Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 23-26).

VII

Danger

Quand soudain…

Ah ! on peut dire que la vie d’une dactylo dans l’industrie des oranges artificielles est pleine de surprises et de dangers, car le secrétaire du patron entra.

C’était un blond incontestable, tirant sur la couleur du beurre d’Isigny, et qui portait très haut une tête vague et myope de vieux perroquet mondain.

Il s’arrêta dès le seuil, puis regarda tout sans qu’on le vit.

Il admirait cet emmêlement de jambes et de bras, cette violence facile, et à laquelle la victime n’offrait que des résistances de simple littérature, les aperçus charnels qui se manifestaient, et même des détails nettement attentatoires aux mœurs.

C’est à ce moment qu’il intervint d’un seul mot :

— Adolphe !

C’était le nom de l’employé.

Surpris et terrifié, l’individu qui allait faire subir à Margot complaisante, tout un lot de surprises et d’outrages peut-être inédits, se releva et se mit soudain au port d’armes.

Et Margot, ahurie, resta sur le tapis, dans une tenue qui ne laissait aucun doute sur son absence de vergogne.

Sa culotte, au surplus, se tenait au beau milieu de la pièce en un tout petit tas rose.

— Adolphe, reprit le secrétaire en premier, que faisiez-vous donc quand je suis entré ?

Cette question ridicule, ne comportait aucune réponse, vu que le questionnant la savait bien, mais il agissait selon une vieille tradition, qui consiste à faire avouer aux coupables avant de sévir.

Et l’autre bafouilla :

— Monsieur, je… je…

— Oui ! vous étiez en train d’agir comme font, paraît-il les sauvages en guerre, lorsqu’ils conquièrent un village…

— Monsieur, je… je…

— Assez, vous aggravez votre cas.

Mais Margot, devant cette série de discours muets ou trop pompiers, éclata de rire.

Alors le premier secrétaire fit, avec un geste hautain :

— Ne recommencez pas !

Il montrait la porte à l’employé d’un geste de théâtre. Aussi, fort heureux de s’en tirer à si bon compte, l’autre s’esquiva-t-il rapidement.

Margot se relevait et abaissait sur ses jambes son amour de jupe, qui était un modèle de la maison Patou, copié avec l’art que mettent les Parisiennes dans le pastiche…

Un pastiche qui, d’ailleurs, vaut assez souvent mieux que tous les originaux.

Alors, le secrétaire, lorsque la porte fut refermée sur le coupable, regarda rapidement sa montre et calcula :

— Le singe ne va pas arriver avant un quart d’heure, j’ai le temps de mener à bien les opérations stratégiques de séduction avec cette belle enfant.

Le secrétaire était plein d’ardeur (page 29).

Et il dit :

— Entrez, ici, mademoiselle, car je ne pensais pas que vous fussiez si indécente et je ne sais si on vous gardera.

Margot sentit, à l’idée, qu’elle pourrait recevoir son congé, un frisson glacé lui parcourir les vertèbres.

Elle fit :

— Monsieur, je vous assure que…

— Assez, je vous aie vue.

— Mais, je vous dis…

— Je vous aie vue, vous ne faisiez aucune résistance à cet imbécile, que nous allons sacquer tout de suite.

Et il la regardait de ses yeux myopes, avec l’intention formelle de la faire consentir à…

Margot fit semblant de pleurer.

— Oh ! monsieur ne me chassez pas…

— Je ne sais ce que le patron va faire de vous.

— Ne lui dites pas.

— Je voudrais bien, mais…

Il se pencha, l’air dur et autoritaire :

— Venez ici !

Et elle comprit.

Aussi, bien loin d’aller se placer sur la chaise voisine de celle qu’occupait le secrétaire, alla-t-elle se mettre en hâte, sur les genoux même de l’homme, qui devint soudain écarlate et bienveillant.

Il chuchota :

— Ma petite Margot, je te jure que je dirai rien.

Elle le mettait déjà à son aise et il continua, toujours plus bas :

— Dis, tu veux bien. Oh ! je t’aime…

— Mais oui, gros bête, fit cordialement Margot, mais il faut tout de même se presser…