Les Oubliés et les Dédaignés/Plancher-Valcour

(p. 353-367).

PLANCHER-VALCOUR


I

Un matin d’été, — par un beau soleil normand, — un petit bonhomme, d’une quinzaine d’années environ, cheminait sur la route de Caen à Rouen. Il s’était évadé la veille de chez les Grands-Chapeaux, ou frères de la Doctrine chrétienne, et il allait, sans savoir où, avec dix-huit francs dans sa poche. En passant dans un gros bourg, ses yeux rencontrèrent ce placard tracé à la main : « Par permission des magistrats : la troupe des grands comédiens ambulants donnera, ce soir, une représentation de la Vie et la mort de N.-S. Jésus-Christ, tragédie en cinq actes, ornée de tout son spectacle. »

Comme Pierre Plancher, c’était le nom du jeune homme, n’avait jamais vu jouer aucune pièce de théâtre, il s’informa de l’hôtel des comédiens. On lui indiqua l’auberge de la Croix-Blanche.

Sur le seuil, il rencontra saint Joseph lui-même, qui était le directeur de la troupe et avec lequel il eut l’honneur de s’entretenir en attendant la représentation. Il fit plusieurs questions sur la pièce et sur les acteurs : « C’est sans doute monsieur votre fils qui joue l’enfant Jésus ? lui demanda-t-il. — Non, c’est un de mes camarades qui est allé se faire faire la barbe à quatre pas d’ici. — Et la Vierge ? — Elle est là-haut à se rafraîchir avec deux militaires dont elle a fait la connaissance en route. »

Pierre Plancher ne crut pas pouvoir se dispenser d’offrir à dîner au directeur, qui accepta avec empressement. Bientôt le fumet d’une soupe aux choux et au lard attira deux nouveaux personnages, Ponce-Pilate et la Madeleine, qui s’invitèrent sans façon. La Madeleine était une jolie fille aux lèvres souriantes ; elle s’assit à côté de Pierre Plancher, à qui le cidre et l’amour tournèrent bien vite la tête. En peu d’instants, il devint l’ami de tout le tripot comique, — et ce fut en trébuchant qu’il alla prendre place sur un des bancs de la salle, pour assister à la représentation.

L’hôtelier avait loué à ces nouveaux Confrères de la Passion une grange assez vaste. Des rideaux de serge verte, détachés d’un lit à quenouilles et bordés en rubans de soie jaune, figuraient le rideau d’avant-scène. Quelques pièces de tapisserie de Bergame servaient de toile de fond ; d’autres étaient ajustées en coulisses. Six chandelles fichées dans autant de pâtés de terre glaise imitaient la rampe. — L’orchestre, composé de l’unique ménétrier du bourg, jouait l’air de la Bourbonnaise sur un mauvais violon de Mirecourt. Je ne rendrai pas compte de la manière dont fut exécuté le mystère annoncé : ouvrez le roman de Scarron à la première page venue.

Pierre Plancher n’avait d’yeux et d’oreilles que pour la Madeleine ; aussi ne se pressa-t-il pas d’abandonner l’auberge de la Croix-Blanche. Plusieurs jours s’écoulèrent pendant lesquels il ne quitta pas d’une seconde les saints et les saintes, ses nouveaux camarades. Au bout d’une semaine, l’aubergiste, justement inquiet, monta chez lui avec un mémoire s’élevant à plus de cinquante livres. Plancher, dont les dix-huit francs n’avaient pas multiplié depuis sa fuite des ignorantins, se vit tout penaud, — et déjà l’aubergiste menaçait de lui faire un méchant parti, lorsque les comédiens ambulants accoururent à son secours. Ils s’offrirent à payer la dépense du petit Normand, à la condition que celui-ci entrerait immédiatement dans leur troupe, où il ferait les Anges dans les mystères et l’Amour dans les pastorales.

Ce fut ainsi que se décida la vocation de Philippe-Alexandre-Louis-Pierre Plancher, né à Caen, — d’autres disent à Mortagne, — d’autres à Saint-Pierre-sur-Dives, — vers 1751. À peine eut-il monté sur les planches, qu’il troqua son nom de famille contre le pseudonyme plus coquet de Valcour. Les théâtres étaient alors inondés de Belval, de Saint-Phar, de Florbelle, de Rosanville, de Dorfeuille ; tous ces noms, plus doux à prononcer que ceux des bergers d’églogues, faisaient ressembler les affiches de spectacle à des rayons de miel, — on se délectait rien qu’en les lisant. Plancher-Valcour s’accommoda assez bien, dans les commencements, de cette vie hasardeuse et plaisante, qui avait pour lui les allures d’un perpétuel mardi-gras. Il était jeune, bien tourné ; il avait la gaieté dans le cœur et dans les yeux ; il ne rencontra partout que des Madeleines.

Après avoir joué des mystères, il voulut jouer des comédies. Il changea de troupe et débuta dans l’emploi des grandes casaques, qui comprend les principaux valets de l’illustre répertoire. Il n’y eut pas moins de succès que dans les anges. Le nom de Plancher-Valcour est lié avec celui des fameux cabotins, tels que Dumaniant, Collot-d’Herbois, Patrat. Nul plus que lui n’a couru la France ; nul ne s’est agité davantage sous le lustre et sous les frises. Il a été un des plus charmants héros de ce monde équivoque de coulisses, qui est la fête des tables d’hôte, la joie des officiers de garnison, le scandale des bourgeois de petite ville. Il a été un des rois de ce royaume de Cocagne où chacun représente et incarne une création de quelque grand rêveur, et où les femmes ont fait un pacte avec la jeunesse, la poésie et la beauté, depuis six heures du soir jusqu’à minuit. — Plancher-Valcour a promené la nonpareille de Gros-René et la cape changeante de Sbrigani jusque dans les derniers recoins de la province, allumant en tous lieux l’esprit de Molière comme un phare, et passant volontiers de l’amour de la comédie à la comédie de l’amour. Quand ce n’était pas Dorine ou Nicole, la servante aux beaux bras et à la fine jambe enfermée dans un bas de soie rouge, c’était quelque discrète Elmire de faubourg qui le recevait, sur le soir, dans une petite chambre où il y avait une table servie.

Ainsi faisant, il devint poëte, ce qui est tout naturel ; non pas poëte de comédie, cependant, mais faiseur de vers tendres, galants, érotiques ; conteur de boudoir et d’alcôve ; chroniqueur indiscret de Paphos, de Cythère et d’autres lieux. Il accorda ses pipeaux et se mit à raconter, en rimes quelquefois normandes, les espiègleries de Vénus et de sa cour. Lorsqu’il en eut amassé de quoi faire un volume, Plancher-Valcour marcha à grandes enjambées sur Paris.

Rien ne réussit comme la jeunesse, comme le bon air, comme la confiance, un peu hardie, un peu insolente même ! Du premier coup, il trouva un éditeur qui lui imprima tout de suite ses vers, avec joli frontispice gravé, et qui lui donna même un peu d’argent. C’était miraculeux ! — Plancher-Valcour, se trouvant bien à Paris, y resta, laissant de côté l’art dramatique, qui, après tout, pouvait bien attendre. Il loua une chambre au sixième ou au septième étage, et là-dedans il rima du matin au soir, comme un enragé. Son premier recueil, un peu déshabillé, avait fait quelque bruit ; il l’avait intitulé : Le Petit-Neveu de Boccace ou Contes et Nouvelles en vers. Ce sont des badinages couleur de rose, qui ne peuvent être lus que dans une société légère, après un dîner aux bougies, et lorsque les valets sont congédiés. Voici le ton du prologue :

J’ose évoquer ton ombre dans ce jour,
La Fontaine ! ô mon maître ! ô mon guide !
Ma Muse encore et novice et timide
Va crayonner les ruses de l’Amour.
Prête à mes chants cette grâce ingénue,
Ce voile transparent qui ne fait qu’agacer,
Et qu’avec art tu sus placer
Sur la volupté demi-nue.

Plancher-Valcour demeurait dans la même maison que le traducteur de La Place, lequel avait alors plus de soixante-dix ans et ne semblait pas s’en douter. La première fois qu’il alla le voir, Plancher-Valcour trouva ce vieillard occupé d’un travail assez étrange, digne d’une imagination ravagée par les romans anglais : c’était un recueil d’épitaphes sérieuses et badines en trois volumes, — recueil dans lequel il avait compris tous ses amis, morts ou vivants. La Place accueillit le jeune poëte avec affabilité, sourit aux petits vers qu’il lui débita et ne lui donna pas plus de conseils qu’il ne fallait. Aussi Plancher-Valcour revint-il le voir souvent. Il passa une année dans cette maison, une année de bonheur et de rêves, à la fin de laquelle, son libraire refusant de lui imprimer un second volume, il redescendit de son sixième étage et retourna en province, Crispin comme devant.

Mais il avait mordu au fruit de l’arbre du beau et du laid : désormais il était acquis à la littérature. Tout en jouant les grandes casaques, il composa plusieurs pièces de théâtre, qu’il fit représenter en chemin, telles que le Siège de Poitiers, drame lyrique en trois actes, les Petites-Affiches, et des proverbes dont s’empara le répertoire des Variétés-Amusantes. Celui qui est intitulé : À bon vin point d’enseigne, donne une idée de sa manière satirique et enluminée. Les noms des personnages y sont analogues à leur qualité ou à leur emploi : un négociant s’appelle Calcul de la Tonne d’or, un maître écrivain Coulé, un orateur improviste (sic) des boulevards, Plein-Vent. Ce procédé naïf, que les maîtres n’ont pas dédaigné (Regnard donne le nom de Scrupule à un notaire, et Le Sage celui de Sépulcre à un médecin), est poussé à l’excès par Plancher-Valcour, qui n’a guère, du reste, que ce seul comique.

Après ce nouveau tour de France, qui dura sept ou huit ans, Plancher-Valcour, de retour à Paris, obtint l’autorisation de bâtir, sur le boulevard du Temple, à côté de l’hôtel Foulon, un petit théâtre auquel il donna le nom de Délassements-Comiques. Il y était à la fois auteur, acteur et directeur ; il y jouait tous les genres, depuis l’opéra-comique jusqu’à la pantomime et au ballet. Cette entreprise prospéra tellement, que les grands théâtres en devinrent jaloux, et cabalèrent si bien auprès du lieutenant de police que celui-ci défendit aux acteurs des Délassements de jouer autrement que derrière une gaze. Mais le lieutenant de police comptait sans la Révolution : un soir, le lendemain ou le surlendemain de la prise de la Bastille, Plancher-Valcour déchira la gaze en criant : — Vive la liberté !

Avec ce mot, l’auteur du Petit-Neveu de Boccace a fait son chemin sous la République. Faire son chemin, en style révolutionnaire, cela veut dire : sauver sa tête. Plancher-Valcour donna dans le côté excessif des auteurs de circonstance : il composa des sans-culottides et chercha des applaudissements dans la boue. Le théâtre Molière, dont il fut pendant quelque temps le directeur, et le théâtre de la Cité reçurent tour à tour ses élucubrations cyniques. Dans le Vous et le Toi, opéra-vaudeville, représenté le duodi, deux pluviôse de l’an second, Plancher-Valcour s’exprime en ces termes sur les modérés :

Ce mot seul me met en courroux :
Un modéré ! quel monstre infâme !
Oui, dans l’ombre, ces gens sans âme
Nous portent le plus grand des coups…

Fallait-il aller chercher l’air de l’Amour quêteur pour y accoler ces stupidités affreuses ?

Cela est pour les vers, — voici pour la prose maintenant : « Te souviens-tu, père Marcel (c’est un jardinier qui parle), de c’te dame de Rome, qu’était la femme d’un consul ? C’est comme qui dirait, j’crais, la mairesse de not’ village… alle fit, morgué, d’ses deux enfants, un Pelletier et un Marat ; car y périrent tous deux, comme ces braves représentants que j’pleurons encore tous les jours, pour avoir pris l’z’intérêts du peuple trop à cœur ! »

Non content d’être devenu un pareil sauvage, Plancher-Valcour s’était rebaptisé une seconde fois : il se faisait appeler Aristide Valcour, et il ne jouait qu’avec la cocarde à l’oreille. C’était presque un homme important. Citons encore parmi ses pièces : le Gâteau des Rois, la Discipline républicaine, le Campagnard révolutionnaire et le Tombeau des Imposteurs ou l’Inauguration du Temple de la Vérité. Cette dernière pièce, qui n’a pas été représentée, était destinée à la Comédie française.

Un jour, il se trouva face à face avec le vieux de La Place, qui était devenu centenaire. Le doyen des hommes de lettres ne faisait plus d’épitaphes ; il avait abandonné ce soin au Comité de salut public. La Place ne reconnut pas tout d’abord son ancien voisin dans le citoyen Aristide Valcour. Il se rappelait bien, en effet, un jeune poëte anacréontique qui chantait Églé et les jeux sur la fougère ; mais l’acteur énergumène du théâtre de la Cité lui était entièrement inconnu. Du reste, le pauvre La Place était bien près de sa fin ; telle est la force des habitudes qu’il mourut pour avoir été forcé de quitter un logement qu’il occupait depuis vingt ans. Le propriétaire lui annonça un jour que la maison était vendue ; frappé de cette nouvelle, le Nestor de la littérature s’écria : « Ah ! vous me faites un grand chagrin, je ne m’y attendais pas, et je m’étais arrangé pour mourir ici. — L’acquéreur ne vous pressera pas, répondit le propriétaire ; prenez un mois, six semaines… — Quinze jours, c’est assez, » murmura tristement La Place. Effectivement, saisi par ce coup imprévu, il mourut avant l’expiration de la quinzaine, le 10 mai 1793.

Plancher-Valcour traversa la Terreur et aborda paisiblement au Directoire. À cette époque, le gouvernement voulant récompenser en lui la passion politique et l’impiété, — il venait de publier un poëme héroï-comique sur le Consistoire ou l’Esprit de l’Église[1], — le nomma… Devinez quoi ? Juge de paix au faubourg Saint-Martin. Juge de paix lui, le citoyen Aristide, qui s’était dit autrefois de si dures et de si plates vérités, sur l’air : Aussitôt que la lumière.

Chacun de nous à sa manière,
Se rend utile à l’État :
Les uns défrichent la terre,
Les aut’ volent au combat.

Sous son honorabl’ costume,
Un jardinier, m’est avis,
Vaut mieux qu’tous ces homm’ de plume
Qui n’font rien pour leur pays !

Oui, juge de paix. Il rendit la justice dans la division du Nord. Mais ce fut un juge de paix de fantaisie, un fonctionnaire sans dignité et sous lequel le comédien se faisait jour à chaque occasion. Le 1er vendémiaire an VIII, dans l’église Saint-Laurent, devenu le Temple décadaire de la Vieillesse, il récita à haute voix un poëme sur la République. On remplaça le juge de paix Plancher-Valcour, qui, n’ayant plus à attendre de nouveaux bienfaits de la part du pouvoir, rentra au théâtre, où il se consola de sa destitution en jouant les magistrats pour rire.

En 1807 et en 1808, il était au Théâtre de l’Impératrice ou second Théâtre-Français. « Comme comédien, écrit M. H. Audiffret, il avait le jeu sec et froid, mais la diction correcte et facile ; et, dans les premiers rôles, puis dans les pères nobles qu’il joua, il portait mieux l’épée que certains grands comédiens. »

Depuis lors, la vie de Plancher-Valcour s’écoula doucement au milieu des loisirs littéraires. Il fut un des maîtres du mélodrame et obtint de très-grands succès avec des choses intitulées : la Forêt bleue, l’Homme invisible, Octavie et Zoraïde, le Secret des Vengeances. Une spéculation de librairie fructifia également entre ses mains : je veux parler de la publication des Annales du Crime et de l’Innocence, ou choix des Causes célèbres, en vingt volumes. Dans cette compilation où, par parenthèse, le clergé n’est pas épargné, — vieille habitude républicaine ! — Plancher-Valcour se donne le titre d’ancien avocat, titre que je retrouve dans plusieurs biographies. Je me demande où il prit le temps d’étudier le droit[2].

Ses contemporains me l’ont dépeint comme un homme plein d’esprit et de gaieté, bon camarade, joyeux convive surtout. « Personne, mieux que la femme qui le pleure, n’a su combien il fut tendre époux, et ceux qui l’ont connu avouent qu’il serait difficile d’être plus aimable. » Ainsi s’exprimait, quelques jours après sa mort, un de ses parents, le libraire Plancher, éditeur du Manuel des Braves.

Les Gaudrioles modernes ont imprimé plusieurs fois une chanson de Plancher-Valcour, qui paraît être une des dernières qu’il ait composées ; c’est la Mère Picard ; on y trouve quelques couplets attrayants :

Mère Picard, dit-on, dans son jeune âge,
Fut la Vénus, la perle du quartier ;
Joli minois, appétissant corsage,
Dieu ! quel trésor pour un cabaretier !
Les ris, les jeux volaient sur ses traces,
Et constamment suivaient son étendard ;
Mais plus de jeux, de ris ni de grâces :
Ils sont couchés chez la mère Picard.

Mère Picard avait chez son grand père,
Étant enfant, vu souper Crébillon,
Bernard, Gresset et Delille, et Saint-Pierre,
Et Saint-Lambert, et Voltaire, et Piron.

Leurs successeurs réclament leurs titres,
Maint connaisseur en sourit à l’écart ;
Un autre dit, en cassant les vitres :
Ils sont couchés chez la mère Picard.

Ce fut au mois de février 1815 que l’ex-citoyen Aristide Valcour sortit de son lit pour endosser la robe d’hyver et d’esté, selon l’expression de La Fontaine. Il s’était retiré depuis quelque temps à Belleville, comme font les petites fortunes, et il y vivait avec ses souvenirs, — ce qui, si joyeux convive et si homme aimable que l’on soit, doit être une triste vie lorsque, comme Plancher-Valcour, on a composé et chanté en public des férocités aussi mal rimées que celles-ci, dans le Vous et Toi :


Pour voiler leurs projets affreux,
Leur despotisme sanguinaire,
Les rois, ces tyrans désastreux,
Prenaient le masque populaire.
Ce masque est le mieux imité,
C’est l’art le plus fin qui l’apprête ;
Il est tellement incrusté
Qu’il ne tombe qu’avec la tête ! (Bis.)

Certainement je n’en veux pas à Plancher-Valcour de la tranquillité et de la douceur de ses dernières années ; peut-être a-t-il expié les emportements de son âge mûr et regretté les écarts de son inspiration ; mais je ne crois pas à cette grande gaieté dont on m’a parlé ; je n’ajoute pas foi à cette insouciance épicurienne dont on a fait parade pour lui. Il est de ces souvenirs que ne pourraient noyer tout le vin du Caveau et tout l’esprit de Voltaire.

Après sa mort, on trouva dans ses papiers manuscrits deux ou trois romans que l’on publia. Un seul mérite d’être distingué, c’est celui qui a pour titre : Colin-Maillard ou mes Caravanes, mémoires historiques de la fin du dix-huitième siècle, quatre volumes in-12.

Colin-Maillard, à dire d’experts, offre le récit à peu près exact des principaux épisodes de la jeunesse de Plancher-Valcour, — jeunesse vagabonde et hardie, comme on a pu le voir. Cet ouvrage ressemble à tous les ouvrages anti-religieux de la même époque : ce sont les mêmes tableaux, le même système de plaisanteries imbéciles sur les curés, presque les mêmes aventures. Toujours des amoureux déguisés qui s’introduisent dans des couvents de nonnes ! Toujours le comédien Sainte-Colombe, le militaire d’Esparville et le brigand Tranche-Montagne ! On dirait qu’il y a un moule pour ces romans de bas étage. Ce qui me les fait reconnaître et fuir aussitôt, c’est l’éternelle nuit d’auberge, immanquable chapitre où tous les héros se heurtent dans les ténèbres, se trompent de porte, se chamaillent, se battent, se renversent. Plancher-Valcour s’est bien gardé d’oublier cette tradition, et voici le texte de Colin-Maillard qui ne diffère en rien de celui des autres romans :

« … Grand Colas, effrayé des suites que pouvait avoir son expédition nocturne, s’enfuit plus vite que le vent pour regagner son écurie. Le chien le suit en aboyant et renverse dans l’escalier la garde malade qui allait chercher de l’eau et du sucre. La garde jette des cris à rendre les gens sourds. Tous les voyageurs épouvantés sont sur pied, et sortent en chemise de leurs chambres ; l’un est armé d’un fouet et l’autre d’un gourdin ; un troisième qui n’a point éteint sa lumière paraît avec un chandelier à la main pour éclairer ce tableau. Mademoiselle Chonchon Desallures, qui entend tout ce tintamarre, tremble au fond de son lit et se demande si le feu est à la maison ; tandis que le très-révérend père Pacôme Touffe-de-Foin psalmodie des versets de psaumes et ordonne aux démons invisibles de quitter cette auberge. On se croirait en plein sabbat : les chats effarés jurent, l’hôtelier accourt une broche à la main, les servantes éperdues vont quérir la maréchaussée ; de tous côtés on crie, on hurle, on se lamente. »

Eh bien, ce chapitre, vous le retrouverez mot pour mot dans Pigault-Lebrun, dans Victor Ducange, dans Raban ; il était stéréotypé chez Paul de Kock. Un roman joyeux ne peut pas plus se passer de nuit d’auberge qu’un roman de M. Alexandre Dumas ne peut se passer de flanconnades.

Quelqu’un, — un ami de Plancher-Valcour, sans doute, — a placé en tête de Colin Maillard les lignes les plus phénoménales qu’on puisse imaginer. J’en détache le morceau suivant, écrit avec un sérieux extrême : « Sans manquer aux égards que mérite le genre élevé, nous demandons à MM. de Chateaubriand, Benjamin Constant et Régnault de Warin (quel assemblage !), si Atala suppose plus de talents que Faublas, si Adolphe vaut mieux que M. Botte ? Ces auteurs, qui ne badinent point, répondront sans doute que chaque genre a son prix, mais qu’à mérite égal celui qui réunit ce qui attriste à ce qui fait rire est digne de la préférence. » En d’autres termes, Chateaubriand vaut Plancher-Valcour, mais Plancher-Valcour est préférable à Chateaubriand.

De tous les ouvrages de cet auteur-acteur, le Petit-Neveu de Boccace est le seul qui ait eu plusieurs éditions. Quant à ses pièces de théâtre, sur trente-huit environ qui ont été représentées, il n’y en a que dix-sept d’imprimées. Plancher-Valcour a eu successivement pour collaborateurs le comédien Destival, Roussel, Moline, Léonard Bourdon, Leblanc, Propiac et l’excentrique directeur de la Gaîté, Ribié.

  1. « Voici le coup de pied de l’âne, dit le libraire Colnet dans ses Étrennes de l’Institut ; ce poëme donne une bien mauvaise idée du cœur et de l’esprit de son autour ; on le croirait écrit par un cocher ivre sortant du cabaret. Voici la plus noble comparaison qu’il ait employée :

    Pour faire niche à Dieu, près de ses favoris,
    Le diable est comme un chat qui guette une souris. »

  2. Dans les Pantins du Boulevard, Mayeur dit, en outre, que Valcour a été commis aux poudres et salpêtres de l’Arsenal, et qu’il s’est marié dans ce poste.