Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 8-12).

III

Décisions

Margot sentait tout cela et d’autres choses, comme une nouvelle irritation prochaine, qui allait de nouveau rester insatisfaite.

Aussi se prit-elle la tête dans les mains, pour méditer plus à l’aise, et dit-elle enfin :

…elle courut après, le rattrapa (page 15).

— Il faut que cela cesse.

C’était une formule que bien des gens prononcent tous les jours sans que rien soit changé. Margot le savait et elle compléta son vœu par cette affirmation :

— Et, dès aujourd’hui, cela cessera.

Ceci dit, elle sentit qu’elle s’était bien avancée, et, pour se donner confiance, se leva. Elle alla se regarder devant la glace afin de voir si son corps pouvait provoquer à l’amour.

Elle était d’ailleurs belle, incontestablement belle.

Or, quand on est belle, c’est la sagesse des nations qui le dit, et elle ne doit pas se tromper, on est une fascination pour les mâles.

Et lesdits mâles vous courent donc après, dans le désir avoué de vous faire participer à des pâmoisons d’ordre galant.

Par suite, Margot, qui raisonnait à ravir, pouvait certifier que belle et tentante elle n’aurait qu’un pas à faire pour trouver l’âme et le corps frères.

Et cela la consola.

Elle se passa une paume précautionneuse sur le torse, et soupesa sa poitrine allègre et provocante.

— Hein ! fit-elle enthousiasmée, si avec ça on ne pouvait pas trouver un amant.

Il est vrai qu’elle le désirait fait sur commande, cet amant.

Que voulez-vous, elle aimait les blonds. On peut évidemment aimer les bruns. Il en est de charmants et qui possèdent à un haut degré les vertus — qui sont aussi un peu le contraire — propres à réjouir et faire pâmer les femmes amoureuses.

Mais qu’y faire ? Margot ne sentait rien, absolument rien devant un homme brun. Elle le regrettait. Ce ne sont pas des choses plaisantes que ces sentiments. Ce sont même, sous un certain angle, des vices.

Seulement, il faut vivre avec ces vices-là, comme on vit avec un nez en trompette ou six doigts de pied.

Et il ne suffisait pas que Margot put trouver l’homme qui pourrait la séduire, il fallait encore qu’il fût blond. Encore une nuance de blond était-elle nécessaire

Elle détestait le blond qui tourne au roux. Car le roux était son abomination.

Ah ! ce n’est pas tout que d’être de tempérament amoureux. Le pire c’est de posséder des exclusives et de ne pouvoir trouver le plaisir que dans des conditions qui sont parfois assez délicates à réaliser.

Cependant, malgré les difficultés revues, Margot qui se regardait toujours et sentait son enthousiasme augmenter devant les grâces de son corps, reprit plus affirmativement que jamais :

— Ce soir, sûrement, je ne couche pas seule. C’est vraiment trop bête.

Et elle esquissa un pas de danse pour se confirmer dans son intention.

Puis une idée lui vint :

— Et en attendant ce soir, je veux que cette journée soit amoureuse à chaque heure.

C’était beaucoup désirer. Mais Margot s’attestait têtue, et elle reprit, comme pour trouver une excuse à cette ambition excessive.

— Parfaitement, il faut que je sois aimée tout le jour.

C’était une sorte de provocation à obéir aux attentes de son patron, et du secrétaire dudit patron. Elle s’était toujours refusée à eux. Ils étaient blonds pourtant et donc rentraient dans la classe des hommes supportables.

Eh bien, ce jour même, elle leur permettrait des privautés.

Toutes les privautés…

Et, rassérénée par cette certitude de ne pas chômer plus longtemps elle commença de se vêtir.

Quand on se vêt pour l’amour, il faut y apporter certains raffinements importants, et certaines élégances érotiques qui sont connues de toutes les femmes dignes de ce nom. On se souvient que les dames de la haute société, qui font des adultères « mondains » dans les romans de Paul Bourget, ont en effet une connaissance particulière des jupes qui ne se froissent pas, des lingeries qui peuvent supporter le contact d’une main nerveuse et crispée par le désir et de bien d’autres détails… utiles.

Eh bien, voulez-vous me dire, je vous prie, pourquoi une secrétaire-dactylo, qui n’était pas une enfant, n’aurait pas connu ces choses-là aussi ?

Elles ne sont pas, que nous sachions, réservées au faubourg Saint-Germain.

Et Margot s’habilla avec une habileté qui prouvait sa connaissance approfondie des desiderata de cet après-midi, dévoué au dieu d’Amour.

Ce faisant, elle chantonnait :

— Je suis à toi…