent subitement un léger frémissement, puis ils coururent brusquement sur leurs tringles et s’écartèrent sous la pression d’une main convulsive.

Alors un visage hâve, maigre, pâle, aux traits convulsés par une émotion poignante à peine contenue, et dont les yeux vagues semblaient ne plus avoir de regard, se pencha avidement au dehors.

Cet homme, ou plutôt ce squelette, n’ayant plus qu’un souffle de vie, c’était le Mayor.

Julian ne s’était pas trompé.

Ce misérable, une fois encore, avait échappé à la mort par le dévouement de doña Luz, qui, deux jours avant l’attaque de l’hacienda, était arrivée à son camp, rappelée par lui en toute hâte : son expédition terminée, il voulait fuir, ainsi que nous l’avons dit, mais en emmenant la jeune femme avec lui, car il l’aimait comme aux premiers jours de leur union.

Lorsqu’il avait marché contre la Florida, doña Luz voulut le suivre ; seulement, à une courte distance de l’hacienda, voulant la préserver de tous dangers, le Mayor l’obligea à se cacher dans un épais fourré où il la laissa sous la garde de cinq aventuriers sur lesquels il savait pouvoir compter.

Le combat terminé, doña Luz, ne pouvant résister à l’inquiétude qu’elle éprouvait, envoya un des aventuriers à la découverte.

Celui-ci revint presque aussitôt, et lui révéla l’affreuse vérité.

Doña Luz, certaine que les Coureurs des bois, les vaqueros et les Comanches s’étaient retirés, avait juré de sauver son mari.

Seul l’amour pouvait accomplir un tel miracle et inspirer un si grand dévouement.

Quittant son abri provisoire, elle se rendit résolument sur le champ de bataille, suivie par les cinq aventuriers qui, saisis d’admiration pour un si grand courage, eurent honte de l’abandonner.

La jeune femme, sans frémir à la vue horrible de tant de cadavres amoncelés, rendus hideux par les dernières affres de la mort, chercha, froide et résolue, le corps du Mayor.

Elle l’eut bientôt retrouvé.

Elle le releva froid, immobile, presque exsangue, du monceau de cadavres où il gisait ; aidée par les aventuriers, elle le transporta au prix de fatigues inouïes dans la grotte de la Cascade.

Là, pendant plus d’un mois, le Mayor était resté entre la vie et la mort.

Mais doña Luz, grâce a son dévouement que rien ne rebutait, avait enfin réussi à galvaniser ce cadavre, à le ressusciter pour ainsi dire ; puis quand elle l’avait cru assez fort pour supporter les fatigues du voyage, elle l’avait installé dans une litière qu’elle était parvenue à se procurer, et s’était rendue à Hermosillo, où elle l’avait installé dans sa famille, où tous les soins lui furent donnés.

Ce fut à Hermosillo que le hasard amena une rencontre entre Joan, le matelot déserteur de la Belle-Adèle, et le Mayor.

Joan était un bandit qui avait tout à redouter de la justice française ; il ne s’était enrôlé avec le capitaine E. Petit que pour échapper aux recherches dirigées contre lui, et avec l’intention de déserter dans le premier port de l’Amérique où toucherait le navire.

Dans sa rencontre fortuite avec Sebastian, celui-ci avait été beaucoup plus explicite avec lui qu’il ne l’avait rapporté au Mayor.

Voyant à quel homme il avait affaire, il ne lui avait rien caché.

Il avait été jusqu’à lui donner un signe de reconnaissance pour que, après avoir déserté, il put facilement le retrouver.

Ce fut en se présentant chez le père de doña Luz, qui était parfaitement au courant des affaires de son gendre, et qui, y trouvant son profit, lui servait à la fois d’espion, de banquier, et même d’embaucheur au besoin, pour lui recruter des hommes comme il lui en fallait, ce qui n’était pas difficile ; ce fut donc en se présentant chez cet honorable banquier que Joan fut mis presque aussitôt en rapport avec le Mayor, arrivé depuis quinze jours déjà à Hermosillo.

Le Mayor, surpris de cette rencontre imprévue, à laquelle il était si loin de s’attendre, attacha immédiatement Joan à son service particulier, ce qui fit grand plaisir au matelot qui crut déjà sa fortune faite.

Mais le blessé ne se remettait qu’avec une lenteur désespérante.

Les médecins à bout de science et ne sachant plus quel remède lui administrer, ne trouvèrent rien de mieux que de lui conseiller de quitter la ville d’Hermosillo, où, prétendirent-ils, l’air était encore trop vif pour ses poumons, dans l’état où ils se trouvaient, et ils lui conseillèrent de se rendre à Sonora, où ils étaient certains qu’il se guérirait promptement.

Doña Luz était partie aussitôt pour Sonore afin de tout préparer pour le recevoir ; et, le lendemain, le Mayor s’était mis en route à son tour dans sa litière.

Ce qui amena l’incident dont nous avons parlé plus haut.

— Regardez, Mayor ! dit le matelot.

La petite troupe passait en ce moment.

Le Mayor regarda.

Tout à coup, son visage rougit jusqu’aux tempes ; les veines de son front se gonflèrent à se rompre ; son regard s’anima et lança des éclairs.

Ses traits prirent subitement une expression de haine implacable.

Il poussa un rugissement de tigre aux abois et retomba en arrière, presque sans connaissance.

Ce cri fut entendu par les voyageurs.

Ils tournèrent machinalement la tête.

Mais les rideaux de la litière étaient refermés.

Ils ne virent rien et passèrent sans attacher d’importance au cri sauvage qu’ils avaient entendu.

Derrière eux, les rideaux s’ouvrirent de nouveau, et la tête du Mayor reparut, poursuivant d’un regard de vipère les voyageurs, qui disparaissaient alors au tournant du chemin.

— Eh bien, demanda le matelot avec un sourire goguenard, vous l’avez vu, Mayor ; qu’en pensez-vous ? Ai-je menti à Sebastian ?

— C’est elle ! murmura le Mayor d’une voix creuse ; je suis maudit ! Elle n’est pas morte. Oh ! comment a-t-elle pu survivre ?

— Ainsi, j’avais raison ! reprit le matelot impassible.

— Oui, c’est bien elle ! Elle me vole mon enfant, ma pauvre chère petite Vanda ! ajouta-t-il les yeux pleins de larmes. Oh ! reprit-il après un court silence, d’une voix convulsive, je veux savoir où elle va. Il faut que je la retrouve ; un de nous deux est de trop sur la terre…

— Calmez-vous, Mayor, cette émotion vous fait mal. Dès que je vous aurai conduit à Sonora, je reviendrai ici, je me charge de tout savoir ; et si ce n’est à Hermosillo, je m’informerai à Guaymas, à mes anciens camarades de la Belle-Adèle : ils me renseigneront, eux.

— Ils ne pourront rien te dire, ils ne la connaissent pas.

— Bah ! il ne faut jurer de rien, j’ai reconnu près d’elle notre ancienne passagère, mademoiselle Denizà ; elles causaient toutes deux. Je ne sais pourquoi je me figure qu’elles sont amies et vont s’embarquer ensemble à Guaymas pour retourner en France.

— Le crois-tu ?

— Je le suppose ; sans cela que viendraient-elles faire ici ?

— C’est vrai, murmura le Mayor.

— Je m’informerai ; et si je ne découvre pas la vérité, dites que je suis un idiot.

— Écoute, tu aimes l’argent ?

— Beaucoup, Mayor ; mais j’ai surtout un faible irrésistible pour l’or, répondit-il avec un rire narquois.

— C’est bien ; si tu découvres ce qu’elle vient faire ici et où elle va, je te donnerai cent onces.

— D’or ?

— Oui, murmura le Mayor d’une voix presque indistincte.

Et il retomba anéanti au fond de la litière.

— Caraï ! s’écria le matelot avec joie, cent onces d’or ! Je réussirai ou je perdrai mon nom.

Mais cet aimable Joan avait compté sans son hôte.

Lorsqu’il revint à Hermosillo, les voyageurs avaient depuis deux jours quitté la ville.

Il se rendit sans perdre une seconde à Guaymas ; l’avarice lui donnait des ailes.

Mais là une dernière et foudroyante déception l’attendait.

Depuis la veille la Belle-Adèle avait mis sous voiles et avait disparu en haute mer.

Dans le premier moment Joan fut atterré ; mais il reprit presqu’aussitot son sang-froid et sa liberté d’esprit.

C’était un garçon d’esprit et rempli de ressources.

Il retourna à Sonora, où il trouva le Mayor presque complètement guéri.

— As-tu réussi ? lui demanda le Mayor aussitôt qu’il l’aperçut.

— Parbleu ! répondit effrontément Jean, j’avais raison : les deux dames se sont embarquées pour le Havre à bord de la Belle-Adèle. Je suis resté à Guaymas tout exprès pour voir partir le navire et avoir la certitude que la personne que vous savez ne redescendrait pas à terre.

— C’est aussi ce que je supposais, répondit le Mayor ; voilà tes cent onces.

Nous avons mentionné ce dernier incident, parce que ce mensonge audacieux eut pour l’effronté Joan des conséquences dont celui-ci était bien loin de se douter, ainsi que bientôt le verra le lecteur.