Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 4-8).

II

Réflexions

Inutile de vous dire, mon très cher lecteur, et vous, ma lectrice adorable et trop lointaine, que la nuit de Margot n’avait pas eu comme résultat de faire régner l’ordre dans son lit.

Oui ! Il était dévasté comme si ç’avait été la veille le pillage de quelque Tamerlan. L’oreiller était parti au milieu de la chambre, expédié d’une main preste par Margot. C’est qu’elle avait cru, un moment, que ce fût un amoureux venu lui rendre visite ; or, dans la fureur de sa déception elle se vengea donc sur cet appareil sans gloire.

Le traversin était moitié au milieu du lit, moitié à terre, où il paraissait une sorte de prodigieux serpent-boa, un peu court, mais rattrapant cela par la puissance de son diamètre…

Les draps avaient subi un gaufrage soigneux dans tous les sens et sur tous les angles, de telle sorte qu’ils manquaient absolument de dignité. L’un d’eux, celui qui était naguère en dessus était en dessous, mais en dessous du lit, du moins pour partie, et l’autre, entortillé comme une lamproie, faisait la corde traditionnelle avec laquelle les détenus s’évadent des bastilles, après avoir scié les barreaux de leur geôle…

Mais que dire de la couverture ?

Margot s’était d’abord entortillée dedans, puis détortillée, elle la répandait dans sa chambre et à cette heure ce n’était guère qu’un infâme chiffon, moitié sous les formes importantes de la chère enfant, moitié ailleurs. Un bout en traînait dans la cuvette, où Margot, espérant inutilement trouver le calme, grâce à l’usage de l’eau froide, avait, par trois fois, tenté de se plonger fragmentairement…

Là-dessus, la jeune fille était étendue.

Vous ne vous attendez pas que seule chez elle — et même en compagnie — Margot eut conservé les pudeurs puériles qui sont la spécialité des livres de certains romanciers édifiants, qui se rattrapent dans la vie.

Pas du tout. Elle était nue. Nue comme si c’était suite d’un vœu. Au demeurant elle n’utilisait jamais de chemises de nuit, sous le prétexte excellent que cela fait des plis et empêche de dormir.

Elle était donc étalée dans son lit, pareille à une Danaé venant de recevoir la pluie d’or, et qui calculerait sa valeur marchande. Elle ressemblait encore, si vous voulez, à la belle O’Morphi, après que le roi Louis Quinzième lui avait fait… des amabilités. Ses seins droits avaient des sommets amarante. Ils affectaient la forme même de ces coupes élégantes où les empereurs romains buvaient le Cecube ou le Falerne — vins louables. Sa taille mince s’évasait en un élargissement ample et majestueux, qui eut évoqué aux yeux de Jupiter, dieu lascif, cette Europe qu’il aima génisse, dit la mythologie. Ses jambes longues, bien cambrées au mollet, avec leurs cuisses robustes et musclées, auraient enfin séduit un sculpteur désireux de figurer cette Atalante qui fut une bonne coureuse, au même titre que nos aimables championnes de cross-country, et dont les poitrines plaisantes apprennent à s’agiter sur le rythme ternaire de l’amble pour premiers prix…

Brave Margot ! elle aussi aurait pu courir le cent mètres plat comme Mlle Radideau, ou nager sur le dos — ça lui aurait plu — ce crawl qui fait la gloire de Mlle Salgado. Mais elle ne s’y adonnait point parce qu’elle avait d’autres désirs.

Ou plutôt elle avait le Désir…

Et il est, chaque homme de science vous le dira, l’ennemi des sports.

Au demeurant, nous faisons toutes réserves sur cette affirmation dont notre expérience nous dit qu’elle est douteuse.

Mais revenons à Margot, qui s’éveillait.

Vautrée dans son lit saccagé, elle s’étirait encore et tendait vers elle ne savait quoi ses bras polis et moites.

Ce faisant, elle disait :

— Zut, quelle cosse !

Elle se mit à rire en même temps, car le souvenir de sa nuit lui revenait. Souvenirs pénibles et tendres.

Pénibles certes, car il n’est rien de si douloureux que de vouloir être deux et de se sentir seule.

Elle avait étreint, durant cette nuit agitée, tout ce qui se présentait : matelas, oreiller, traversin, et même la chimère de l’air…

Et ç’avait été autant de déceptions douloureuses.

Je ne sais pas si vous connaissez ces déplaisirs. Oui ! évidemment, elles doivent vous être épargnées. Vous avez, femmes, des amants flambants et passionnés sous — si j’ose dire — la main, pour toutes les minutes où le désir passe en vous…

Et vous, messieurs, que vous préfériez les brunes ou les blondes, vous disposez de la petite aimée toujours prête à divertir vos élans…

Alors vous allez mépriser cette pauvre Margot, qui, depuis un grand mois, était hors de l’atteinte de l’homme. Vous allez penser et dire hypocritement, qu’elle n’était pas si malheureuse que ça. Je voudrais bien vous y voir. Vous pousseriez des cris qu’on entendrait jusqu’aux îles Sous-le-Vent…

Margot ne gémissait d’ailleurs pas. Elle avait du stoïcisme. Mais elle sentait que le malheur est grand au monde et elle en souffrait.

Oh ! ce n’était pas que dans des moments choisis, l’illusion ne fût venue la soulager, et une tendresse lui en restait au cœur.

Les Hindous disent que le monde n’existe pas. Ce serait, selon leur formule : « Le rêve d’un rêve ». Eh bien, pourquoi Margot, rêvant qu’elle avait près d’elle un amant plein d’allant, n’aurait-elle pas, à certaines minutes, cru que c’était la vérité même ?

Il y a des instants où l’on peut croire que telle ou telle chose irréelle se produit en vérité. C’est même un des soulagements de l’existence.

Et Margot avait cinq ou six fois cru sincèrement qu’un incube, comme disaient jadis les magiciens, la venait aider à se divertir.

Mais la fatigue en résultait, puis le découragement, puis le regret…

Et elle se disait que le monde est bien mal fait, puisqu’on peut être bondée d’amour, et en désir de l’épancher, sans avoir la possibilité de le faire autrement que par erreur, ce qui est déplorable…