Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 16-19).

V

Scandale

— Quelle société ? demanda narquoisement Margot.

Et l’homme, grand comme sur des échasses, se gonfla pour dire :

— La Société contre les exhibitions lascives.

— Quoi ?

— Oui, mademoiselle, la Société contre les exhibitions lascives, qui est encouragée et subventionnée par les pouvoirs publics, et dont je suis le trésorier.

Tout le monde se tordait sur la plate-forme.

Et le géronte continua :

— J’ai même le pouvoir, comme un garde champêtre, de vous faire arrêter.

— Mademoiselle est fort correcte, dit un jeune homme à monocle que le verbiage du vieux ennuyait.

— Elle est correcte parce que vous êtes un débauché, hurla le birbe. Mais pour un homme honnête elle est impudique.

— En quoi ?

— En ce qu’elle montrait, en courant après l’autobus, ses… ses… ses…

Margot se sentit rougir. Elle aimait l’amour, et même les hommes, mais il lui était désagréable de se voir jugée en public comme une fille de mauvaise vie, qui fait voir sans pudeur le plus secret de ses agréments.

Aussi répondit-elle :

— Vous mentez, monsieur, je suis incapable…

Margot commença sa petite opération (page 21).

— Ah ! je mens, aboya l’autre, eh bien, regardez…

Et il souleva la jupe de Margot.

— Oh honte ! oh scandale ! sa culotte était déchirée…

De telle sorte que l’on voyait la chair à travers une large fente.

Et tout le monde opina sur cet événement selon son tempérament.

Une jeune femme, qui écoutait tout en souriant, sentit soudain l’indignation la posséder et elle fit :

— C’est de l’obscénité !

Un homme, aux trois quarts gâteux, qui ouvrit des yeux grands comme des soucoupes, en perdit le peu de parole qui lui restait, et murmura :

— Ah… aoua… aoua…

Une dame, d’un certain âge, fort fardée, mais portant une voilette, grogna avec un regard rapide vers Margot :

— Pouah ! où se parfume-t-elle ?

Mais, en face du parti hostile, se révéla soudain un parti ami.

Il était constitué par le jeune homme au monocle et un autre, qui portait des lunettes, par une jeune dame aimable et pleine de sourires accueillants, par enfin un gaillard robuste et mélancolique, qui prit la parole :

— Si cette jeune fille vous gêne dit-il au vénérable personnage qui gémissait devant l’étalage des intimités de Margot, vous n’avez qu’à descendre.

— Je suis chez moi.

— Nous aussi, répondit le monoclé. Et nous sommes même les plus forts, de telle sorte que si vous continuez à nous raser avec votre boucan, nous allons vous débarquer sans plus de façons.

Mais le vieux tenait toujours levée la jupe de Margot, et il désignait d’un index vengeur ce qu’on voyait d’une peau crémeuse et douce, certainement, au toucher, puis l parla d’une voix de tonnerre :

— Voilà donc ce qu’on voit de nos jours… Voilà le monde moderne… Des audacieux osent défendre une fille qui montre cela…

— Elle ne le montrerait pas si vous laissiez tomber sa robe, répondit le personnage à lunettes.

— Elle le montrait en courant pour rattraper l’autobus.

— Eh bien, attendez, pour revoir ce spectacle, qu’elle courre après une autre voiture, et fichez-nous la paix.

Mais Margot, désespérée, comme l’autobus ralentissait, sauta à bas en hâte, la figure écarlate et rongée de remords.

Car c’était ce petit imbécile de fils de Mme Concierge qui, très certainement, était le coupable. Il n’avait jamais pris de leçons pour explorer les intimités féminines. Il s’était précipité sur les lingeries de Margot comme une chignole dans un bout de bois blanc.

Et il en était résulté un accroc irréparable.

Mais Margot se disait aussi :

— Bah ! qu’est-ce que cela fait, on va s’amuser tout à l’heure.

Car elle se souvenait de sa promesse de trouver de l’amour, beaucoup d’amour, et tout de suite.

Et son aventure était loin de la décourager…