Les Oiseaux de passage (Ségalas)/03/10

Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 299-306).

DANSE ET JOIE.

Nous étions cette nuit dans la salle des fêtes.
Ossian.

Cueille des roses passagères.
Tissot.

Joyeux, ils ont dansé.
Auguste Chaho.

Accourez, jeunes miss, avec vos cavaliers.
Alfred Dessessarts.

Que le bal est joyeux ! vois ces nombreux quadrilles ;
Le plaisir fait briller ces yeux de jeunes filles,
Anime tous les pas, rit dans toutes les fleurs ;
Frais papillon, partout il vole et se repose :

Il pare la danseuse à la peau blanche et rose
De ses plus riantes couleurs.


J’aime ce bal, avec son lustre aux mille flammes,
Ses bijoux, ses parfums, ses folles jeunes femmes
Qui froissent leurs tissus dans un rapide élan :
Leur bonheur enfantin, aussi frivole qu’elles,
Est dans les airs d’un bal, dans leurs gazes nouvelles,
Dans les nuances d’un ruban.


Les vois-tu balancer leurs plumes, leurs dentelles,
Sourire à ce miroir qui leur dit : Belles, belles,
Et, dans un cercle étroit, où la foule survient,
Former les pas divers de leur danse rapide,
Pesant sur le parquet, comme un oiseau timide
Sur la branche qui le soutient.



Mais l’orchestre se tait, et les jeunes coquettes
Retournent lentement s’asseoir sur les banquettes
Aux effilés dorés, au velours incarnat.
Pour qu’il souffle un peu d’air sur leur col qui palpite,
Dans leur main l’éventail se déploie et s’agite,
Comme une aile qui s’ouvre et bat.


Le salon resplendit de saphirs, de topazes ;
Et cent femmes lui font un vêtement de gazes.
Tout est satin, rubans, guirlandes et joyaux ;
Partout, sur des fronts blancs et moites on admire
Ces bouquets toujours frais, qui jamais n’ont vu luire
D’autres soleils que des flambeaux.


Quelle nuit enchantée ! oh ! ce bal a des charmes !
Malgré ses longs ennuis, ses chagrins et ses larmes,

La vie a des instans qui sont bien doux encor !
Le temps, pour consoler l’homme qui souffre et pleure,
Au sable qui s’écoule et nous mesure l’heure,
Mêle parfois quelques grains d’or !


Viens, l’huile brûle encor dans les lampes d’albâtre ;
Dansons ! mais un rayon à la lueur blanchâtre
Glisse sur le parquet, sur les rideaux soyeux ;
Tout effrayés du jour les quadrilles finissent,
Et dans tous les flambeaux les lumières pâlissent
Comme les étoiles aux cieux.


Il faut partir ; voici que les pâles danseuses
Jettent sur leurs cols nus les écharpes moelleuses ;
Puis, lançant tristement un coup d’œil aux miroirs,
Posent les schalls épais sur leurs fraîches parures,

Ou les grands mantelets tout bordés de fourrures,
Avec les boas longs et noirs.


Nous allons le quitter ce bal, mais son image
Va nous suivre du moins vague et dans un nuage :
Ces femmes aux pieds fins, ces danseurs passagers,
Pendant notre sommeil plein de brillans mensonges,
Riant et voltigeant, vont passer dans nos songes
Comme des fantômes légers.