Les Opalines/Soir adriatique

L. Vanier (p. 7-8).

SOIR ADRIATIQUE

Le vêtement du soir est celui d’un seigneur :
C’est un gala d’amour qu’offre ce coin du monde.
Telle une barque en fête, au beau pavois de fleurs,
L’île semble rêver dans un clapotis d’onde.

Les palmiers chevelus élargissent leurs doigts
Aux voluptés partout, tièdes, éparsemées,
Et les eucalyptus, comme un ajouré toit,
Déchiquètent l’azur de leurs feuilles lamées.

En des bassins d’albâtre il bruit des jets d’eau ;
Sur les degrés de marbre aux émotions roses
Penche l’hortensia son précieux fardeau,
Et s’effeuillent la pourpre et la splendeur des roses.


Sous des mimosas d’or on voit danser un dieu,
Dont la chair est de pierre où les siècles se gravent ;
Et parmi le silence extasié du lieu
Se promènent des paons comme des pensers graves.

Déjà la nuit furtive au vol qu’on n’entend point
Ouvre son envergure aux gigantesques ailes,
Et tisse de velours l’espace, à petits points :
C’est comme un reposoir aux formes solennelles.

Et pour mieux méditer l’endemain qu’elle veut,
Ayant, telle une femme avant qu’elle s’endorme,
Sur l’épaule versé le lait de ses cheveux,
Elle ouvre les mille yeux de son sommeil énorme.