Éditions Prima (Collection Gauloise ; no 190p. 1-4).

RENÉE DUNAN

LES PÂMOISONS de
MARGOT

I

Le Réveil de Margot

Margot avait mal dormi cette nuit-là.

Mettez-vous à sa place, en somme ! Vous feriez comme elle, vous, qui avez l’air de trouver que Margot aurait pu en écraser comme une souche. La vérité c’est que Margot était sans amant depuis un bon mois.

Oui ! Ç’avait été une histoire compliquée comme un roman des plus policiers, ou une enquête sur l’assassinat d’une star de cinéma par une princesse cornette… N’attendez pas que je vous dise tous les détails de cette aventure. Mais, au titre d’ami, je vous en raconterai l’essentiel.

Voilà donc : Margot s’attestait, vous ne sauriez en douter, une belle fille, blonde comme les blés de Beauce, et dont la chair bulbeuse et pleine était plus attirante, selon un vieux dicton, qu’un boisseau de puces… Elle était, en sus, ardente au déduit, et avait en amour une science absolument exceptionnelle. Ce sont des vertus qui attachent. Et ce n’était pas tout. Margot cultivait encore ce minimum de perversité sans quoi la passion est bourgeoise comme un cartonnier de notaire. Elle savait des secrets qui sont propres à herculiser les amants. Elle se servait d’elle-même, avec un art qui dépassait la commune mesure. Bref ! elle était de ces maîtresses qu’on ne quitte pas sans un serrement de cœur…

Or, elle avait eu comme amant le jeune poète Flavien Terebenthe, qui était aussi reporter spécialiste du chien écrasé, pour la banlieue Est, dans le grand quotidien Paris-Minuit. C’était un joli jeune homme, un peu douteux de mœurs, et sans doute d’honnêteté sujette à diverses cautions, mais amoureux comme un singe rouge, et plongé dans le freudisme jusqu’au sinciput…

Et on sait, dans le monde contemporain, que le Freudisme, ou philosophie de la sexualité, est à la fois chose profonde et lascive tout comme les agréments d’une courtisane sicilienne, comme aussi une lecture agréable, au lit, entre les gens unis par une affection qui ne demande qu’à s’extérioriser en gestes bien choisis… Certes, Margot, n’avait cure du Freudisme. Le médecin viennois qui l’inventa ne lui disait rien qui vaille, et même elle n’avait jamais pu prononcer, sans s’en accrocher sa langue à ses dents, le mot psychanalyse qui désigne la doctrine de Freud. Mais elle était pleine de respect pour Flavien Terebenthe, lequel disait cela et, d’autres vocables difficiles sans faire la grimace.

Tout était donc, entre Margot et son poète, heureux et promis à un avenir bourré de félicités jusqu’à la gueule, à la façon d’un tromblon mexicain, quand il était advenu un sombre drame.

Flavien s’était amouraché d’une femme canon.

La femme canon qui séduisait le disciple de Freud était une donzelle de cent trente-deux-kilogs trois cent trente grammes, qui s’exhibait dans les foires. Elle se faisait mettre un canon de quatre-vingt-dix sur le râble ; on le chargeait, on le tirait, et elle amortissait de ses vastes reins le recul de cet ustensile dangereux…

Flavien avait senti, devant cette puissante personne, le coup de foudre. Son « subconscient », à la mode freudienne, lui disait depuis longtemps qu’il dut aimer une femme en dehors du commun, par le poids autant que par la force. Il fit donc une déclaration qui reçut un brillant accueil, et, comme la femme-canon, qui avait de l’ambition, partait pour les Îles Baléares, où l’on se proposait d’élire une reine de beauté, le poète s’embarqua avec elle.

Margot resta alors pantoise, abandonnée comme une fille-mère, versant toutes les larmes de son corps, et, certifiant qu’on ne la reprendrait plus à aimer qui que ce fût.

Ce serment dura un mois. Pendant un mois, la belle gosse, dont les appas exubérants attiraient les mâles, et dont le roulis de croupe donnait le vertige même aux vieux messieurs qui cherchent une âme sœur sur les boulevards autour de la Madeleine, refusa pourtant de s’en laisser conter.

Mais au bout du mois, elle était à bout de forces.

Et voilà pourquoi elle n’avait par dormi cette nuit-là.

Toutes les heures des rêves lubriques l’avaient bouleversée et fait haleter comme un coureur de Marathon. Elle s’imaginait mille choses irracontables et bouleversantes, qui lui faisaient faire des sauts de carpe sur son matelas.

Total : elle ne pouvait trouver ce bon sommeil reposant qui est au lit une si ravissante joie.

Et Margot s’éveillait maintenant la bouche pâteuse, l’échine moite, la tête lourde, les reins brisés, enfin aussi lasse que si elle avait passé une nuit amoureuse avec un amant très énergique et puissant.

Et ce n’était pas drôle, car elle avait comme métier, ce que je ne vous avais pas dit, de secrétariser chez un industriel spécialisé dans la fabrication des oranges de faïence pour la décoration des salles à manger…

Elle s’étira en poussant des gémissements.

— Oh ! quelle cosse, Seigneur !

Et elle aurait voulu prendre un repos que défendait la pendule car il était huit heures, et à neuf heures il fallait être au bureau.