Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 12-15).

IV

En autobus

À peine vêtue, quoiqu’elle l’eût fait avec un soin prévoyant, Margot sentit une hâte d’aller dans la rue essayer ses charmes, la posséder nerveusement. Elle dévora le fond d’une boîte de gâteaux, en guise de petit déjeuner. Elle chantait aussi sur un air nouveau : Je suis à toi… qui, pour l’heure, lui semblait le chef-d’œuvre de toutes les littératures, puis elle s’examina encore d’un regard et descendit.

Comme elle passait devant la loge de sa concierge, elle vit en sortir le fils de cette estimable surveillante de l’immeuble, qui lui dit :

— Mademoiselle Margot, il y a quelque chose pour vous.

C’était un jeune homme assez gracieux, d’une couleur de cheveux un peu incertaine, mais en somme qu’on pouvait dire blonde en clignant des yeux…

Margot le suivit dans la loge, où il fit semblant de fourgonner dans les lettres arrivées un moment plus tôt, et non triées. Puis il se tourna vers la belle secrétaire du marchand d’oranges en faïence, pour dire :

— Comme vous êtes jolie, mademoiselle, ce matin.

— Vous trouvez ?

— Et comment. Tenez, vous me faites un effet.

Elle dit, en riant joyeusement :

— Il faut laisser l’effet se faire.

— Je ne demande que ça, fit l’autre, qui s’élança sur Margot et la saisit par ses appas les plus provocants…

— Hé là ! fit-elle en se défendant assez mal, mais juste assez pour sembler victime, chose à laquelle les femmes tiennent toujours, on se demande pourquoi.

Et elle se laissa pousser sur un canapé boiteux, d’un rouge blanchi sous le harnois, qui se trouvait là juste à point. Puis elle répéta sans y croire :

— Voulez-vous me laisser, petit libertin ?

Lui ne disait rien, trop occupé à recenser les grâces de cette jeune fille qui lui promettait, par sa défense médiocre et déjà abandonnée, des délices importantes, variées et aiguës.

Hélas ! le malheur vint.

Le malheur, représenté par Mme Concierge elle-même, qui entra le balai au poing, comme une épée de chevalier.

Et elle surgit juste comme sa progéniture posait sur une chair tiède et propre à mille emplois galants, une main pleine de fièvre et d’ardeur.

Et Mme Concierge cria :

— Hé !…

C’était, chez elle, le signe de l’indignation.

Margot comprit que les choses se gâtaient et que sa première expérience, quoique insuffisante, devait être tenue pour terminée, d’ailleurs assez mal.

Elle se releva et se précipita vers la porte, d’un pas rapide qui ressemblait plutôt à un départ de course.

Et elle sortit de la loge enveloppée de malédictions dont nous épargnerons, à nos chastes lecteurs le détail, encore que l’argot le plus moderne s’y mélangeait à des formules antiques, mais qui en perdaient pour si peu rien de leur puissance évocatrice.

Et Margot pestait en fuyant :

— Quelle vieille taupe ! disait-elle.

Et, en sa pensée, se formulait ce regret :

— Si j’avais aidé le petit, au lieu de me débattre et de le laisser se débrouiller tout seul, on aurait peut-être eu le temps de réaliser… quelque chose.

Or, Margot n’était pas contente.

À ce moment passait un autobus, elle courut après, le rattrapa et y monta sans faire attention que sa jupe déjà courte et relevée depuis les galantes investigations du jeune fils de Mme Concierge, révélait un peu plus de ses formes qu’il n’est décent de le faire.

Du moins jusqu’à ce que le nudisme triomphe chez nous.

Mais un vieux monsieur, qui allait à la Bourse et n’aurait pas voulu, pour toutes les joies du paradis, manquer à la perte de son argent, se sentit impuissant à séduire cette enfant puisqu’il lui fallait être ailleurs dans l’heure suivante.

Et, par suite, il s’indigna.

Il dit à Margot :

— Petite dévergondée, qu’est-ce que vous montrez-là ?

— Quoi ? fit-elle.

Car elle ne comprenait rien à l’intervention du macrobite, qui écumait comme un singe mangeant un bout de savon.

— Vous êtes une libertine, reprit l’autre.

— Possible, fit Margot, mais vous êtes un vieux cocu.

Alors, prenant à témoin tout le monde sur la plateforme de l’autobus, l’antique débris cria :

— Voilà les jeunes filles modernes, elles ne respectent même pas mes cheveux blancs…

— Ils sont teints en acajou, dit Margot, qui se tordait.

Mais l’autre continua, au sommet de l’indignation :

— C’est une honte et je porterai plainte au foyer de la Société…